Stephan Winkelmann est Monsieur RS & R8 chez Audi. Nous discutons avec lui de ses priorités stratégiques.
CEO de Lamborghini de 2005 à 2016, Stephan Winkelmann a depuis repris les rennes de Quattro Gmbh, la division performance et sport automobile d’Audi, responsable notamment de la gamme RS & R8, mais aussi de la compétition. Asphalte a fait le point sur sa vision stratégique lors d’une interview.
Question, Asphalte: Vous êtes dans vos nouvelles fonctions depuis environ 1 an déjà ?
Réponse, Stephan Winkelmann: Celà fera 7 mois le 15 Octobre. C’est court. Nous avons beaucoup à faire. Nous travaillons sur toutes les activités commerciales normales qui ne s’arrêtent jamais. En plus, j’ai dû me mettre au courant de toutes les choses qui diffèrent de ma fonction précédente. Et nous travaillons dur sur la stratégie. La stratégie est primordiale lorsqu’on veut amener une société à un nouveau départ.
Q: Quelles sont vos priorités pour Quattro Gmbh ?
R: Nous allons changer le nom de Quattro Gmbh en Audi Sport. La raison principale est que le sport automobile est le dénominateur commun de tout ce que nous faisons. Les succès en rallye, la compétition dans la dernière décennie, tout celà fait partie de nos gènes. Le losange rouge d’Audi Sport existe déjà et se marie parfaitement avec la R8 et les modèles RS. C’est un signe distinctif sur ce que nous allons faire. Il est important de donner un signal que les choses changent.
Q: Vous souhaitez affirmer ce point d’inflection ?
R: Oui. Nous devons penser à notre image, les valeurs de la société, et leur adéquation avec les produits présents et futurs. Il est clair pour moi que nous avons deux ou trois challenges pour le futur de nos produits. Comment va évoluer notre portefeuille, vers quel type de voitures ?
Allons-nous réduire nos efforts, adoptons-nous une stratégie de volume ou de prestige ? Et notre réponse est que nous misons sur l’exclusivité de nos voitures. Notre objectif n’est pas le nombre de modèles que nous aurons ou leurs volumes de ventes, mais comment nous positionnons la marque Audi Sport et ses modèles comme des objets de prestige qui jouent un rôle phare pour la marque Audi en général et notre société mère.
Ensuite, nous devons redéfinir l’idée de base derrière une RS ou une R8. Les valeurs de base du produit, l’équilibre entre performance et utilisation quotidienne. La voiture que vous testez aujourd’hui (NDLR Audi R8 Spyder) se situe à un extrême, à l’autre vous avez la RS6 Avant par exemple. Il s’agit de performance, de design, de confort et de qualité.
Nous devons continuer à faire ce pour quoi nous sommes le meilleur, tel que les moteurs qui atteignent de hauts régimes. Nous devons viser les segments les plus prestigieux. Et nous devons aller vers de nouveaux horizons en termes de durabilité (NDLR au sens écologique du terme), une durabilité intrinsèquement liée à la sportivité.
Q: Vous articulez des problématiques claires: le compromis entre performance et polyvalence, prestige et exclusivité. Avez-vous déjà décidé dans quelle direction vous allez orienter Audi Sport ?
R: Il est difficile de tracer une ligne directe. Il y aura des détours en chemin, mais nous savons où nous souhaitons aller. C’est une grande société qui fait partie d’un grand groupe, tous les projets doivent être réalisables, et réalistes en termes de rentabilité. Mais nous avons un axe directeur majeur que nous suivons. Si vous avez un produit phare, il n’est pas nécessaire qu’il soit visible à chaque coin de rue, mais quand vous le voyez, il doit avoir un effet superlatif. Quand vous voyez la voiture, elle doit avoir un pouvoir d’attraction fort. Et un effet en cascade sur toutes les voitures d’Audi AG.
Q: Celà veut-il dire que les futurs Audi RS doivent être plus distinctifs en terme de design, plus différenciés de leurs plateformes d’origine ?
R: Si vous observez nos voitures au fil des générations, elles sont devenues de plus en plus pointues en termes de design. Il est également clair qu’une voiture comme la RS6 Avant est difficile à améliorer. C’est un de nos challenges. Pour le réduire en une phrase, il s’agit de tailler un costume sur mesure à un athlète. Je ne recherche pas l’extrême en performance, mais l’équilibre entre sportivité et élégance.
Q: Vous ne poursuivez pas une stratégie de prolifération comme vos concurrents ?
R: Qui ?
