Essai longue durée Porsche 996 Carrera 2


La Porsche 996 Carrera 2 en cohabitation au long cours avec un Porschiste non convaincu.

Question : que fait-on lorsqu’on est parachuté sans préavis aux antipodes, dans un coin dans lequel on n’a pas forcément envie de vivre et pour faire un boulot pour lequel on n’avait pas une passion dévorante ? Réponse : on achète une voiture qu’on n’aime pas ! Après plusieurs essais dont celui de la 997 Carrera S, je voue au comportement des 911 une inimitié certaine. En point de mire le sous-virage tenace qui résulte des transferts de masse prononcés liés à l’architecture de la voiture. La 996 y ajoute un avant disgracieux à mes yeux, surtout les optiques de phares en forme d’œufs au plat. En partant sur de telles bases, un vaudois ne peut finir que par être déçu en bien. La démarche peut surprendre, mais à force de lire la presse spécialisée porter aux nues la baronne de Zuffenhausen, on finit par avoir envie de se faire une opinion circonstanciée sur le sujet. Incompétence ou incompatibilité ?

Le cobaye serait donc une Porsche 911 (type 996) Carrera 2, un modèle 2002 ou plus récent pour son moteur 3.6L mieux rempli et plus puissant (320ch au lieu de 300) et sa face avant re-dessinée autour des phares de la 996 Turbo. Une Carrera 2 pour aller à l’essentiel et faire joujou sous la pluie. Un coupé pour la rigidité structurelle, un des buts étant d’aller explorer l’enveloppe du comportement de l’auto sur une des pistes de la région : Thunderhill, Laguna Seca ou Sears Point. Pas facile de trouver une 911 Carrera Coupé dans la Silicon Valley, l’écrasante majorité des 911 sont ici des cabriolets: des Boxster pour ceux qui ont touché un peu plus de stock options que les autres. C’est aussi patent dans les inventaires de voitures neuves que dans les parcs d’occasions.

Après une recherche rapide, une candidate crédible est localisée chez un concessionaire Hummer. Absolument rien de correspondant et abordable dans le réseau officiel. Modèle janvier 2002, couleur Seal Grey, 47’000 miles (75’000 km) pour 54000 US$ (environ 66’000 CHF), taxes (10% sur les voitures neuves comme les occasions, gulps) et une garantie de 5 ans/100’000 miles sur moteur/boîte inclus. Une affaire raisonnable par rapport à la cote du fameux blue book qui était de 54’910 US$, sans garantie. La voiture est fournie avec un historique Carfax limpide (un texan pour seul propriétaire), mais le carnet de service a disparu, une pratique malheureusement commune aux Etats-Unis. La voiture a l’air bien entretenue, le séparateur d’huile vient d’être changé. Les préliminaires administratifs ayant été réglés au préalable, l’omelette est désormais mienne, prête à cruiser sur les boulevards et dévorer les freeways, le tout dans le plus strict respect des lois locales.

Les premières heures de cohabitation ne vont pas sans mal. Après une poignée de miles, une fente est apparue à la surface du pare-brise, avec une petite trace d’impact proche du montant. Impossible d’avoir manqué ça lors de l’inspection avant achat. Le lendemain, en manoeuvrant pour parquer la voiture dans un shopping mall, la colonne de direction émet un bruit sinistre. Hypothèse probable : un appendice en plastique a dû être guillotiné dans la manœuvre. Il se baladera de façon sonore pendant quelques jours à chaque rotation du volant avant d’aller se coincer providentiellement je ne sais où. Tout fonctionne, pourvu que ça dure.

L’omelette est ainsi mon seul moyen de transport, et s’en accommode avec docilité. Dodo-boulot-dodo, trafic des heures de pointe, courses au supermarché, balades sur les petites routes de la péninsule, longs trajets autoroutiers occasionnels. La voiture offre une très bonne visibilité pour un coupé sport et est maniable grâce à un rayon de braquage digne d’un Segway (Porsche annonce 10.6m). La direction engage d’ailleurs un peu dans les manœuvres serrées, probablement une résultante de la géométrie du train avant. La garde au sol vous met à l’abri des rampes d’accès et gendarmes couchés du cru, même si la partie inférieure du bouclier porte les stigmates de quelques rencontres involontaires avec des surfaces plus dures que le plastic. La capacité du coffre avant est un peu chiche, profond mais étroit. Les dossiers rabattables des places arrière offrent un volume appréciable, mais la faible ouverture permise par les sièges avant interdit l’insertion d’objets de trop gros volume. Une valise de voyage rentre, au prix d’une consultation chez votre chiro pour votre lumbago.

