Toyota ajuste ses plans d’électrification à l’évolution du marché.
En matière d’électrification, Toyota est un paradoxe. Pionnière avec la Prius, la marque a été la première à produire des voitures électrifiées dans des volumes considérables avec une fiabilité irréprochable, notamment les icôniques Prius 2 et Prius 3. Les 12 millions d’hybrides produites depuis 1997 sont sans la moindre concurrence, mais Toyota est resté extrêmement prudent – excessivement diront certains – dans la poursuite des échelons supérieurs: quelques timides hybrides plug-in comme la Prius 3 PHEV, deux tests de marché très limités avec des RAV4. Jusqu’ici, Toyota n’a pas présenté de voiture électrique ambitieuse. Erreur stratégique ou sagesse ?
En décembre 2017, Toyota présentait un plan stratégique visant la production d’au moins 1 million de voitures électriques à batterie (BEV pour Battery Electric Vehicle) et 4.5 millions d’hybrides légères ou rechargeables (HEV et PHEV) à l’horizon 2030. Dix-huit mois plus tard, Toyota reconnaît que le rythme d’adoption est plus rapide que projeté et les force à avancer leurs prédictions de 5 ans, soit 1m BEV + 4.5m (HEV et PHEV) autour de 2025.
L’analyse de Toyota part d’un état des lieux du marché. Selon eux, 1.21 millions de BEVs ont été vendus dans le monde en 2018, dont plus de la moitié en Chine. Toyota établit une corrélation entre les politiques d’incitation et la pénétration des électriques:
Pays | Volume | PDM |
Chine | 707’800 | 3.3% |
U.S.A. | 228’600 | 1.3% |
Norvège | 46’000 | 31.2% |
Allemagne | 37’300 | 1.1% |
France | 32’200 | 1.5% |
Tous ces pays ont comme dénominateur commun des programmes nationaux d’incitation à l’achat de voitures électriques. A titre de référence, le marché suisse a enregistré en 2018 la vente de 5’408 voitures électriques, soit un part de marché de 1.8%.
Ce constat amène Toyota à deux conclusions:
– la marque doit accélérer la mise sur le marché de modèles électriques
– le modèle économique doit évoluer
En d’autres termes et en lisant entre les lignes du langage prudent et choisi des japonais, le groupe Toyota, dans son rôle de constructeur généraliste de masse, voit à la fois un marché suffisamment mûr pour justifier la conception d’une gamme de voitures électriques, mais également la nécessité de repenser l’accès des consommateurs à ces voitures électriques. Le modèle traditionnel de vente par un canal d’importateurs/distributeurs est considéré comme inadéquat car il ne tient pas compte du potentiel économique du composant le plus cher de la voiture électrique: la batterie.
Dans un modèle traditionnel, l’équation économique se borne au tryptique concept-construction-commercialisation. Toyota affirme intrinsèquement qu’une approche plus holistique est nécessaire pour rendre l’adoption en masse des voitures électriques économiquement viable. Que ce soit par la vente ou le leasing, la récupération du véhicule et l’exploitation de la valeur résiduelle de la batterie sont présentés comme cruciaux.
La revalorisation de la batterie dans un second cycle d’utilisation présuppose une excellente durabilité. Toyota fixe l’objectif d’une amélioration par rapport aux 75% de capacité résiduelle après 10 ans spécifiés pour la Prius Plug-In de 2ème génération. En d’autres termes, Toyota postule que le seul moyen pour rendre les électriques suffisamment économiques à l’achat est de pouvoir faciliter leur revente d’occasion, ou de revaloriser leurs batteries dans d’autres applications, et donc que la durabilité des batteries doit être améliorée. Tesla, par exemple, garantit les batteries de Model 3 sur la base de 70% sur 8 ans.
Le bon produit pour le bon usage
L’analayse de Toyota inclut naturellement une segmentation des besoins, des produits qui y répondent. Les électriques ultra-compactes sont destinées au marché japonais et à une clientèle jeune qui n’a besoin de se déplacer que dans les métropoles, une clientèle âgée qui préfère un format compact et maniable, et les organismes privés et publics.
Pour les marchés comme la Chine, les Etats-Unis et l’Europe, Toyota prend une approche modulaire pour que des variantes de la même plateforme puissent couvrir un large éventail de besoins au travers de toutes ses marques partenaires, dont Subaru, Suzuki et Daihatsu: la e-TNGA, la version électrique de la Toyota New Global Architecture.
Un peu à la manière de la plateforme MEB dans le groupe Volkswagen qui supporte des produits aussi divers que la VW ID.3, la Seat el-Born, l’Audi Q4 e-tron ou la Skoda Vision iV, Toyota fixe les contraintes critiques de la plateforme (moteur avant, moteur arrière, largeur du pack de batteries) et permet des variations au niveau de l’empattement, de la largeur totale ou des porte-à-faux avant et arrière.
Toyota ambitionne donc de pouvoir supporter une large gamme de voitures électriques, mais ne communique pas de plans concrets, autres que le lancement d’un C-HR électrique pour le marché chinois en 2020. Tous les segments de marché sont concernés, de la compacte au minivan en passant par la berline de taille moyenne, le crossover et les inévitables SUVs de différentes tailles.
Toyota timoré ?
Les nouveaux objectifs de Toyota peuvent paraître timides de prime abord. Le groupe VW a par exemple relevé le 12 mars 2019 ses objectifs à 22 millions de voitures électriques pour les 10 prochaines années, un chiffre considérable. Audi poursuit l’objectif de réaliser en 2025 40% de son volume avec des voitures électriques, soit 800’000 voitures. Pour des raisons économiques évidentes, une marque premium comme Audi va probablement enregistrer une pénétration plus forte et rapide que des marques généralistes comme VW, Skoda ou Seat.
Aucun constructeur n’est parvenu à ce jour, à offrir des compactes électriques à un prix équivalent à leurs homologues à combustion. VW le promet pour la deuxième moitié de 2020 avec son ID.3 45 kWh annoncée à moins de 30’000€, mais vendue à perte jusqu’en 2025 selon la presse allemande. Une équivalence prestation/prix est plus proche pour des berlines et SUVs premium comme l’i-Pace, le Model S ou l’EQC.
Les concurrents directs d’Audi sont plus prudents sur leurs prévisions. Chez Mercedes, on estime 15 à 25% des volumes en 2025. BMW met également plus l’accent sur le nombre de modèles électriques qui seront lancés que sur la part des ventes qu’ils réaliseront. Même prudence dans les deux grands groupes français. Les investissements sont tangibles (Zoe, e208, Corsa-e), mais les prévisions de volumes discrètes. Carlos Tavares, président de PSA, martelle que les électriques vont coûter plus cher et nécessiter un transfert de la production vers l’Asie. Tesla ne communique pas d’objectifs de volume à moyen terme.
Hors groupe VW, l’industrie reste donc prudente ou silencieuse. Les analystes optimistes, comme Bloomberg New Energy Finance, projettent un volume mondial de voitures électriques de 10 millions en 2025 (PHEV + BEV), soit une part du marché mondial d’environ 10%. Les économistes d’UBS s’alignent sur les prévisions de l’Agence Internationale pour l’Energie, soit 11 millions de véhicules particuliers BEV en 2025.
Si Toyota vise 1 millions de BEVs en 2025, la marque vise environ un dixième de ses volumes et un dixième des ventes globales d’électriques, ce qui semble réaliste voire ambitieux sur la base des informations disponibles. Elle met également l’accent sur la nécessité de rendre les voitures électriques plus abordables pour une clientèle comme la sienne.
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