Essai Dodge Challenger RT: l’autre muscle car

Essai du troisième muscle car du trio de Detroit: la Dodge Challenger RT. 

La Dodge Challenger est considérée comme la réponse – tardive – de Chrysler à la Camaro de Chevy et la Mustang de Ford. Lancée en 1970, le modèle ne survivra pas à la crise du pétrole et subira le sort de tous les dinosaures, écrasé par la masse de ses V8 (les plus gros atteindront 7.2L de cylindrée). La deuxième génération (1978-1983) est à classer dans l’inventaire du pire de la production automobile américaine. Chrysler attendra jusqu’à 2008 pour raviver la Challenger avec un style néo rétro très affirmé. En termes de performance commerciale sur son marché domestique, la Challenger porte toutefois bien son patronyme : les volumes de ventes sont deux à trois fois inférieurs à ceux des concurrentes directes de Ford et Chevrolet.

De la Californie au sud du Nevada, on voit pourtant beaucoup de Challenger, subjectivement autant que les ubiquitaires Mustang et les disciples de Bumblebee. La Dodge a pour elle un dessin pur qui rend magnifiquement dans ce coloris Header Orange. La ligne est d’une grande simplicité, reliant d’un trait calandre et bouclier, sans nervure ou contre-volume. Pas de bas de caisse, pas de passages de roues proéminents, il n’y a que ce décrochement à l’approche du train arrière qui permet à la ceinture de gravir la pente l’amenant au coffre. Même constat sur la face avant, avec ses deux lignes parallèles, ponctuées aux extrémités de deux paires d’optiques circulaires. Leur renforcement, une sorte de froncement de sourcil, donne un air menaçant et agressif à l’auto. On retrouve la même veine épurée dans le bouclier arrière, avec un bandeau lumineux monobloc. Les autocollants noir mat (side stripes) sont optionnels et habillent le profil de manière réussie. Affaire de goût, mais à l’écoute des divers commentaires, la Dodge Challenger marque de gros points dans le registre esthétique. Les jantes de 20 pouces chaussées en 245/45 sont optionnelles et remplacent avantageusement la monte standard en 18’’.

 

La Challenger est taillée au gabarit des Muscle Cars : grande à l’extérieur, exigüe à l’intérieur. Avec plus de 5m de long, elle dépasse une Mustang mkV de cinq bons centimètres, elle est également large (plus de 1.90m), mais la place à l’intérieur est comptée, au point où l’installation d’adultes à l’arrière tient de la pure gageure, surtout par le manque de hauteur. Le coffre par contre est profond et, hormis un seuil de chargement plus haut qu’une barrière à vaches, engloutit passablement de bagages.

Un muscle car, c’est non seulement une gueule, mais également le ralenti syncopé d’un V8 dont le couple de renversement devrait suffire à brasser les glaçons baignant dans un demi-litre de soda bien sucré. La Challenger a certainement le physique de l’emploi, mais s’ébroue sans esbroufe particulière, le moteur se stabilisant bien vite sur un ralenti discret. Cette Dodge est livrable avec deux transmissions, une boîte manuelle à 6 rapports et une boîte automatique à 5 rapports. Le cas de cette dernière, une option facturée 1200$, est à régler sans ambages : exécrable, un ratage redoutable. Elle cumule presque tous les défauts qu’on pourrait reprocher à ce type de transmission. La grille en escalier se termine sur une position Drive avec sélection manuelle par déplacement latéral.

Le premier grief se traduit par un symptôme discret mais révélateur du reste : la sélection de la marche arrière ou avant étant suivie, avec un temps de retard perceptible, par la réaction du convertisseur de couple qui met la transmission sous tension. Quelle que soit la direction de marche – de préférence avant, la visibilité arrière étant médiocre, le démarrage se fait dans une relative douceur, mais pas les premiers changements de rapports. Le verrouillage précipité du convertisseur ponctue chaque montée de rapport, même en conduite paisible, d’un à-coup vers l’avant très perceptible. En décélération, la boîte tente parfois de faire illusion en descendant un voire deux rapports, mais l’absence d’égalisation de régime résulte dans une plantée maladroite, suivie par un temps mort interminable où la logique de commande maintient le rapport avant d’éventuellement se raviser. A l’inverse, elle tient parfois la cinquième jusqu’à l’absurde, tablant sur un couple moteur trop faible pour une démultiplication finale qui n’est pourtant pas déraisonnablement longue.

