La 918 Spyder, incarnation parfaite de la stratégie E-Performance de Porsche.
La rage. Alors que Richard Lietz enquille les rapports sur le long rectiligne du circuit de Portimao, sur la côte sud du Portugal, le timbre hargneux du V8 de la 918 Spyder résonne dans la caisse en carbone. Au freinage, le chuintement du système hybride vient se mêler aux jappements déclenchés par la boîte PDK. Il se renforce encore à la réaccélération en montée qui suit. Le cocktail est presque insolite, mêlant le son agressif d’un moteur à combustion avec le sifflement des moteurs électriques. La mise en vitesse est très impressionnante, l’allonge et la constance de la poussée incroyables.
Le bruit me rappelle la Ferrari 458, ce qui n’a rien d’une coïncidence puisque les ingénieurs de Porsche ont également retenu un vilebrequin plan, en substitution aux vilebrequins à plans croisés qui équipent les V8 des Panamera et Cayenne. Ce groupe atmosphérique de 4.6 litres est issu directement de la RS Spyder qui concourrait en LMP2 entre 2005 et 2010. Il développe 504 Nm à 6700 t/min, et sa puissance culmine à 608 chevaux à 8700 t/min. Son implantation centrale arrière est combinée avec un dessin innovant de la ligne d’échappement, dont les sorties en biseau sont logées au-dessus du capot moteur. Et ça s’entend.
Taillé pour être cravaché à haut régime, il serait probablement très creux si il n’était épaulé par deux moteurs électriques pour muscler le couple à bas régime. Seul le bruit des moteurs trahit la présence de moteurs électriques. A défaut, le 4.6L passerait pour un V8 atmo à la fois incroyablement plein à bas régime et virtuose entre 5000 et 9000 t/min.
A l’avant, un moteur synchrone entraîne les roues par un simple réducteur. Il atteint son régime maximum de 16’000 t/min à 265 km/h puis se désengage. Il développe 129 chevaux et, plus crucialement, 210 Nm entre 0 et 3500 t/min. A l’arrière, un autre moteur est, lui, monté en sandwich entre le V8 et la boîte PDK 7. Un système d’embrayages à sec permet de coupler indépendamment le moteur à combustion, la machine électrique ou la paire à l’arbre moteur de la boîte. Le couple nominal est de 375 Nm de 0 à 2000 t/min et la puissance culmine à 156 ch. Le moteur électrique arrière couvre la même plage de régime que le moteur à combustion: 9150 t/min.
Les deux moteurs électriques sont couplés à un pack de batteries Lithium Ion de 6.8 kWh logé transversalement juste derrière les deux baquets, le plus bas possible pour abaisser le centre de gravité. Il pèse 138 kg, portant le poids DIN de la 918 Spyder à 1634 kg DIN avec le pack Weissach. La caisse en carbone contribue à contenir le poids à un niveau compétitif pour le segment. Lietz applique un pilotage propre mais pas exagérément agressif. Du siège passager, la 918 paraît assez neutre dans ses réactions quoi qu’un peu lourde sur certaines compressions, mais Lietz explique qu’elle devient extrêmement pointue quand on s’approche de ses limites, à fortiori si l’ESC puis le Traction Control sont déconnectés.
La présence de Richard Lietz à mes côtés n’a rien d’un hasard. Pilote d’usine Porsche depuis 2007, multiple vainqueur de classe au Mans et à Daytona, l’autrichien écume les circuits dans différentes catégories, notamment aux 24 Heures du Nürburgring 2011 sur la 911 GT3 R Hybrid. Une voiture dont il garde un souvenir ému, la meilleure qu’il a eu l’occasion de piloter en compétition. Des accélérations féroces en sortie de courbe qui rendaient les dépassements dérisoirement faciles sur la Nordschleife, et une motricité imparable sous la pluie.
Pourquoi donc Porsche prend-il le risque de confier à une brochette de journalistes suisses sa précieuse hypercar ? En annonçant le 23 Septembre l’abandon définitif du diesel pour la gamme Porsche, Oliver Blume, CEO de Porsche, fait le pari de l’électrification en se reposant sur deux piliers: les électriques comme la Taycan et sa déclinaison Cross Turismo d’une part, et surtout les hybrides rechargeables d’autre part. La part des déclinaisons hybrides du Cayenne et de la Panamera est extrêmement élevée, dépassant les 60% en Europe. En regard de diesels qui n’ont jamais vraiment collé à l’image sportive et technologique de Porsche, la décision paraît pertinente en termes d’image.
Cap hybride, donc, et il n’y a de meilleur porte-étendard que la 918 Spyder pour supporter la stratégie de l’E-Performance, la performance électrifiée: le halo d’une hypercar, et des solutions techniques que l’on retrouve aujourd’hui dans la gamme actuelle.
Les 918 exemplaires de l’hypercar hybride de Porsche furent vendus et fabriqués en 21 mois, dont 43 ont été immatriculés à neuf sur le marché suisse. Cet exemplaire est le châssis 000, mais les instruments indiquent le no 926, ce qui trahit le contingent de voitures utilisées pour le développement et la validation.
Mon tour vient ensuite de prendre le volant, toujours avec le même Richard Lietz, mais cette fois en lièvre dans une GT3 RS. Une auto de cette valeur ne se confie pas sans un cadre strict et les conditions d’assurance imposent la présence d’un pace car.