 

Les sièges monocorps sont sveltes et peu profonds mais offrent un maintien latéral correct, sans plus. L’appui lombaire est insuffisant et malheureusement pas réglable. Plus dérangeant encore est l’absence de tout réglage de la partie supérieure du dossier. Il est permis d’avoir des doutes quant à l’efficacité de l’appui-tête en cas de choc arrière : gare au coup du lapin. Les grands gabarits pourraient manquer de recul et de garde au toit s’ils dépassent 190 cm. J’ai été surpris de voir certains de mes passagers avoir beaucoup de mal à caser leur genoux devant la boite à gant et leur tête sous le joli ciel de toit en alcantara. Est-il utile de préciser qu’ils étaient assis à l’avant ? Les strapontins arrière sont symboliques, plus 2+0.5 que 2+2. Le transport d’une personne de petite taille pour un trajet court n’est concevable qu’à certaines conditions : un passager avant pas trop grand, et un nain contorsioniste à l’arrière. Un traitement à réserver à vos meilleurs ennemis.

L’instrumentation est bonne, mais l’affichage digital de la vitesse rend le tachymètre analogique presque inutile et l’absence d’un thermomètre de température d’huile est impardonnable sur une voiture de cette vocation. L’adoption du refroidissement à eau – la 996 est la première 911 à ne plus refroidir son moteur directement avec de l’air – a visiblement fait oublier l’essentiel aux ingénieurs, un simple ajout à l’ordinateur de bord eut été pourtant une solution fort simple. Rien de sexy pour autant, le rétro-éclairage jaunâtre fleure bon les années 80, et certains détails ergonomiques laissent franchement à désirer : la rangée gauche de contacteurs, notamment celui – stratégique – du Porsche Stability Management sont masqués par la jante du volant.

Sur les revêtements dégradés – voire délabrés – qui habillent certains axes de la cinquième économie de la planète, l’amortissement est assez sec et filtre mal les inégalités, mettant en exergue une finition intérieure très moyenne, tant par le choix de certains matériaux que de leurs assemblages. Le contraste avec les gros progrès accomplis sur la Porsche 997 et la Cayman S est flagrant. D’autres détails font un peu léger : les commodos de clignotants et essuie-glaces ont la rigidité d’une nouille trop cuite, et les chétives agrafes des velcros maintenant en place les sièges arrière ont démissionné, on ne peut guère leur en vouloir.

Un peu rétif à froid, le 6 cylindres à plat semble toujours hésiter avant de démarrer, avec parfois ce « chklonk » caractéristique qu’on entend aussi sur les 997. Quelques à-coups occasionnels peuvent aussi être ressentis sur les premiers mètres. L’absence d’inertie et le couple modéré à très bas régime demandent une certaine vigilance: je confesse quelques calages lamentables. Le dosage des gaz est aussi parfois un peu hésitant, comme si la pédale d’accélérateur avait une réponse non-linéaire. Ces quelques défauts mineurs mis à part, les prestations du boxer 3.6 de la Carrera sont excellentes. Souple, coupleux, bourré de caractère, il est à l’aise dans toutes les situations, à 1500 tours en sixième comme à 7000 tours en 3. Les reprises sont charnues, les montées en régime brillantes, avec un beau crescendo du côté oriental du compte tours. La sonorité d’origine est très attachante, rauque, avec ce sifflement asthmatique caractéristique, comme si l’échappement avait des fuites. Pas d’artifice acoustique comme la crécelle d’une M3 ou le concerto d’un V12 Aston, on fait dans le macrobiotique chez Porsche : rien que du naturel. De ce point de vue, la 996 fait partie de ces grandes voitures qui n’ont pas besoin d’être poussées dans leur dernier retranchements pour distiller un réel plaisir de conduite. Heureusement d’ailleurs, nous le verrons plus loin.

Grâce à un poids contenu (1370kg annoncés), les accélérations et reprise sont de premier ordre, en témoignent ce 0-160 mesuré en 11.3s sur un GTechPro RR. La boîte est à l’unisson, avec des verrouillages précis et relativement rapides, même si le passage 3-4 n’est, sur cet exemplaire du moins, pas aussi limpide qu’on le souhaiterait. La motricité est excellente, le poids et la position du moteur en porte-à-faux arrière n’y sont pas étrangers, tout comme la monte pneumatique arrière généreuse (285/30/18 en option), mais des provocations sur les deux premiers rapports – à fortiori sur chaussée humide –  viendront à bout du grip des gros boudins. L’intervention du contrôle de stabilité/antipatinage PSM est assez brutale, bien moins subtile que BMW n’a su le faire sur la M3 par exemple. Peut-être est-ce le seul moyen d’empêcher la sanction du tête-à-queue ?

