Land Rover cesse la production du Defender. Grand classique ou relique ?
Le Land Rover Defender est le descendant d’une longue lignée qui remonte à la fin de la seconde guerre mondiale. Maurice Wilks, ingénieur en chef de Rover et gentleman farmer à ses heures, trouve les Jeep Willys inadaptées aux travaux de ferme et entreprend de développer un véhicule intermédiaire entre la Jeep et le tracteur. Le Land Rover Series I entre en production en 1948. Campé sur un empattement de 2000mm tout rond, en soi remarquable pour un produit issu du système de mesure impérial, il est propulsé par un 4 cylindres à essence de 1.6L développant 51 chevaux. Dès le milieu des années 50, les dérivés voient le jour: empattement allongé à 2200 puis 2700mm et jusqu’à 3226 mm pour le Land Rover 127. Des ressorts hélicoïdaux remplacent les lames en 1983, mais le Land Rover, alors appelé 90 ou 110 selon son empattement, conserve jusqu’à ce jour deux essieux rigides. Le patronyme Defender apparaît en 1990 alors que les motorisations changent au gré de l’évolution des normes d’émissions. Le 29 Janvier 2016, le dernier Land Rover Defender sort de la ligne d’assemblage de Solihull, portant la production totale à 2,016,933 unités en 67 années (et quelques mois).
Sans affinité particulière pour ce genre de véhicule, l’inscription du Defender au calendrier éditorial d’Asphalte ne me serait pas venue à l’esprit, mais la proposition étant faite, la curiosité et la politesse eurent le dessus. La prise en main est pour le moins déconcertante. Tout pimpant dans sa livrée bi-ton Phoenix orange métallisé et noir, les proportions sortent radicalement de l’ordinaire: elles sont exceptionnelles. Court (à peine plus de 4m), mais vraiment haut: deux mètres et dix huit centimètres. Sans pouvoir catégoriquement affirmer qu’il s’agit d’un record, c’est considérable. A cette altitude, on domine un Range Rover, et le reste du paysage automobile semble ramper sur le bitume. On scrute également avec attention les gabarits des parkings sous-terrain car il n’est pas garanti de pouvoir entrer partout. L’assise du siège est tellement haut perchée qu’il faut s’aider d’une main pour hisser son postérieur jusqu’à l’altitude requise, au risque de titiller un nerf sciatique de manière fâcheuse. Une fois installé, l’épreuve suivante consiste à trouver le barillet du contact, dissimulé dans un recoin du côté gauche de la colonne de direction. Le 4 cylindres 2.2 litres turbodiesel s’ébroue, râclant et cognant à l’envi. Ce groupe Euro 5 provient de Ford (Duratorq ZSD-422), il développe 360 Nm à 2000 t/min et sa puissance culmine à 122 chevaux à 3500 t/min. Un turbodiesel à l’ancienne, avec un rendement très conservateur et une plage d’utilisation fine comme un rasoir.
Je parcours les premiers kilomètres avec une extrême prudence et circonspection, tant les repères à prendre sont éloignés des automobiles conventionnelles. Les sièges premium sont très confortables, mais leur placement est singulièrement excentré. A la gauche du volant, une mince structure d’acier, et le monde extérieur. Les contre-portes sont inexistantes, et l’absence de la moindre zone déformable ne rassure pas quant aux conséquences d’un choc latéral. Le maniement de la boîte manuelle à 6 rapports est viril, avec de longs débattements et des verrouillage fermes, et il faut en jouer constamment. Le Duratorq s’évanouit à bas régime, mais est tellement rugueux qu’on a tendance à esquiver toute incursion au-dessus de 3000 t/min. Le plus déroutant – voire inquiétant – sur ce parcours initiatique est la direction. Fortement démultipliée, elle ne communique strictement aucune information en provenance des roues avant, chaussées de monumentaux pneus en série 85. Combiné à un centre de gravité en rivalité avec la tour de Pise, les premières courbes et rond-points sont négociés à une allure gériatrique.
Vient la seconde épreuve, l’autoroute. Je négocie la rampe d’accès avec précaution, monte les rapports en rentrant peu à peu dans mon personnage de gentleman bûcheron, et à ma surprise, je finis par atteindre un 140 km/h de croisière en sixième à 2900 t/min, une allure qui semble gérable. La tenue de cap demande une certaine attention, l’amortissement est sautillant, les bruits d’air sur le pare-brise quasi vertical redoutables, mais la bonne nouvelle reste que les longs trajets sur autoroute sont jouables, à défaut d’être agréables. Il faut également porter une attention particulière au freinage qui n’inspire aucune confiance en cas de ralentissement prononcé. Relativement lourd (1912 kg vérifiés) et doté d’une aérodynamique de container maritime, la consommation moyenne est soutenue: 11.5 L/100km de diesel.
