Nous prenons le volant de la Lamborghini Gallardo 5.0.
Ah, l’Emilie Romagne, ses campagnes, ses tracteurs, une rivalité digne de Don Camillo et Peppone entre Ferruccio Lamborghini et Enzo Ferrari, née de l’embrayage récalcitrant d’une 250 GT. Un folklore qui tient autant à la genèse de la marque qu’à la succession de propriétaires jusqu’au rachat par le groupe VW en 1998, aux modèles qui ont marqué leur époque, comme la Miura ou la Countach. Trente-trois ans plus tard, Lamborghini est toujours là, porte-drapeau de l’automobile extravertie.
La Gallardo marqua en 2003 le retour de la marque à un modèle d’entrée de gamme – le terme peut paraître abusif – délaissé depuis les fameuses Urraco et Jalpa. Reprenant les tendances de style de la Murcielago apparue deux ans plus tôt, la Gallardo conjugue avec brio une certaine pureté des lignes et cet inimitable image d’ovni. A la différence des rivales de Maranello, les aérodynamiciens ont été muselés, préservant un sain équilibre entre forme et fonction. Beauté, rareté, la « petite » (4m30 x 1m90 x 1m16 de haut) Lamborghini est un aimant à badaud, témoin d’une exclusivité qui se situe un cran au-dessus de Ferrari. Les couleurs vives comme le jaune ou l’orange nacré sont plus dans l’esprit de la marque que ce noir un peu plat et triste, mais la couleur anthracite des sublimes jantes donne une touche intéressante à l’ensemble.
A l’intérieur, on retrouve des organes communs à la gamme Audi comme la commande de la climatisation ou l’autoradio. Gage de sérieux pour certains, sacrilège pour d’autres. Reste que le style intérieur est plus introverti, le cuir bi ton jaune noir mis à part. Les compteurs sont peu lisibles sans le rétro éclairage couplé aux phares, et les graduations espacées de 30 km/h ne favorisent pas la rapidité de lecture.
Tour de clé, le V10 prend son temps pour s’ébrouer avant de donner de la voix par ses échappements Tubi et se stabiliser sur un ralenti légèrement irrégulier. Dans un parking souterrain, supercar-attitude garantie. Le pare-brise plongeant et l’épaisseur des montants demandent un certain temps d’adaptation, mais la voiture sait se montrer docile, malgré une position de conduite perfectible : difficile de trouver le bon compromis entre la position du volant et celle du pédalier.
Alors, ce V10, pur produit de l’artisanat transalpin ? N’en déplaise aux puristes, nombres d’indices plaident en faveur d’une filiation germanique. L’angle d’équilibre idéal pour un V10 est de 72 degrés, mais celui de la Gallardo est à 90 degrés, comme la plupart des V8, dont ceux d’Audi. Le moteur de la Gallardo conserve une course de 92.8mm, mais l’alésage passe de 84.5mm à 82.5mm, alors que la version de ce même V10 utilisée dans les S6 et S8 conserve précisément la cylindrée unitaire chère à Audi depuis la fin des années 80. Beau tour de passe-passe marketing, c’est plus la Gallardo qui a un moteur Audi que l’inverse. Tous deux partagent la même usine, à Gyoýr en Hongrie. Ni salami ni wurst, pensez plutôt goulash.
Qu’importent les gènes, tant que les prestations sont au rendez-vous. Avec 500ch à 7800 t/min et 510 Nm à 4500 t/min, autant dire que les performances, dans l’absolu, sont plus du domaine de l’aviation de chasse que de l’automobile si on s’amuse à tirer sur les rapports intermédiaires. Depuis 3500 tours, la poussée se fait franche et il devient préférable de garder le regard fixé sur la route, les vitesses atteintes étant inavouables à une heure de grande écoute. Sortez carré blanc, triangle rose, logo rouge et crucifix, car quelque part sous cette robe noire, c’est l’antéchrist du routièrement correct qui rugit de ses dix poumons. Le bruit est très typé, loin du cri primal des V8 Ferrari ou du grondement des V12, avec des harmoniques qui donnent un effet multiplicateur au régime et un bruit d’admission très plein.