Depuis 1963, la Porsche 911 perpétue ce qui, à bien des égards, peut être considéré comme une aberration technique : un moteur en porte-à-faux arrière. Alors que la plupart des voitures de sport ont un moteur central, c’est-à-dire situé en quelque part entre l’essieu avant et l’essieu arrière, le 6 cylindres boxer des 911 est logé derrière les roues arrière, à l’instar d’une VW Coccinelle ou d’une Trabant.

L’avantage est de permettre un packaging attractif (un coupé « 2+2 » de 4.46m) et un gain en motricité. Le désavantage, théorique, est une répartition des masses fortement reportée sur l’essieu arrière (plus de 60%), un moment d’inertie important (la masse du moteur est éloignée du centre d’inertie) et des transferts de poids accentués entre les phases d’accélération et de freinage.

Au fil des générations, les ingénieurs de Porsche ont réussi à rendre la Carrera plus sûre et plus rapide, atténuant par la conception et les aides électroniques (le PSM est optionnel) les aspects les plus traîtres de cette configuration. Toutes les maladresses ne seront pas pardonnées, mais la voiture est globalement saine et sûre à des rythmes de conduite raisonnables. C’est lorsque la cadence augmente que les choses se corsent. Trait commun aux berlinettes à moteur central comme une F355 ou une 360 Modena, les changements d’appui en freinage sont à surveiller, avec un risque accru de décrochage brutal dû au balourd logé dans le pare-choc arrière. Ce même balourd va plaquer les roues arrières au sol en accélération, avec pour corollaire un allègement de l’avant. La résultante est une tendance tenace au sous-virage en accélération. Epingle suivie d’une rectiligne ? Pas de problème, il suffit de ne pas prendre une ligne géométrique et de privilégier la sortie, comme sur toutes les voitures puissantes. Enchaînements rapides ? Terriblement frustrant: dès qu’on ouvre en grand depuis le point de corde, l’avant devient flou et finit par élargir la trajectoire. Si vous prenez votre pied à carver de belles trajectoires en vous appuyant sur un avant incisif, la 996 sera une conquête difficile et vos courbes risquent de finir en polygones. Ajoutez des changements d’assiette prononcés dans la troisième dimension, et une certaine impression de brouillon s’installe.

 

 La bonne nouvelle, c’est que la recette existe. Probablement. Entre une presse spécialisée dithyrambique, des légions d’inconditionnels et un palmarès probant, l’espoir est permis. La mauvaise : la quête du Graal est une entreprise – ou pénitence – à l’issue incertaine. Même si on finit par comprendre, est-ce que le plaisir sera au rendez-vous ? La réponse viendra peut-être après un solide régime de sorties sur circuit. Dans l’attente de cette révélation, la Porsche Carrera conjugue praticité et caractère avec un brio qui la rend attachante au quotidien, mais un peu décevante à l’attaque. Le reflet impitoyable de compétences de pilotage qui ne sont pas faciles à assimiler. Miroir ô miroir, saurai-je un jour te conduire ?

Entretien et fiabilité

Essence: la consommation reste très raisonnable pour un 3.6L, j’ai mesuré 11.1 L/100km sur 3000km de trajets variés, avec un minimum à 9.6 L/100km sur un plein. Le réservoir de 64 litres autorise ainsi une autonomie de 450 à 500 km en trajets mixtes. L’ordinateur de bord est un chouïa optimiste (4-5%).

Pneumatiques: une rencontre inopinée avec une vis parker m’a forcé à changer un peu prématurément les Conti Sport Contact 2 arrières pour 624.85$ montés/équilibrés, soit environ 800 CHF pour une paire de 285/30/18. J’espère tirer 10’000km des arrières et 20’000 des avant.

Services : un petit service (15’000 miles) dans le réseau officiel m’a coûté un peu moins de 600$ (780 CHF), pièces et main d’œuvre. La facture aurait pu être significativement plus salée, Porsche ayant gracieusement prix sous garantie un remplacement du trop fameux RMS (Rear Main Seal, le joint assurant l’étanchéité entre vilebrequin et bloc à la jonction avec la boîte à vitesses). Les fuites de RMS sont LE gros problème de fiabilité des moteurs de 996 (sauf Turbo & GT3 qui sont épargnées). L’historique de garantie de cet exemplaire montre que le joint a été changé en Janvier 2005 (39’000 miles), Août 2005 (44’800 miles). Rebelote donc à 48’000 miles, cette fois avec une nouvelle spécification (un joint de GT3 à double lèvre) qui, peut-être, éradiquera le problème. Le chef technicien du concessionnaire reste dubitatif, encourageant. L’opération coûtant une somme conséquente en main d’œuvre, elle est souvent mise à profit pour changer préventivement les disques d’embrayage, ce qui fut le cas sur cette voiture : après vérification, il sont en parfait état. On salue la démarche commerciale de Porsche qui, à défaut d’avoir su corriger un problème notoire depuis la sortie de la 996, assume ses responsabilités.