Notre version courte d’essai offre quatre places assises. Les sièges avant n’étant pas rabattables, les éventuels passagers arrière devront entrer par la porte arrière, un marche pied rabattable est disponible pour leur faciliter cette tâche. Les sièges arrière sont pliables pour libérer un espace de chargement plus grand. Il semble que la plupart des enthousiastes optent pour les versions 110 ou 130 SW à 4 portes, beaucoup plus habitables sans pénalisés pour les aptitudes de franchissement.
Le Land Rover s’est construit sa réputation sur ses capacités de franchissement, résumées ci-dessous:
Land Rover Defender 90 SW | Jeep Wrangler 2.8 CRD | Mercedes G350d | Land Rover Discovery Sport | |
Garde au sol | 250 | 230/223 | 235 | 212 |
Angle d’attaque | 47 | 35 | 30 | 25 |
Angle de sortie | 47.1 | 28 | 30 | 31 |
Angle de rampe | 33 | 22 | 24 | 21 |
Rampe maximale | 45 | N.C. | 45 | N.C. |
Travers maximal | 35 | N.C. | 54 | N.C. |
Passage à gué | 500 | 482.6 | 600 | 600 |
Il était clair bien avant cet essai que je n’aventurerais pas à en tester les limites, les gradients à la portée du Defender étant tout simplement terrifiants. Pour la bonne forme, je me mis toutefois en quête de chemins alpins encore autorisés à la circulation, ce qui n’est pas une sinécure. La perle rare trouvée, j’ai par acquis de conscience engagé le rapport final court et entamé une paisible ascension sur les contreforts du Mont Pilate, plus inquiet de déranger les randonneurs avec mon sinistre turbodiesel que de me retrouver planté. La boîte courte nécessiterait des conditions bien plus extrêmes pour devenir réellement nécessaire, et est inutilisable dans la circulation normale: le turbodiesel mouline à 3000 t/min à 50 km/h en sixième, contre environ 140 avec la démultiplication normale. L’exercice est un jeu d’enfant pour le Land Rover, l’empattement court lui conférant une bonne manoeuvrabilité et compensant en partie un diamètre de braquage d’une surprenante médiocrité pour le gabarit: 13.4 mètres ! Mission accomplie, j’ai fait mon parcours syndical hors asphalte.
Le problème du Defender réside dans le fait que nombre de SUVs routiers ont des capacités de franchissement qui dépassent de toute manière les besoins et, élément à ne pas négliger, la hardiesse de l’écrasante majorité de la population. Si l’enjeu est de dépasser les aptitudes tout terrain d’un Range Rover Sport ou même d’un Porsche Cayenne, on se trouve relégué dans des utilisations professionnelles extrêmes, ou la pratique du franchissement comme sport automobile. Avoir besoin des capacités extrêmes du Defender pour pouvoir rejoindre son mazot n’est pas une proposition réaliste, et d’autres modèles un peu plus conventionnels s’en approchent dangereusement. Les 47 degrés d’angle d’attaque ou de sortie n’ont réellement de sens que si on sort complètement de la notion de chemin tracé pour le passage d’engins roulants. L’angle de rampe maximale est égalé par un Mercedes Classe G. Et un très urbain Discovery Sport est capable de passer des gués 10cm plus profonds que le Defender. Problème, dis-je, car le Defender fait payer la rusticité et l’ancienneté de sa conception très cher en termes de confort général et d’aptitudes routières.