Ce moteur sait également se montrer très souple, acceptant d’enrouler en quatrième à 1000 tours sans la moindre mauvaise volonté. L’embrayage est plutôt doux pour la catégorie ; la boîte avec sa grille exposée intimidera un peu le néophyte mais reste relativement facile à manipuler, plus dure qu’une Modena, mais sans la virilité presque excessive d’une Maranello. Comme ses consoeurs, plus les régimes augmentent, plus les passages de rapports sont faciles et rapides. La boîte séquentielle E-Gear, disponible en option, est fréquentable, mais avec une première longue comme le match Suisse-Ukraine de la coupe du monde 2006, il est souhaitable de laisser la survie de l’embrayage aux bons soins de votre jaret gauche.
Rien à redire sur ce V10 allemand sauce bolognaise ? Toutes proportions gardées, certains le trouveront un peu creux en-dessous de 3500 tours, la transition étant autant perceptible depuis le siège conducteur que sur la courbe de couple, au point de faire penser à une mécanique suralimentée. J’ai également été un peu dérangé par des hésitations au lever et à la remise des gaz, dérangeantes en conduite sportive. Peut-être sont elles à mettre au passif de l’échappement Tubistyle, un choix que je trouve personnellement discutable sur la Gallardo : sympathique, mais manquant de raffinement une fois les vitres baissées, et souffrant d’insupportable résonnances à 2000 t/min.
Question comportement, excellente surprise. Je craignais un sous-virage excessif du fait de la transmission intégrale, mais le comportement est au standard des berlinettes à moteur central, avec un avant suffisament incisif pour rentrer fort dans les virages, une motricité de très haut niveau, peut-être trop pour aller chercher les limites de l’enveloppe de comportement sur route ouverte, et cette délicieuse délicatesse de placement au freinage. La direction pourrait être un peu plus directe, mais transmet fidèlement le braille lu par les PZero Rosso de 19 pouces habillant les roues avant. Lamborghini revendique une répartition 42/58 pour un poids à sec de 1430 kg. Ajoutez les pleins de liquides en tous genre, un bonhomme réglementaire de 75kg et la balance s’affolle. Le chiffre le plus crédible est une mesure du magazine allemand Sport Auto à 1496kg, ce qui nous met mathématiquement l’équipage à 1571kg.
La Gallardo a initialement été vendue comme une 911 Turbo transalpine : des performances de supercar dans un gabarit raisonnable, la quiétude d’une transmission intégrale pour les mauvais jours, une monte de pneus d’hiver spécifiques développés par Pirelli disponibles en option. En trois mots : Lambo-boulot-dodo. Tentant, mais envisagé sous cet angle, le produit rate complètement sa cible.
Maniabilité réduite par un rayon de braquage d’autobus, visibilité indigente sur l’arrière et les côtés, habitabilité réduite, capacité de chargement dérisoire tant dans le minuscule coffre avant que dans l’habitacle où il est impossible de caser un ordinateur portable et un passager. La garde au sol est également un réel handicap malgré un porte-à-faux avant réduit. Là où une 360 Modena, une 550 Maranello ou même une Ferrari F355 passent sans problème, la Gallardo manifeste son handicap par le sinistre grattement de l’acier contre le bitume. Envisager une utilisation quotidienne se situe entre l’excentricité et la gageure.
Il en va malheureusement de même pour une utilisation type GT. Prévoyez le strict minimum pour un week-end à deux en Toscane, et de partir seul pour une expédition sur circuit, bagages, casque et matériel photo répartis sur le siège passager. Dommage, car la concurrence fait nettement mieux, que ce soit chez Porsche ou Ferrari. Quid de la qualité d’assemblage et de la fiabilité ? Juger sur un seul exemplaire serait injuste, mais des craquements sinistres dans le train avant, un bruit strident de fraise de dentiste à l’ouverture des gaz, les efforts dans la transmission en manoeuvre et un siège électrique caractériel font un peu tache sur une voiture d’à peine 17’000km. Les qualiticiens d’Ingolstadt ont certainement encore quelques stages prolongés à Sant’Agata devant eux.
