Initiative populaire “anti 4×4”: au tour du peuple

L’initiative des jeunes vert(e)s pour des véhicules plus respectueux des personnes poursuit son chemin dans les méandres des institutions suisses et sa démocratie directe. Après le dépôt des 147’000 signatures récoltées mi 2008, le texte a été soumis à l’examen du Conseil Fédéral, de la Commission de transports puis de la chambre basse du Parlement (le Conseil National). Au tour du peuple.

Pour rappel, l’initiative prétend viser une réduction des émissions de CO2 et une sécurité accrue pour les piétons. Les mesures pour atteindre ces objectifs sont composées du bouquet suivant:

– interdiction des véhicules dépassant 2.2 tonnes de poids à vide,
– interdiction des véhicules émettant plus de 250g/km de CO2,
– interdiction des véhicules ayant une partie frontale jugée dangereuse pour les piétons,
– interdiction des diesels dépourvus de filtres à particules.

Les nouveaux véhicules ne satisfaisant pas à tous ces critères seraient interdits d’importation. Les anciens véhicules ne satisfaisant pas à tous ces critères seraient limités à 100 km/h, ce indépendamment de la raison de leur non-conformité.

Le 20 Janvier 2010, le Conseil Fédéral recommandait sans surprise le rejet de l’initiative (message) et y opposait un contre projet indirect. Le contre-projet donne mandat au Conseil Fédéral d’aligner la Suisse dès 2012 sur les standards en vigueur dans l’Union Européenne avec, en ligne de mire, une valeur cible moyenne de 130g/km pour les nouvelles immatriculations en 2015 et un système de bonus/malus de plus en plus incitatif. Une évaluation du montant de ces taxes pour un parc au poids moyen de 1372 kg:

– Porsche 997 Carrera, 1500kg, 250g/km. Sanction: 15620 CHF
– VW Golf GTI DSG, 1414kg, 173g/km. Sanction: 5340 CHF

Détail croustillant, le document du Conseil Fédéral commente qu’au 31.12.2008, seules 135’300 voitures de tourisme, soit 3.4% du parc automobile suisse, satisfaisait aux critères de l’initiative:

– 43.3% du parc est antérieur aux normes Euro 3 et ne dispose donc pas des informations d’homologation nécessaires
– pour les voitures postérieures à Euro 3, 85.7% satisfont au critère sur les particules fines, 88.7% ont des émissions inférieures à 250g/km,  97.2% ont un poids à vide inférieur à 2.2 tonnes mais seulement 7.2% satisfont aux critères de protection des piétons.

Le 30 Septembre 2009, le Conseil National a rejeté l’initiative populaire par 116 voix contre 58 (votes nominatifs). Le Conseil National a adopté le contre-projet indirect du Conseil Fédéral par 95 voix contre 75 (votes nominatifs) grâce au ralliement des Démocrates Chrétiens au bloc des Socialistes et des Verts. Le peuple suisse aura le dernier mot sur les deux objets soit:

– l’initiative des jeunes vert-e-s visant l’interdiction d’importation de véhicules non conformes aux exigences du texte
– le contre-projet du Conseil Fédéral visant l’introduction d’un bonus/malus par rapport à un objectif de 130g/km

Ces objets devraient être soumis en votation populaire dans le deuxième semestre 2011.

Commentaire

Balayons tout d’abord l’initiative: son ancrage est purement idéologique, piétons et émissions de CO2 ne sont que prétexte ou ignorance. Si chaque piéton tué est un mort de trop, les statistiques du BPA démontrent que leur mortalité est aux deux tiers lié à la traversée en dehors des passages protégés et à l’âge. En Suisse et en 2009:

– 39 piétons sont décédés en dehors des passages signalés,
– 21 piétons sont décédés sur des passages signalés, dont 18 étaient des personnes de plus de 45 ans d’âge,
– entre 1980 et 2009, le taux de piétons tués ou blessés grâves sur des passages signalés a été divisé par 4.

Il parait dès lors logique de réapprendre aux adultes à traverser aux endroits signalés plutôt que stigmatiser les véhicules.

Si le texte extrémiste des jeunes vert-e-s a peu de chance de trouver grâce aux yeux des votants, qu’en est-il du contre-projet du Conseil Fédéral ? Il a le soutien des parlementaires Socialistes, Démocrates Chrétiens et Verts et il est peu probable que la base se prononce pour des mots d’ordre différents. Le contre-projet est également euro-compatible et remettrait les automobilistes suisses sur le droit chemin, leur pouvoir d’achat, leurs montagnes et leur désintérêt relatif pour le diesel en faisant de plus gros producteurs de CO2 que leurs voisins (moyenne suisse 175 g/km en Europe contre 153.5 g/km dans l’UE – chiffres 2008). Les émissions absolues de CO2 dépendent autant du véhicule que de la distance moyenne parcourue, et là encore, les statistiques indiquent que les suisses sont parmi les plus mobiles du continent avec 31km automobiles journaliers contre 26 de moyenne pour l’UE. Grosses bagnoles, grosses distances, c’est mal parti.

La Suisse se distingue cependant de nombre de ses voisins par la faible taille de son marché et l’absence d’une industrie automobile indigène. Les automobiles que nous achetons sont conçues par et pour nos voisins, les efforts de développement technologique et de marketing en vue de la réduction des émissions sont en bonne marche et produiront leurs effets sur nos verts plateaux et sur les pentes de nos blanches montagnes. Les constructeurs n’ont pas attendu le marché helvétique pour entreprendre leur révolution verte.

Reste la question fondamentale: quel but cherche-t-on à atteindre ? Si c’est réellement la baisse des émissions plutôt que la stigmatisation d’une catégorie de véhicules, il faut aller à l’essentiel:

– taxer le carburant plutôt que la voiture pour décourager l’utilisation des véhicules à moteur lorsque des alternatives existent
– imputer les recettes des taxes à l’attractivité structurelle ou tarifaire de ces alternatives sur un principe de vases communiquants

A défaut, à quoi bon lever une taxe qui se trompe de cible et dont l’imputation des recettes demeurera opaque et incertaine pour enfoncer une porte ouverte ? C’est la question à laquelle le citoyen-automobiliste-contribuable devra répondre prochainement.

Sources et liens

– débat du 30.9.2010 au Conseil National, bulletin officiel
– contre-projet du Conseil Férédal
– statistiques suisses et européennes sur la mobilité
– article précédent sur le sujet: interviews des promoteurs
– article précédent sur le sujet: contre-projet du Conseil Fédéral
– le sujet du forum

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