Essai Lotus Evora S: the Lotus Notes
Le moteur tout d’abord. Il se montre certes parfois un peu hésitant et bourru sur un filet de gaz, mais le V6 d’origine Toyota coiffé d’un compresseur Roots est assez réussi. Développé initialement pour un montage transversal avant dans une ribambelle de berlines, SUV et monospaces japonais, ce 3456cm3 dispose d’une distribution variable Dual VVT-i à l’admission et l’échappement. Avec 400 Nm à 4500 t/min et 350 chevaux à 7000 t/min, les chiffres n’ont rien de renversant dans un contexte de surenchère galopante. Le poids n’est pas particulièrement contenu non plus, et si les 1421kg (39.3% AV, 60.7% AR) mesurés par nos soins avec le plein de carburant, sont, chose rare, inférieurs de 16kg aux revendications de Lotus, ils ne font décidément pas de l’Evora S un poids plume : la Porsche Cayman R, de dimensions comparables, est plus de 60kg plus légère. Il est dommage que l’avantage en couple et puissance soit neutralisé par cet embonpoint.
Pourtant, sur route, la Lotus procure des sensations mécaniques de haut calibre. Les acousticiens de Lotus ont fait un bon travail, la sonorité est ample et mélodieuse. Fenêtre conducteur ouverte, le miaulement du compresseur rajoute une touche un rien inquiétante à des accélérations charnues et d’une allonge insoupçonnée. Pas de temps de réponse, pas d’essoufflement à haut régime, la poussée est linéaire, soutenue, jusqu’à la zone rouge. Les vitesses atteintes sont considérables, impressionnantes pour la catégorie, et subjectivement supérieures à la concurrente saurienne de Porsche. Je ne serais pas surpris si un passage au banc révélait des chiffres majorés par rapport à la fiche technique. Un doute peut subsister sur la persistance des performances par temps chaud et forte sollicitation, l’efficacité de l’échangeur logé derrière le train arrière étant une inconnue. Pas de doute, par contre, sur le fait que la consommation demeure raisonnable pour un 3.5L à compresseur : 12.5 L/100km sur l’ensemble de l’essai, avec une part significative de trajets autoroutiers.
La commande de boîte a été largement critiquée et le mérite amplement, elle représente un handicap réel en conduite sportive. Le débattement est long, le guidage approximatif. Les rétrogradages 3-2 m’ont à plusieurs reprises posé problème en conduite très rapide, me retrouvant soit avec un 3-4 cassant le rythme, ou un 3-point mort à la limite du dangereux. A la différence de commandes de boîte viriles qui deviennent limpides avec la vitesse et les hauts régimes, celle de l’Evora S devient imprécise et traitre. Il est possible que le problème soit amplifié sur cet exemplaire de début de série ayant parcouru 25’000km d’essais de presse. Lotus travaille sur une solution pour 2012. Elle est plus que bienvenue : elle est cruciale. Il est dommage que la commande de boîte desserve à ce point un moteur par ailleurs très convaincant, tout comme le châssis qui le porte.
La direction est légère, avec une force de rappel faible autour du point milieu. L’ensemble fait bien remonter la texture du revêtement, mais n’est pas hyper-communicatif en appui sur la situation d’adhérence : difficile à savoir si les gommes sont en situation Defcon 3 ou 4, ce qui est d’autant plus handicapant que le grip est remarquable. Les vitesses de passage en courbe sont considérables, avec un équilibre en appui d’une remarquable neutralité, très peu de sous-virage et un zeste de mobilité du train arrière pour corser un tout petit peu les sorties de courbes si on a le pied lourd. Je n’ai conduit la voiture qu’en mode sport, la réponse plus franche de l’accélérateur facilitant le talon-pointe, mais n’ai pas ressenti d’impact sur un ESP d’une discrétion remarquable. Le tarage de suspension et l’amortissement démontrent le savoir-faire de la marque, un véritable sans-faute, avec une capacité d’absorption en appui remarquable. Même des compressions traitres en milieu de courbe sont avalées sans nécessiter la moindre correction du volant. L’Evora S serait probablement tout à son aise sur une piste roulante et bosselée comme la Nordschleife du Nürburgring.
En vivant sur des faibles volumes, Lotus est contraint à résoudre une équation économique épineuse, avec des coûts élevés et des prestations contrastées. Les ingénieurs de Lotus démontrent dans l’Evora S un savoir-faire moteur et châssis de premier ordre, le tout drapé dans une très belle robe, mais il en faut plus, bien plus, pour aller chasser sur les terres de Porsche, a fortiori à des tarifs comparables sur le papier. En pratique, la concession Pfenninger de Zürich est prompte à signaler des primes allant de 10 à 20% selon l’évolution des cours de change. Il n’en demeure pas moins que qualité de réalisation, habitabilité, ergonomie sont à distance respectable de l’étalon, et même si le prospect peut faire abstraction de certains détails, la commande de boîte et l’absence de repose-pied gauche sont des défauts rédhibitoires. Une petite vingtaine d’Evora ont été immatriculées en Suisse en 2010 et le compteur pointait à treize unités au 30 juin 2011, signe que la voiture peine à convaincre (détails). La volonté d’amélioration et de transformation de la marque est clairement affichée, et les millésimes futurs de l’Evora S permettront de mesurer la progression de Lotus sur le chemin tortueux et pentu de l’excellence. Les premières impressions sont souvent les bonnes, mais méritent parfois nuance : celle que m’a laissé l’Evora S est sévère pour le produit actuel, mais empreinte d’optimisme pour son potentiel d’évolution à court et moyen terme.