Six générations de GT3, célébrées sur les cols suisses.
GT3. Avec le passage à la 996, Porsche adopte une nouvelle nomenclature pour les déclinaisons pistardes de la première 911 à refroidissement à eau, délaissant l’appellation Carrera RS appliquée aux 993 et 964 auparavant.
L’exercice est rigoureux car la voiture est vouée à la piste. En plus du travail sur la rigidité des liaisons et la revue de tous les éléments périphériques, Porsche troque le moteur de la Carrera pour le fameux bloc Mezger, dérivé de la 911 GT1 et dépouillé de ses turbocompresseurs. Ce bloc évoluera pour toute la série de GT3 jusqu’à la 997 GT3 RS 4.0, avant d’être remplacé sur les 991.
Cette épopée nous a donné six voitures exceptionnelles, toutes frappés du même sceau. Et ce label célèbre en 2019 ses 20 ans d’existence. Quelle meilleure excuse pour aller essorer du flat-six atmo sur les plus beaux cols de Suisse ?
Porsche 996.2 GT3: les bons gènes ?
Suite à un expérience peu convaincante avec la mythique Carrera RS 2.7, j’opte pour la 996 GT3 phase 2. En matière d’automobiles âgées, prendre la version la plus aboutie est une bonne stratégie pour retirer le meilleur de l’expérience à leur volant. Les entreprises romantiques sont trop souvent vouées à un sort cruel.
En quittant Andermatt en direction du col du Gotthard, je vérifie que ma mémoire ne me joue pas des tours: aucun bouton de traction control, ni d’échappement sport. Un volant, trois pédales et un levier en H. Pas de fioritures ni de modes à sélectionner. Les synchros de deuxième et troisième grattent d’ailleurs un peu à froid, la pédale d’embrayage est relativement virile, et l’intérieur assez dépouillé.
Dans la montée depuis Hospental, le dépassement de quelques motards me permettent de tirer le deuxième et le troisième rapport. Les montées en régime de ce moteur restent remarquables de pureté. Aucune commutation de soupapes à l’échappement, aucune discontinuité, juste la progression organique du couple vers son point culminant, suivi de 3200 t/min symphoniques au-delà.
Avec la 996.2 GT3, le couple maxi du flat six de 3600 cm3 est passé de 370 à 385 Nm au même régime de 5000 t/min, alors que la puissance culmine désormais à 381 chevaux (au lieu de 360) à 7400 t/min. La zone rouge est fixée désormais à 8200 t/min, un chiffre qui illustre à lui seul l’appétit de ce moteur pour les hauts régimes.
Le comportement en pif-paf inspire confiance, mais la direction s’allège considérablement en charge et les inégalités perturbent facilement l’équilibre. On retrouve les traits des 911 à empattement court (2355 mm contre 2457 mm pour la 991), avec ces oscillations longitudinales de cheval à bascule qui sont si difficiles à neutraliser sur route ouverte.
Depuis Airolo, je fais l’ascension du Nufenen de concert avec une 991 Carrera S Cabriolet. Je n’ai pas trop de difficulté à tenir le rythme dans l’ascension du Val Bedretto, mais les choses se compliquent sur les premiers lacets du Nufenen.
Je dois non seulement composer avec plage d’utilisation réduite du moteur, mais aussi avec les réactions du châssis aux cassures. La voiture bouge beaucoup et incite à garder une marge conséquente. La voiture n’est pas rétive, mais sa définition est loin d’être idéale pour ce genre de revêtement. Arrivé à 2478 mètres d’altitude, je ne rends pas les clefs de cette 996.2 GT3 avec trop de regrets. Le moteur est enthousiasmant mais le reste accuse son âge. J’ai hâte de faire le saut d’une génération.
Afficher la galerie de photosPorsche 997.2 GT3: la valeur sûre
Connaissant bien la 997.1 GT3 pour avoir parcouru 45’000 km au volant d’un exemplaire speed yellow, j’ai jeté mon dévolu sur une 997.2 GT3 pour la deuxième étape de ce périple alpin.
L’étreinte des baquets est nettement plus intime, l’ambiance résolument plus moderne, les verrouillages de la commande de boîte caractéristiquement plus virils que sur la 996, avec des débattements beaucoup plus courts.
La version 3.8 litres de 435 chevaux du Mezger paraît balistique par rapport au 3.6L de 381 chevaux, d’autant plus dans la descente du versant valaisan du Nufenen. Cet exemplaire est équipé des freins en carbone céramique PCCB, et je trouve le feeling de la pédale un peu déroutant: trop d’effort pour pas assez de mordant. La puissance est là et les amorces de blocage perceptibles avant l’intervention de l’ABS, mais le mordant vient toujours avec un temps de retard.
En mode Sport, la sonorité du flat six me rappelle ma 997.1 GT3: la commutation à 3000 t/min est abrupte et artificielle, mais la sonorité devient ensuite ronde, chaleureuse, puis furieuse. Les changements d’assiette restent perceptibles, mais la suspension PASM avale incomparablement mieux les inégalités et préserve la précision de la trajectoire en appui.
La montée de la vallée du Rhône jusqu’à Gletsch met en exergue le couple moteur. Le flat six reprend avec plus de force que le 3.6L de la 996.2, et on peut se permettre de rouler 1000 t/min plus bas qu’avec la 996. En sortie d’épingle lente, les modestes 260 Nm d’une simple Clio RS me donnent toutefois du fil à retordre, remettant en contexte la courbe de couple de ce 3.8L atmosphérique face à un petit 1.6L turbo.
Même constat dans l’escalade du Grimsel. Les enfilades sont avalées dans le hurlement du flat-six qui résonne contre les murs de pierre, mais ressortir en force des épingles négociables à 50 km/h est plus problématique. La relance à bas régime en deuxième est presque anémique et demanderait de rentrer le premier rapport.
Les cassures en appui du versant bernois du Grimsel reconfirment mon inimitié pour les Michelin Pilot Sport Cup 2, que j’avais cordialement détesté pendant leur (court) passage sur ma 997.1 GT3. Caractéristiquement flous dans leurs réactions, presque glissouillants, leur feeling “progressif” ne m’a jamais convenu sur la 997.
En faisant abstraction des bémols PCCB/PSC2, la 997.2 GT3 reste dix ans plus tard un très bel outil au volant duquel on peut prendre beaucoup de plaisir. Typée mais apprivoisée et intéressante, encore très analogique, avec une enveloppe de performance très conséquente, la 997 GT3 reste une magnifique voiture d’attaque qui n’accuse pas (trop ou encore) le poids des ans.
Afficher la galerie de photosPorsche 991.2 GT3: la danseuse étoile
J’ai réservé le meilleur pour le troisième acte: le col du Susten et une 991.2 GT3 dans une sublime livrée, le Signal Gelb, couleur historique Porsche Exclusive. Ces retrouvailles avec la 991.2 GT3 sont presque angoissantes, tant la voiture m’avait conquis à sa sortie en 2017. J’ai presque peur d’être déçu.
Le fossé avec la 997 est vertigineux. La boîte PDK, tout d’abord. Inouïe de rapidité quand on cherche à extraire la performance maximale du moteur, cristalline dans l’exécution de ses changements de rapport, elle transpose le pilotage dans un domaine où le choix du rapport idéal n’est plus entravé par la coordination des mouvements et par les forces inertielles.
Levier basculé en mode manuel, mode PDK Sport activé, les montées de rapport claquent comme un fouet, et les rétrogradages tranchants comme un scalpel dans une barquette de margarine. Le pilotage est formidablement diminutif, presque cérébral: pouces, index et pied droit tenus à une exigence ultime de précision. Comme pour un commando d’élite, les ordres sont exécutés de manière implacable. Il est d’autant plus impérieux qu’ils soient justes.
Le flat-six cube ici 4.0 litres, développe 460 Nm à 6000 t/min, et la puissance culmine à 500 chevaux à 8250 t/min. Il est nettement plus plein que ses prédécesseurs, mais toujours aussi avide. La sonorité rappelle la 997, mais une crécelle apparaît à 5800 t/min et enlève en pureté ce qu’elle ajoute en agressivité. Il n’y a pas d’effets de manche démonstratifs, juste le cri perçant de six cylindres qui résonne contre le granit.
Ce binôme moteur-boîte permet de reporter l’attention sur les consignes données au châssis, et ses réactions. Et sur la route. Aux vitesses dont cet engin est capable, avec la facilité insolente dont il fait preuve, la témérité est un risque permanent. Il faut garder constamment à l’esprit qu’une GT3 pourrait déboucher dans l’autre sens à la même allure.
L’empattement de 2457 mm et les voies élargies introduites sur la 991 ont transfiguré la 911. En ajoutant le système de roues arrière directrices, Porsche a eu la sagesse d’appliquer beaucoup de mesure pour que les réactions du système soient à la fois efficaces et transparentes. Le résultat est une GT3 qui encaisse tout, exécute tout, avec une agilité surnaturelle.
Les Michelin Pilot Sport Cup dont je me plaignais sur la 997 passent ici inaperçus. Les pressions excessives indiquée sur l’écran de droite (2.4/2.7) expliquent peut-être la sensation de détente légèrement excessive du train arrière. Dommage. Malgré cette imperfection de réglage, la 991.2 GT3 fait le grand écart entre l’immédiateté diabolique de ses réactions et la confiance qu’elles inspirent.
Le train avant inspire totale confiance et reste constant du point de braquage jusqu’en sortie de courbe sans s’alléger. Le train arrière est un allié fidèle, discrètement proactif sans jamais tomber dans l’excès de zèle. Le couple est naturellement largement suffisant pour provoquer une dérive sur les premiers rapports, mais il faut aller la chercher. Impossible d’être surpris sur le sec à moins d’être vraiment maladroit.