Performante et belle, mais ni GT accomplie ni sportive extrême, la Lamborghini Gallardo est une voiture attachante à conduire mais un peu terrifiante à posséder, tant par la perception de qualité intrinsèque qu’un marché de l’occasion étroit et un réseau de concessionnaires réduit. Attention danger, un coup de foudre n’est pas à exclure.
Deuxième opinion
“Il y a une Lamborghini dans le parking” la nouvelle se propage dans les bureaux comme une traînée de poudre ! Manifestement cet évènement marque plus que la présence d’une Porsche ou d’une Ferrari, d’un commun…. Je m’approche, effectivement, un attroupement d’une dizaine de collègues commentant les formes et couleurs de cette Gallardo confirme l’attirance pour cette voiture. Il se trouve que la clé de contact est dans ma poche, je vais donc attendre un moment plus calme pour en faire connaissance. Je reviens plus tard, la présence de cette Lamborghini est incontestable, habitué à ne voir ce genre de véhicule que dans des salons, parquée aux côtés d’une Mini c’est vraiment impressionnant.
Je m’installe, sans problème, pas besoin de se contorsionner pour prendre place. Le bas du dossier du siège me parait mal ajusté, un petit coup de réglage électrique devrait arranger les choses… Je manipule les boutons, rien ne se passe ! Je trouve le volant un peu trop haut, mais je m’en accommoderais sans problème. La visibilité frontale est bonne, les rétroviseurs latéraux, bien écartés, donnent confiance. Je finis par trouver la commande de vitre dans la série de contacteurs installés au centre du tableau de bord. Vitre baissée, je peux tourner la clé. Au quart de tour le moteur démarre et le ralenti immédiatement stable s’établit dans un bruit sourd et un volume inhabituel.
Je roule depuis bien quelques kilomètres, et clairement, je suis encore intimidé par cette voiture, ça doit être la première fois qu’après une dizaine de bornes, je n’ai pas encore dépassé 5000 t/min. J’essaie de comprendre, les dimensions de la voiture ne me posent pas de problème particulier, la position de conduite très basse non plus, la vision arrière n’est pas différente d’une autre voiture de sport, la boite à vitesse avec levier guidé par une grille se manipule sans problème particulier, alors quoi ? Je ne vois que le bruit généré par ce V10 pour expliquer ce sentiment de respect. C’est clair que dès 3500 t/min le couple se manifeste et donne un bon coup d’accélérateur à l’aiguille du compte-tour, mais bien que ça pousse fort, je ne me sens pas dépaysé, probablement aussi par le fait que le bruit ne suive pas vraiment en volume l’accélération bien sentie. En fait c’est probablement vers 2000 t/min que le bruit sourd est le plus fort. A plus haut régime le volume baisse avec un changement pour le meilleur en terme de qualité sonore.
Les conditions de circulation me permettent de pousser le deuxième rapport à son maximum, je passe la troisième, pour quelques dixièmes de seconde le bruit s’éteint, silence, puis dès la remise des gaz, de nouveau ce son très présent, plutôt grave qui remplit l’habitable. Ça n’a rien à voir avec un V8 Ferrari dont les hurlements finissent pas donner la chair de poule. Cette Lamborghini fait plutôt dans la bestialité, ça pousse, c’est incontestable, mais les sens du conducteur ne sont pas aussi stimulés. L’amortissement, certes ferme, reste confortable, pas de roulis à signaler.
Durant tout le parcours, des bruits suspects vont m’accompagner, un crissement lors de chaque accélération, un « tac » provenant de l’avant quand je tourne le volant à droite, ainsi que pendant les manœuvres. Tout de même surprenant sur une voiture au kilométrage aussi faible (18’000 Km). Clairement cette voiture, malgré une couleur pour le moins discrète, attire les regards : c’est une vraie brute, qui demande du temps pour la dominer, mais qui finira par procurer de la satisfaction pour celui qui la dompte. Elle reste un pur jouet dont la taille du coffre la rend inutilisable dès qu’il faut transporter plus que l’équivalent d’un petit bagage cabine. Le luxe suprême, en quelque sorte.
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