La position de conduite est un peu verticale à mon goût dans cet habitacle confiné, mais la largeur suffisante pour ne pas être coude-à-coude avec le passager. Un large écran tactile occupe la très haute console centrale, alors que le tout petit levier de sélection, d’apparence similaire à celui de la nouvelle 992 Carrera S, est monté sur la planche de bord, flanqué d’un bouton Park, permet de sélectionner le sens de marche. Autre curiosité, un écran fortement incurvé à la droite du combiné d’instrument affiche la carte de navigation et l’image de la caméra de recul dissimulée dans le diffuseur en carbone.
Je suis studieusement les instructions en quittant le pitlane de Portimao en mode électrique, passage obligé pour bien souligner le caractère hybride de la 918. Une simple rotation d’un quart de tour à gauche du bouton sur le volant Sport GT permet de sauter du mode E au mode Race. Ici, pas de chichis: c’est Electric, Hybrid, Sport ou Race. Le son du V8 explose instantanément dans la cabine. Être emmené en passager par un pilote professionnel est une chose, mais être au volant d’une voiture de cette valeur et de ce niveau de performances aiguise les sens.
Portimao est un circuit très vallonné, avec de forts gradients ascendants et descendants, plusieurs virages aveugles et un long rectiligne d’un kilomètre devant les stands. Après un premier tour d’acclimatation à un rythme roulant, Lietz aborde le dernier grand droit plongeant à faible vitesse (le compteur indique 111 km/h) puis me donne le signal en rétrogradant et en accélérant à fond avec sa GT3 RS. Je descends une vitesse et accélère franchement. Exactement dix secondes plus tard, le compteur affiche 248 km/h et je lève le pied pour maintenir la distance de sécurité imposée, destinée à éviter l’impensable au freinage de Primeira.
Inaudibles sur la vidéo, les freins PCCB font beaucoup de bruit mais l’attaque à la pédale est naturelle, plus qu’elle ne l’est parfois sur les Porsche hybrides contemporaines dont le système de répartition est différent. Le rythme imposé n’est pas assez soutenu pour sentir un quelconque transfert de masses, mais les réactions me paraissent naturelles, et la linéarité des reprises met en confiance. L’accélération est le reflet fidèle et docile des consignes du pied droit, et la puissance système paraît parfaitement maîtrisable.
Ma plus grosse gêne vient de la boîte qui, malgré mon usage des palettes, continue à imposer en sus des changement de rapport assez agressifs. Impossible de détourner le regard de la GT3 RS Viper Green qui me devance, ce n’est qu’une fois de retour aux stands que je découvrirai que le vrai mode manuel est à imposer par un bouton logé sur la gauche du volant, une configuration inédite chez Porsche. La sonorité est prenante, mais pas particulièrement mélodieuse en comparaison avec les vocalises du V10 d’une Audi R8, d’un V12 de Lamborghini Aventador ou, pinacle inoubliable de la sonorité automobile, le V12 de la Ferrari F12.
La 918 Spyder est la première voiture de série à avoir brisé la barre des 7 minutes sur la Nordschleife, un record depuis battu, le plus récemment par la GT2 RS MR. Ses concepteurs ne savaient sans doute pas, à l’époque, que l’électrification allait s’accélérer au rythme que nous connaissons aujourd’hui. L’histoire automobile nous dira si son rôle aura été double: première hypercar hybride de Porsche, et peut-être dernière hypercar incorporant un moteur à combustion ?
Face à la concurrence
Porsche 918 Spyder | McLaren P1 | Ferrari LaFerrari | |
Moteur | V8 4593 cm3 | V8 biturbo 3799 cm3 | V12 6262 cm3 |
Puissance ch / t/min | 608 / 8700 | 737 / 7300 | 800 / 9000 |
Couple Nm / t/min | 504 / 6700 | 720 / 4000 | 700 / 6750 |
Moteurs électriques | AV + AR | AR | AR |
Puissance électr. | 129+156=285 / 6500 | 179 | 163 |
Couple électr. | AV: 210 / 0-3500 AR: 375 / 0-2000 |
260 | 270 |
Batterie kWh | 6.8 | 4.7 | 2.3 |
Puissance système | 887 / 8500 | 916 | 963 |
Couple système | 917-1280 | 900 | 900 |
Transmission | ePTM | AR | AR |
Boite à vitesses | PDK 7 | SSG 7 | F1 7 |
RPP (kg/ch) | (1.84) | NC | NC |
Poids DIN (constr.) | (1634*) | (1395**) | (NC) |
0-100 km/h | 2.6 | 2.8 | <3 |
0-200 km/h | 7.2* | 6.8 | <7 |
0-300 km/h | 19.9* | 16.5 | 15 |
Vitesse max. (km/h) | 345 | 350 | > 350 |
Conso. mixte (constr.) | (3.0*) | (8.3) | NC |
CO2 (g/km) | 70* | 194 | 340 |
Réservoir (l) | 70 | N.C. | N.C. |
Longueur (mm) | 4643 | 4588 | 4702 |
Largeur (mm) | 1940 | 1946-2144 | 1992 |
Hauteur (mm) | 1167 | 1188 | 1116 |
Empattement (mm) | 2730 | 2670 | 2650 |
Coffre (L) | 110 | 120 | 100 |
Pneumatiques | 265/35 ZR 20 325/30 ZR 21 |
245/35 ZR19 315/30 ZR20 |
265/30 R19 345/30 R20 |
Prix de base (CHF) | – | 1’216’000 | – |
Prix de base (EUR) | 724’900 | 1’072’000 | 1’250’000 |
Ventes | 918 | 375 | 499 |
* poids avec le pack Weissach ** poids à sec
Nos remerciements à Porsche Suisse pour l’invitation à cet essai de la 918 Spyder.
Galeries de photos
Afficher la galerie de photos Afficher la galerie de photosLiens
Le sujet du forum – les articles Porsche – la liste des essais – les essais relatifs: