La nouvelle Jaguar XJ a rompu avec 50 années de tradition de style. Elle est désormais disponible avec un V6 suralimenté et en transmission intégrale.
Le métier de designer automobile n’est parfois pas une sinécure. Certains évoluent dans un carcan étroit, tenus de réussir un compromis presque impossible entre un héritage cinquantenaire et la nécessité d’innover. D’autres sont catapultés dans le vide intergalactique de la feuille blanche, investis du pouvoir de créer une nouvelle fondation, articuler une nouvelle thèse. L’exercice, périlleux, est le lot de Ian Callum lorsqu’îl entreprend de dessiner la nouvelle Jaguar XJ, type X351, qui nous occupe ici.
Le langage stylistique de la berline de luxe a été défini depuis 1961 par les quadruples optiques rondes apparues sur la Mark X et rendues immortelles sur la XJ depuis 1968. La première tentative de s’affranchir de cette servitude survint avec la XJ40 (1986-1994) mais la marque revint à des inspirations néo-rétro pour quinze années de plus. Ces deux paires de phares circulaires, prolongées par de sensuelles ondulations sur le capot, hanteront le style Jaguar, cultivées jusqu’à l’absurde, donnant un air presque porcin à l’éphémère X-Type , produite de 2001 à 2009.
Je ne sais pas s’il y a eu des fans inconditionnels de la ligne de la nouvelle XJ dès son lancement, mais je n’en fis pas partie. La rupture était indéniable mais les nouvelles bases difficiles à appréhender. Hormis la calandre, imposante et verticale, tout était à réapprendre. Des optiques étirées aux volumes, plus proches du hatchback que d’une berline à trois volumes. La relative rareté de la XJ dans nos contrées n’a guère contribué à rendre cette nouvelle identité familière. Si la face avant développe un thème commun avec la XF, la poupe est radicalement différente, avec des combinés optiques aux traits verticaux en lieu et place du dessin horizontal des berlines et breaks XF.
A vivre avec et dans cette grande et austère limousine noire, j’ai fini par lui trouver une certaine élégance. La présence visuelle est indéniable, attirant le regard du quidam là où une Mercedes classe S ou une BMW série 7 se fonderaient avec discrétion dans le paysage automobile. La Jaguar XJ est imposante également, mesurant 5.12m dans sa version à empattement court ici à l’essai, et presque 13cm de plus dans sa version LWB (Long Wheel Base). Le packaging de la XJ est une équation difficile à résoudre, la place réservée aux passagers arrière étant suffisante, sans plus, pour la catégorie. Deux adultes peuvent s’y installer confortablement, mais l’espace aux genoux n’offre pas l’expérience attendue d’une berline de la catégorie, encore moins d’une limousine. Devoir se délester de 6000 CHF (4100 €) de l’option LWB pour offrir aux passagers le confort attendu dans ce segment n’est guère réjouissant, d’autant plus qu’à 5.25m, la maniabilité peut devenir problématique.
Le style intérieur est plaisant, avec une planche de bord dominée par quatre grandes bouches d’aération circulaires et un usage généreux de cuirs fins, de pièces métalliques massives et d’accents chromés. Je suis moins convaincu par le dessin des énormes inserts dans les contre-portes, ils me donnent l’impression que la préoccupation première a été de privilégier la surface de boiserie plutôt que l’élégance du dessin. L’essence en question a beau s’appeler Rich Oak (chêne foncé), le résultat esthétique est lourd. Peut-être que le choix d’essences plus complexes et moins uniformes telles que l’ébène, l’orme ou le noyer ombré figurant au catalogue rendrait mieux sur de telles pièces. La poursuite du bandeau en arc à la base du pare-brise me parait également un peu convenue.
La console centrale haute procure une agréable sensation de confinement des sièges avant, mais l’énorme surface chromée est aveuglante au soleil et les plastiques détonnent avec l’usage de pièces en métal pour les aérateurs ou les commodos. La XJ se rattrape avec une sellerie de très haute qualité, un ciel de toit en alcantara et un habillage de la planche de bord chic et de bon goût. Le combiné d’instruments est réalisé avec un seul écran LCD qui affiche de classiques instruments analogiques synthétiques. L’affichage s’empourpre lorsque le mode dynamique est sélectionné, et Jaguar aurait probablement pu pousser la démarche beaucoup plus loin, par exemple en offrant des possibilités de personnalisation ou différents styles de graduation. Malgré quelques bémols, l’intérieur de la XJ demeure un bel endroit, et les choix offerts entre les teintes extérieures, les differentes selleries permettent des combinaisons très élégantes. Le choix de l’Ultimate Black sur cuir Jet de notre voiture d’essai est plutôt conservateur dans ce sens.