   

L’utilisation des palettes montées derrière le volant n’est pas un palliatif valable. Contre toute logique, une action sur la palette de droite ne force pas le passage de la vitesse supérieure, mais seulement l’activation du mode manuel. Il faut donc tirer sur la palette deux fois de suite pour forcer une montée de rapport depuis le mode Drive. Un retour au mode automatique n’est possible que depuis la cinquième, ou au levier. Le bouton Sport au pied de la planche de bord n’amène aucun répit, il reproduit les mêmes défauts, mais à des régimes un peu plus élevés.

Dans cette exécution, le rapport supérieur est relativement long, tirant 80 mph (129 km/h) à 2500 t/min, permettant ainsi de croiser sur autoroute en toute décontraction sans trop consommer – toute proportion gardée – de regular unleaded. Comme de coutume chez les constructeurs nord-américains, le catalogue regorge d’options, notamment des variations de rapport de pont (3.73 et 3.92). A l’autre extrême, la première et la deuxième sont relativement courtes pour privilégier les démarrages. Le trou entre troisième et quatrième est béant, accentuant encore les défauts intrinsèques de la gestion de chaque passage.

Au terme de ma première semaine de cohabitation, le moteur me laisse mi-figue, mi-raisin, somme toute assez comparable au V6 de 3.6L de la Mustang mkV. Aux régimes usuels, il produit une sonorité lisse, souvent dominée par le bruit de la distribution. Je perçois la rondeur distante de l’échappement, mais l’admission est trop muselée pour lui donner la répartie et former un ensemble cohérent. Il n’y a qu’à pleine charge que le travail acoustique suscite quelque compliment, donnant un peu de galon à une mécanique plutôt insipide. Une surprise survient alors en soulevant le capot pour la couverture photographique : je découvre éberlué sous le capot que la R/T est bien équipée d’un V8 Hemi de 5.7L. A ne pas confondre avec la SRT8 équipée du V8 HEMI de 6.4L, mais en théorie bien plus affriolant que le V6 Chrysler de 3.6L.

Mon référentiel s’en retrouve chamboulé : le moteur n’est plus à replacer dans le contexte des V6 d’entrée de gamme, mais bien des V8 pure bœuf des trois grands de Detroit. La méprise est à la fois embarrassante et révélatrice du manque de personnalité du V8 HEMI dans cette exécution, puisqu’il arrive sans peine à se faire passer pour un V6. La fiche technique revendique un couple maxi de 542 Nm à 4400 t/min et une puissance de 372 chevaux à peine 800 t/min plus haut. A la décharge du 5.7L, il a fort à faire pour déplacer une caisse de 1852kg, soit allègrement 200kg de plus que ce que Ford revendique pour la Mustang GT mkV. La Challenger RT semble donc être un mauvais compromis entre une V6 paisible mais abordable, et un SRT8 au charisme incomparable.

Skyline Boulevard est une des rares routes à arsouille de la baie de San Francisco. Démarrant depuis la highway 92 menant à Half Moon Bay, cette route serpente sur la crête de la péninsule, s’enfonçant graduellement dans une épaisse forêt de conifères. La route est très sinueuse par endroit, mais pas trop étroite, permettant de tutoyer les limites d’adhérence sans tutoyer des vitesses coupables. Empruntée par un cocktail un brin inquiétant de cyclistes, de motards et de divers roadsters le week-end, Skyline est désert la semaine, hormis les quelques ermites qui vivent dans des ranches reculés. En augmentant la charge à l’entame des premiers enchaînements, j’espère permettre au moteur de donner plus de voix, mais même en entre-ouvrant la fenêtre ou le toit, c’est le bruit de la distribution qui domine. L’admission est complètement étouffée, rendant une copie définitivement peu flatteuse. Malgré le poids, la Challenger prend peu de roulis et le grip est important, mais la direction complètement amorphe – frigide, osons le mot – n’incite pas à s’appuyer sans réserve sur le train avant. Pas de son, pas de feeling, je peux rouler vite, mais je m’ennuie ferme. Une sorte d’exercice de dissection sur cadavre, on ne ressent rien de vivant sous les doigts. A Alice’s Station, je bifurque à droite sur 84 pour descendre sur La Honda. Les courbes sont ici plus rapides, mettant plus en relief le manque de maintien des sièges que les qualités de ce châssis à l’aspartame. Aucune émotion, aucune implication, j’ai juste l’impression d’être passager de cette grande barge, voguant tel un raft dans les méandres de la 84.