Q: AMG par exemple, est en pleine prolifération dans la gamme Mercedes
R: (rires) Oui, je sais ce qu’ils font. Je me concentre sur le prestige, ce qui veut dire en partie plus de SUVs, car la taille a de l’importance. La taille d’un véhicule est encore un signe clair de prestige et d’exclusivité dans le marché automobile. Je crois vraiment que c’est une direction que nous devons poursuivre, mais ce n’est pas la seule. Nous devons choisir les modèles qui offrent le plus grand atout pour la marque Audi Sport et pour la société Audi. Par exemple, la berline RS3 que j’ai présenté au Mondial de Paris la semaine dernière. D’un côté, c’est un modèle d’entrée de gamme, mais il a l’exclusivité du moteur cinq cylindres, puisant dans nos racines en compétition. L’exclusivité n’est pas que la taille. La R8 de première génération a vraiment donné une nouvelle dimension à la marque Audi. C’était une voiture d’un autre niveau, un porte étendard. L’idée qui doit supporter chaque modèle Audi Sport est faire évoluer la marque, et ce pas uniquement en mettant le plus de voitures possible sur la route.
Q: Etes-vous satisfaits d’un produit comme le RS Q3 ? Le considérez-vous comme un succès ?
R: Bon point. Le RS Q3 est un grand succès, mais c’est aussi une voiture en entrée de gamme dont la différenciation avec d’autres voitures n’est pas si grande. Prendre position avec la famille Q était la bonne direction, mais le prochain pas doit être encore meilleur.
Q: Donc la croissance n’est pas votre objectif principal ?
R: Nous avons doublé nos ventes dans les 5 dernières années et nous croîtrons encore cette année, mais ce n’est pas notre objectif principal. Les volumes sont importants, mais il est encore plus important d’avoir une bonne répartition géographique. Aujourd’hui, nous sommes très centrés sur l’Europe. Les futurs modèles que nous lancerons doivent être aussi mondiaux que possible. Nous devons devenir mondialement compétitifs. Si il y a une grosse partie du monde dans laquelle nous pouvons croître par une simple amélioration de notre présence, il est clair que les volumes augmenteront automatiquement.
Q: Donc moins d’Avant dans la gamme RS ?
R: Comme je l’ai dit, c’est ma vision. Il y a des projets en cours que je ne veux pas changer, même si je le pourrais peut-être.
Q: Qu’en est-il de produit compétition client comme Porsche le fait ? Un championnat mono marque ?
R: Nous travaillons sur notre stratégie dans ce domaine, et la compétition client est clairement un domaine dans lequel je souhaite nous impliquer plus. Nous avons la R8 GT3 qui a beaucoup de succès, et nous entrons dans une nouvelle catégorie avec la RS3 LMS présentée à Paris. Nous voulons entrer dans différentes catégories avec comme pré-requis qu’elles ont une portée mondiale et qu’elles couvrent la pyramide du sommet – le GT3, le pinacle de la compétition client – jusqu’à la base. Ceci est crucial pour la visibilité et l’image de la marque, et le facteur principal de succès est plus les médias sociaux que le public assistant aux courses. Nous réfléchissons aussi à un championnat mono-marque, mais ce n’est pas quelque chose de simple à mettre en place, mais nous voulons cultiver l’atmosphère familiale qui entoure la compétition client. Un facteur important est que ces voitures sont reconnaissables.
Q: Le développement durable signifie-t-il que vous étudiez des Audi RS Hybrides. Est-ce compatible avec la marque ? Est-ce trop tôt ?
R: C’est un peu prématuré, mais à plus long terme, il pourrait y avoir une hybridisation derrière un modèle ou un autre. La question est de savoir comment vous allez définir ces voitures en cohésion avec la marque Audi Sport. Combien de mètres allez-vous couvrir sur les 2.5 premières secondes ? Combien de fois pouvez-vous répéter une accélération de 0 à 100 km/h avant de recharger ? Pendant combien de temps pouvez-vous maintenir la vitesse de pointe ? Quelle est l’autonomie, quel est le poids, de quel type de freins avez-vous besoin ? Vous devez trouver un nouveau positionnement sinon ces modèles n’auront pas de succès. Il y aura de plus en plus un aspect de législation, mais aussi d’évolution de la mentalité de la population: “oui je veux avoir une voiture de sport, mais elle est doit être écologique”. Ce que votre voisin pense de votre voiture prend de plus en plus d’importance. L’ensemble est parfois difficile à imaginer, mais si nous n’y pensons et n’y travaillons pas, nous allons nous fourvoyer. J’ai appris dans ce métier que l’effort maximum qu’on peut consentir est le minimum requis.
Q: Votre bilan de l’Audi R8 e-tron ?
R: Ce fut un excellent laboratoire de test pour tout ce qui passe dans Audi en termes d’électrification. Il ne s’agit pas juste du modèle, mais de tout ce que l’électrification signifie en termes de développement et de validation. Un très bon exercice.
Q: Vous avez présenté la RS5 TDI sous forme de concept. Cette direction est-elle toujours viable dans le contexte des événements entourant le diesel ?
R: Les voitures RS sont des modèles uniques, et si vous voulez les commercialiser mondialement, le diesel n’est pas viable. Je dis jamais “jamais”, mais pour l’instant, il n’y a pas de plan pour un diesel dans une Audi RS.
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