Le long capot abrite avec aise le tout nouveau V6 essence de 3.0 litres (type AJ126). Le bloc est un proche dérivé du V8 (AJ133), après ablation de deux cylindres. Si l’alésage et la course ont été réduits pour faire passer la cylindrée unitaire de 625 à 499 cm3, il conserve l’angle de 90 degrés, atypique pour un V6 dont le cycle débouche sur un angle naturel de 60 degrés. Il est coiffé d’un compresseur volumétrique Twin Vortex Roots, incorpore l’injection directe, un système stop start et un système d’équilibrage soigné. Le couple maximum de 450 Nm (de 3500 à 5000 t/min) est respectable, tout comme la puissance maxi de 340 chevaux à 6500 t/min. Les performances promises sur le papier en font une proposition crédible, avec un 0-100 km/h revendiqué en 5.9 secondes, une vitesse de pointe de 250 km/h et une consommation mixte normalisée contenue de 9.6 L/100km.
Le V6 est accouplé à la boîte automatique ZF à convertisseur de couple offrant 8 rapports. En Suisse, la motorisation 3.0 V6 S/C est fournie d’autorité avec la transmission AWD aux quatre roues, alors que c’est une option à 4820€ en France (4900€ en Belgique). Ce système accole en sortie de transmission une boîte de transfert permettant le renvoi d’une portion du couple vers un différentiel avant. La répartition s’opère par un embrayage multidisque et peut atteindre 50:50, l’arrière recevant la totalité du couple en conditions d’adhérence normale afin d’abaisser la consommation.
Le V6 3.0 S/C de Jaguar est presque calqué sur le 3.0 TFSI d’Audi, bien connu d’Asphalte, et il en démontre les mêmes qualités. Il est coupleux tout en offrant des montées en régimes plus progressives et moins linéaires et artificielles que les moteurs turbocompressés. L’accélération se fait dans une véritable progression du couple jusqu’à mi-régime, le pic n’étant atteint qu’à 3500 tours. Il n’est pas creux à bas régime pour autant et parait parfaitement apte à animer cette grande berline de près de deux tonnes (1975kg vérifiés, malgré une caisse en aluminium). De l’intérieur, sa sonorité est étouffée par l’excellente isolation phonique de l’ensemble, au point où Jaguar devrait se pencher sur des systèmes de conduits acoustiques tels que ceux adoptés par Porsche ou Ferrari, ou alternativement un accompagnement synthétique comme l’a adopté BMW. De l’extérieur, le V6 à compresseur révèle un joli brin de voix qu’il n’est pas possible d’apprécier de l’intérieur. Ses prestations sont donc bonnes, mêlant onctuosité, disponibilité et performances respectables, mais il n’est pas aussi raffiné que son homologue allemand, notamment dans la réponse à la pédale de gaz. Un lever de pied brutal suscite de légers à-coups qui trahissent la suralimentation. Il est sobre également, avec une moyenne mesurée à 10.77 L/100km (9.6 L/100km affichés à l’ordinateur de bord) pour une moyenne horaire de 63 km/h.
La presse spécialisée anglaise ne rate jamais une occasion de mettre en avant le talent immense des ingénieurs châssis britanniques, doués d’un immense talent et d’un réseau routier loué pour la piètre qualité de ses revêtements. Par chauvinisme ou conditionnement pavlovien, les essais de la nouvelle grande Jaguar n’ont pas été avares en superlatifs. Mes attentes étaient au niveau de la barre placée par nos confrères, élevées. Sur autoroute, la souplesse domine, rendant le confort impérial, mais au tribut d’un très léger flottement. Plus étonnant, le passage de joints de dilatation peut provoquer un léger dandinement du train arrière. Il n’y a rien de fondamentalement dérangeant, mais dans ce segment, l’excellence est une exigence. Le mode Dynamic raffermit l’amortissement de l’ensemble, mais presque un peu trop pour offrir un compromis que je jugerais idéal entre confort et cohésion des mouvements de caisse. L’amortissement, sans être mauvais, n’est donc pas parfait, malgré l’adoption d’un système adaptatif. En augmentant le rythme, la dominante est un comportement sous-vireur, avec un roulis qui reste prononcé, même en mode Dynamic. L’ensemble est compétent pour rouler vite, mais pas pour une conduite sportive qui apparaît vite contre-nature.
A l’instar de la XF Sportbrake, la boîte à 8 rapports fournit des prestations honorables en conduite coulée, même si les verrouillages du convertisseur de couple manquent parfois de netteté à mon goût, en évolutions citadines par exemple. Les rapports sont longs, le huitième permettant de croiser à 150 km/h dans un silence monastique, alors que le moteur, inaudible, ronronne sous les 2000 t/min. La stratégie est naturellement bénéficiaire à la consommation, mais requiert des rétrogradages à la moindre reprise, au plat ou en côte, un exercice où le mécanisme de ZF ne brille pas par sa rapidité. Le kickdown pied au plancher de 100 à 150 km/h s’exécute en un peu plus de 7 secondes, dont la première est passée à gérer le rétrogradage. Le temps lui-même est plus qu’honorable en regard du poids de la XJ, notre S5 Sportback demandant 6.2s et une Panamera Turbo S 5.5s. Les palettes permettent naturellement d’anticiper la manœuvre, voire de prendre entièrement le contrôle des passages de rapport en mode S, mais conduire une berline de luxe en mode manuel est en profonde contradiction avec la sérénité et le confort qu’une telle berline est sensée apporter.