Dodge équipe la Challenger RT d’un différentiel à glissement limité qu’en conjonction avec la boîte manuelle à 6 rapports, mais il n’est guère difficile, une fois le contrôle de stabilité déconnecté, de faire décrocher les deux roues arrière en démarrant pied dedans. L’honneur est sauf, la Challenger RT est capable de laisser un peu de gomme au sol si on a le pied lourd au démarrage, mais l’exercice n’est guère exaltant, tout comme la pénibilité affichée par le 5.7 lorsqu’on l’emmène jusqu’à son régime de puissance maxi. Le contraste avec le caractère bonhomme du HEMI 6.4L équipant les modèles SRT8 – dont la Jeep Cherokee – est radical, bien plus que la différence de cylindrée ne le laisserait supposer.

Sur longue distance, la Challenger RT est raisonnablement agréable et sobre (11.4 L/100km sur les 3600 km de cet essai). Je n’ai pas constaté de qualité particulière, ni remarqué de défaut rédhibitoire. La finition de l’intérieur est correcte pour la catégorie, subjectivement meilleure que sur une Mustang, mais l’habillage des sièges – très probablement en skai, Dodge n’utilise le terme « cuir » que pour le volant et le levier de vitesse – ne parait pas particulièrement résistant à l’usure.

  

Dernière étape de ce périple, Mullholland drive, au sommet de la longue colline séparant Los Angeles de la vallée de San Fernando. Le revêtement de la célèbre petite route est dans un état déplorable, soulignant l’amortissement ferme. L’intégrité structurelle est bonne, tout comme l’assemblage de l’intérieur qui ne couine pas. La Challenger y démontre une supériorité indéniable par rapport à la Mustang mkV, son essieu rigide et ses redoutables déhanchements au passage d’inégalités.

Alors Challenger ou Mustang ? La Dodge Challenger n’est pas importée officiellement dans la vieille Europe, le modèle ne cadrant pas du tout avec la stratégie de badge engineering qui sous-tend les noces entre les marques des groupes Fiat et Chrysler, avec pour fruit des produits tels que les Lancia Thema ou Flavia. C’est un désavantage de taille face à la Chevrolet Camaro et à la toute nouvelle Ford Mustang mkVI, toutes deux importées officiellement en Suisse. L’importation directe reste possible, mais est devenue nettement moins intéressante économiquement pour les voitures neuves depuis que le couperet de la taxe CO2 est tombé le 1er juillet en 2012. Même auparavant, les immatriculations à neuf de Challenger en Suisse étaient en net retrait par rapport aux deux autres muscle cars. Hormis sa ligne séduisante, il est bien difficile de trouver des qualités marquantes à cette Dodge Challenger RT qui rentre dans sa sixième année de production et parait plus que mûre pour un remplacement.

Face à la concurrence

Dodge Challenger RT Ford Mustang GT mkV Chevrolet Camaro 1SS
Moteur V8 – 5654 cm3 V8 – 5000 cm3 V8 –  cm3
Puissance (ch / t/min) 372 / 5200 420 / 6500 426 / 5900
Couple (Nm / tr/min) 542 / 4400 529 / 4250 569 / 4600
Transmission AR AR  AR
Boite à vitesses 5 aut. / 6 man. 6 man. / 6 aut.*  6 man. / 6 aut. **
RPP (kg/ch) (4.98) (3.90) (4.16)
Poids DIN (constr.) (1852) (1641) (1772)
0-100 km/h (sec.) N.C. N.C. N.C.
Vitesse max. (km/h) N.C. N.C. N.C.
Conso. Mixte (constr.) 11.4 (13.1) (12.4) (12.4)
Réservoir (l) 72.2 60  71.9
Emissions CO2 (g/km) N.C. N.C. N.C.
Longueur (mm) 5023 4788  4836
Largeur (mm) 1923 1877  1917
Hauteur (mm) 1449 1417  1377
Empattement (mm) 2946 2720  2852
Coffre (L) 459 380 338
Pneumatiques AV 235/55 R18 215/65 R17 245/55 R18
Pneumatiques AR 235/55 R18 215/65 R17  245/55 R18
Prix de base (USD) 29’490 31’210  34’050

Galerie de photos

Liens

Le sujet du forum – les articles Dodge – la liste alphabétique des essais – les essais récents ou relatifs:

              

Tu pourrais aussi aimer