Ces qualités sont surtout perceptibles en descente de col, ou le train avant incisif permet des prises d’appui gourmandes, parfois sur les freins, sans que le train arrière ne devienne volage. A la brutalité intimidante et fascinante de la GT2 RS, la GT3 oppose l’onctuosité et la grâce. Naturellement douée, ses limites semblent complètement hors d’atteinte sur route ouverte.
De retour à Andermatt, je ne résiste pas à enchaîner plusieurs ascensions de l’Oberalp. Six lacets de rayons variés, avec des pifs-pafs pour mettre en exergue son équilibre dans des configurations variées. L’enquiller à un rythme subversif serait tentant, mais l’œil de la GoPro guette.
Pas la moindre critique ? Si. L’inflation des tarifs. Des 186’600 CHF lors de notre essai en 2017 à plus de 200’000 CHF aujourd’hui. Et un couinement persistent dans le pilier B gauche qui fait tache dans une Porsche flambant neuve, d’autant plus à ce tarif.
Cette clé, je la rends à regret. Douloureusement belle, suprêmement douée, il est difficile de concevoir comment Porsche arrivera à faire mieux avec la 992 GT3. Il serait pourtant bien risqué de prendre le pari contraire.
Que retirer de ses 20 ans de GT3 égrainés sur cinq cols ? La formidable évolution du châssis. La maîtrise de Porsche en matières de motorisations et de boîtes n’est pas à négliger, mais le progrès dans le passage à la 991 reste stupéfiant. De caractérielles et atypiques, les 911 sont devenues limpides et faciles tout en conservant les avantages intrinsèques de leur packaging atypique. Et la 991.2 GT3 élève ce tour de force technique à son point culminant.
Afficher la galerie de photosUne histoire d’amour helvétique
De 1999 à 2018, Porsche a écoulé en Suisse plus de 800 exemplaires de 911 GT3 (hors GT3 RS), la part atteignant même 6% des ventes de 911 avec la série 991 entre 2013 et 2018. Ce chiffre met le marché suisse à part: un îlot de pistards et d’arsouilleurs de cols alpins.
La piste, justement, est presque la chasse gardée de la GT3, Porsche étant le seul constructeur à homologuer et livrer en série et avec constance des voitures équipées d’arceaux (avec la possibilité d’installer une cage complète) et de harnais six points.
Les GT3 sont surtout conçues et dimensionnées pour un usage pistard intensif et les composants sont sans équivalent dans leur résistance au traitement extrêmement sévère d’un usage piste intensif. Des voitures qui ne chauffent pas, qui ne cassent pas et qui enquillent tour après tour jusqu’à épuisement du pilote. Porsche affirme d’ailleurs que 8 à 9 GT3 sur 10 vont tâter du circuit, ce qui est remarquable et révélateur.
Il faut au passage applaudir Porsche et l’investissement fait dans son héritage classique, que ce soit par l’assurance de la disponibilité de pièces ou l’entretien de ce musée roulant. Entretenir et confier à des journalistes plus ou moins adroits des voitures de 20 à 40 ans d’âge est admirable et mérite d’être relevé. D’autres marques pourraient en prendre de la graine.
Le vingtième anniversaire de la GT3 RS en 2023 est déjà réservé dans notre calendrier.
Caractéristiques techniques
Porsche 991.2 GT3 |
Porsche 997.2 GT3 | Porsche 996.2 GT3 | |
Moteur | B6 3996 cm3 | B6 3797 cm3 | B6 3600 cm3 |
Puissance (ch) | 500 / 8250 | 435 / 7600 | 381 / 7400 |
Couple (Nm) | 460 / 6000 | 430 / 6250 | 385 / 5000 |
Transmission | AR | AR | AR |
Boite à vitesses | Man 6 / PDK 7 | Man 6 | Man 6 |
RPP (kg/ch) | (2.83/2.86) | (3.21) | (3.62) |
Poids DIN (constr.) | (1413/1430) | (1395) | (1380) |
0-100 km/h (sec.) | 3.9/3.4 | 4.1 | 4.5 |
0-200 km/h (sec.) | 11.4/11.0 | 12.3 | 14.3 |
Vitesse max. (km/h) | 320/318 | 312 | 306 |
Conso. Mixte (constr.) | (12.9/12.7) | (12.6) | (12.9) |
CO2 (g/km) | 290/288 | 298 | 315 |
Réservoir (l) | 64/90 | 67/90 | 89 |
Longueur (mm) | 4562 | 4460 | 4435 |
Largeur (mm) | 1852/1978 | 1808 | 1770 |
Hauteur (mm) | 1271 | 1280 | 1275 |
Empattement (mm) | 2457 | 2355 | 2355 |
Coffre (L) | 125+260 | 105+205 | 110 |
Pneus | 245/35R20 305/30R20 |
235/35R19 305/30R19 |
235/40R18 295/30R18 |
Prix de base (CHF) | 202’500 | 184’500* | 153’900** |
Prix de base (EUR) | 155’255 | NC | NC |
* tarif 2009 ** tarif 2004
Nos remerciements à Porsche Suisse pour l’invitation à l’essai de ce florilège de GT3.
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