Parlant de confort, les sièges à réglages multiples “20/20” sont divins, tant par la pluralité des réglages qu’ils permettent (20 comme leur nom l’indique) que par leur dessin. Appuie-tête électriques, appui lombaire à 4 voies, réglage de profondeur d’assise et de rembourrages latéraux, fonction de massage et système de chauffage/refroidissement en font une option éminemment désirable. J’ai été moins convaincu par le système de télévision numérique et le tuner radio DAB+, la réception étant trop souvent affectée en ville ou dans les nombreux tunnels qui ponctuent notre réseau routier.
Ian Callum a-t-il réussi dans son entreprise d’établir un nouveau style Jaguar et de rompre ainsi avec une tradition cinquantenaire ? A chacun d’en juger sur le plan esthétique, mais la plateforme résultante reste malheureusement dans la lignée des Jaguar XJ, soit des voitures au gabarit imposant et à l’habitabilité chiche. La motorisation 3.0 S/C couplée à la transmission intégrale est la plus attrayante de la gamme. Elle n’a pas la rusticité du V6 3.0 Turbodiesel, offre une sobriété appréciable et une économie considérable (plus de 50’000 CHF) par rapport au V8 S/C de 510 chevaux. Demeure une question plus fondamentable : pourquoi préférer cette XJ à une Audi A8, une BMW 750 voire une Maserati Quattroporte S Q4 ? La finition intérieure devrait faire la différence dans le cas de cette dernière, mais face aux références allemandes, la Jaguar n’a que l’attrait de … ne pas être allemande, offrant dans le badge au félin toujours aussi courroucé une élégance so british la démarquant des roturières allemandes. Une question de style.
Configuration du véhicule
Prix de base: Jaguar XJ 3.0 V6 S/C 4×4 | CHF 128’000 | |
Finition Portfolio | CHF 9’000 | |
Entertainment Pack 1 | CHF 5’300 | |
Sièges réglables 20/20 avec fonction massage | CHF 3’100 | |
Régulateur de vitesse et de distance ACC | CHF 2’400 | |
Jantes 20″ Orona | CHF 1’900 | |
Pack éclairage | CHF 1’860 | |
Peinture métallisée | CHF 1’400 | |
Système de surveillance d’angle mort | CHF 850 | |
Store électrique pour lunette arrière | CHF 660 | |
Vitres fumées | CHF 560 | |
Caméra de recul avec guidage | CHF 480 | |
Roue galette 18″ | CHF 140 | |
Détection qualité de l’air | CHF 100 | |
Prix catalogue du véhicule d’essai | CHF 157’510 |
Face à la concurrence
Jaguar XJ 3.0 S/C 4×4 | Audi A8 4.0 TFSI | BMW 750i xDrive | Maserati Quattroporte S Q4 | |
Moteur | V6 2995 cm3 compresseur | V8 3993 cm3 biturbo | V8 4395 cm3 biturbo | V6 2979 cm3 biturbo |
Puissance (ch / t/min) | 340 / 6500 | 420 / 5000 | 450 / 5500 | 410 / 5500 |
Couple (Nm / tr/min) | 450 / 3500-5000 | 600 / 1500-4500 | 650 / 2000-4500 | 550 / 1750-5000 |
Transmission | Intégrale | Quattro | xDrive | Intégrale |
Boite à vitesses | Automatique, 8 rapports | Tiptronic 8 rapports | Steptronic 8 rapports | Automatique, 8 rapports |
RPP (kg/ch) | 5.81 | (4.51) | (4.44) | (4.68) |
Poids DIN (constr.) | 1975 (1976) 51.8% AV / 48.2% AR |
(1895) | (2000) | (1920) |
0-100 km/h (sec.) | 6.4 | 4.6 | 4.6 | 4.9 |
Vitesse max. (km/h) | 250 | 250 | 250 | 283 |
Conso. Mixte (constr.) | (9.9) | (9.4) | (9.3) | (10.6) |
Réservoir (l) | 82 | 90 | 80 | 80 |
Emissions CO2 (g/km) | 234 | 219 | 217 | 246 |
Longueur (mm) | 5122 | 5137 | 5079 | 5262 |
Largeur (mm) | 2110 | 1949/2111 | 1902/2142 | 1948/2100 |
Hauteur (mm) | 1456 | 1460 | 1471 | 1481 |
Empattement (mm) | 3032 | 2992 | 3070 | 3171 |
Coffre (L) | 520 | 510 | 500 | 530 |
Pneumatiques AV | 245/50R18 | 235/55R18 | 245/50R18 | 245/45R19 |
Pneumatiques AR | 275/45R18 | 235/55R18 | 245/50R18 | 275/40R19 |
Prix de base (CHF) | 128’000 | 128’650 | 125’000 | 126’900 |
Prix de base (EUR) | 91’620 | 106’950 | 106’000 | 109’500 |
Nos remerciements à Jaguar Land Rover Suisse pour le prêt de cette Jaguar XJ.
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