Disques de frein : avec près de 80’000km dans les jambes, les disques approchent de leur cote limite. Pas de talon ou d’irrégularité de surface, mais le prochain changement de plaquettes se traduira par une facture salée: environ 1000$.

 

Mise à jour – Septembre 2006

Première sortie sur circuit à Thunderhill et bilan réjouissant: la 996 passe l’épreuve avec les honneurs. L’effet indésirable de la répartition des masses – un sous-virage tenace sous forte accélération en 2ème ou 3ème – passe complètement inapperçu. La raison ? Des accélérations paradoxalement beaucoup plus progressives que sur la route. Les appuis étant beaucoup plus proches de la limite d’adhérence sur piste que sur une brettele d’autoroute, la remise des gaz est forcément plus graduelle, ce qui atténue le cabrage est permet aux roues avant de conserver leur grip. Le comportement dans ces conditions particulières est réjouissant, avec une motricité remarquable en sortie de virage, une bonne stabilité au freinage et à la prise d’appui. Un chouïa plus d’allonge aurait été bienvenu, il m’est arrivé de buter dans le limiteur à fond de 2 à plusieurs reprises. La commande de boîte s’est aussi avérée un peu floue, faute de vouloir trop guider le levier. Les freins sont endurants mais, malgré une purge récente, le liquide de frein donne une consistence spongieuse à la pédale du milieu, rendant le talon-pointe difficile en fin de séance.

Après chaque séance, gros nuage de fumée blanche au redémarrage. Huile ? Eau ? Aucune explication logique sur le sujet, même si la chose est, paraît-il, “normale”. En usage quotidien, la 996 donne cependant quelques inquiétudes sur sa fiabilité à moyen terme. L’embrayage – contrôlé au changement du RMS – est devenu inconstant, manquant parfois de progressivité, au point que j’ai câlé au moins une douzaine de fois en quelques semaines. Des à-coups à la levée des gaz sont également apparus. Caractère 911 ou signes avant-coureurs de grosses factures voire pannes ?  Il est possible que je n’attende pas le verdict et passe à l’offensive: 997 Carrera S ou 996 Turbo ?

La conso s’est stabilisée à 11.49 L/100km sur 6700km, avec des extrêmes à 9.2L/100km (déplacement à Thunderhill) et 22.96 L/100km (déplacement sur Thunderhill).

Epilogue

Après une sortie à Infineon Raceway qui illustrera à nouveau des incompatibilités d’humeur entre le comportement de la Carrera et mes goûts (ou aptitudes), surtout dans la longue accélération à la sortie du virage 6, après une aggravation du côté caractériel de l’embrayage (système hydraulique ?), de l’instabilité du ralenti (capteur de masse d’air ?) et la réputation funeste des 3.6L Carrera à l’approche des 100’000km, j’ai mis en vente la Carrera 2 à la cote ‘particulier’ de l’Argus américain, le Kelley Blue Book. Malgré l’état apparemment irréprochable de la voiture, aucun appel. Au total, deux curieux viendront voir la voiture. Les semaines puis les mois passent, et je finirai par la négocier avec un concessionaire en reprise contre une 996 Turbo. Sans le moindre regret.

Durée 9 mois (4/2006-1/2007)
Kilométrage parcouru 9651 km
Dépréciation 16250 CHF (26.5% du prix d’achat)
Frais d’entretien 1580 CHF
Consommation 11.53 L/100km (1335 CHF)
Frais fixes (assurances, taxes) 2700 CHF
Coût au kilomètre 2.26 CHF/km

 

Caractéristiques techniques

Moteur 6 cylindres à plat, 3596 cm3
Puissance 320ch à 6800 t/min
Couple 370Nm à 4250 t/min
Pneumatiques 205/50/17 & 255/40/17 (origine), 225/40/18 & 285/30/18 (option)
Consommation mesurée 11.1 L/100km
Poids à vide 1370kg
Vitesse de pointe 285 km/h
Accélération 0-100km/h 5.0s
Prix de base 119350 CHF
Cote Comparis 67500 CHF (911 Carrera 2 01.02, 80’000km, 15’000 CHF d’options)

Galerie de photos

Liens

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