Si sa capacité à tenir un 140 km/h de croisière sur autoroute était une interrogation et un soulagement relatif, l’expérience de conduite au quotidien se situe quelque part entre l’original et l’excentrique. Il y a un sens de l’occasion – comme disent les brittons – à grimper dans cet engin orange, naviguer cette plage de régime étroite comme une crête alpine, ou domestiquer ce levier de vitesse d’un bras ferme et assuré. L’ambiance intérieure est décalée, mêlant une sellerie en cuir d’une surprenante bonne qualité à des plastiques durs. Les assemblages ne sont pas approximatifs, ils sont inexistants: les designers n’ont même pas cherché à cacher les boulons et broches d’assemblage. L’essentiel est disponible, radio avec interface USB (l’interface de navigation d’un baladeur est digne d’Apollo 13), système mains libres bluetooth, le chauffage/dégivrage fonctionne. L’expérience générale ne pourrait être plus éloignée de la berline cossue à boîte double-embrayage avec fonction stop start. Tout trajet se vit avec implication, devient une micro-aventure sur l’asphalte des villes devenu si monotone et ennuyeux. Mais tout ceci à un prix, subjectif en termes de confort et objectif en termes de sécurité passive et active.
Les limites du comportement routier imposent un tel respect qu’on n’ose guère les explorer. Entre la hauteur, la réponse ouatée de la direction et l’amortissement approximatif, il est difficile d’appréhender en quoi la tenue de route va être le plus scabreux. Ce n’est vraiment pas le genre de véhicule qu’on jette dans une grande courbe ou un pif paf à bonne allure, juste pour voir. Le filet de sécurité de réactions gérables en cas d’improvisation parait absent. L’autre élément est qu’on se sent physiquement exposé, le corps et la tête à quelques petits centimètres d’une structure conçue en des temps immémoriaux où zones déformables et crash test ne faisaient même pas partie du curriculum suivi par les ingénieurs. Il suffit de regarder quelques vidéos de crash test réalisés avec des autos nettement plus récentes de conception que ce Defender pour se convaincre qu’il serait préférable de le cantonner à des trajets où la boîte courte délivre une vitesse maxi suffisante. Dans cette perspective, les accélérations laborieuses (0-100 km/h en 15.8 secondes) deviennent une bénédiction.
Même à allure pépère, les réactions parasites des essieux rigides se font sentir sur les inégalités, et le manque de progressivité du freinage rappelle les prestations des vieux systèmes à tambour. Au fil des décennies, le Defender a vu sa puissance multipliée par 2.5, mais son châssis n’a subi que des retouches, ce qui le cantonne à un spectre d’utilisation étroit: professions aux besoins extrêmes ou baroudeurs dans l’âme amoureux du look et pratiquant le tout-terrain de loisir. En 67 ans, l’industrie automobile a, en toute logique, accompli des progrès considérables permettant de délivrer peu ou prou les mêmes prestations avec des aptitudes routières modernes. Le Defender appartient à la catégorie des autos dont l’anachronisme est prisé par une minorité d’amateurs, mais indigeste pour tous les autres. Hors attachement romantique spécifique au Defender, les alternatives abondent sur le marché, à commencer par le Range Rover Discovery Sport, proposé à un prix de base identique.
Prix et options du véhicule essayé
Land Rover 90 SW | CHF 41’200 |
Finition SE | CHF 4’000 |
Black Pack | CHF 4’100 |
Pack cuir premium Ebony | CHF 2’180 |
Climatisation manuelle | CHF 2’140 |
Pack Hiver | CHF 760 |
Total | CHF 54’380 |
Face à la concurrence
Land Rover Defender 90 SW | Jeep Wrangler 2.8 CRD | Mercedes G350d | Land Rover Discovery Sport | |
Moteur | L4 2198 cm3 turbodiesel | L4 2776 cm3 turbodiesel | V6 2987 cm3 turbodiesel | L4 1999 cm3 turbodiesel |
Puissance (ch / t/min) | 122 / 3500 | 200 / 3600 | 245 / 3600 | 150 |
Couple (Nm / tr/min) | 360 / 2000 | 460 / 1600 | 600 / 1600-2400 | 380/1750 |
Transmission | 4×4 | 4×4 CommandTrac | 4WD | 4WD |
Boite à vitesses | Man. 6 Longue / Courte |
Man. 6 | 7G Tronic | Man 6/Aut. 9 |
RPP (kg/ch) | 15.67 | (10.38) | (10.36) | (11.33) |
Poids DIN (constr.) | 1912 (1695) 50.7% AV 49.3% AR |
(2075) | (2537) | (1700) |
0-100 km/h (sec.) | 15.8 | 10.6 | 8.8 | 11.7/10.3 |
Vitesse max. (km/h) | 145 | 172 | 192 | 180 |
Conso. Mixte (constr.) | (10.2) | (7.1) | (9.9) | (5.1) |
CO2 (g/km) | 269 | 209 | N.C. | 134/139 |
Réservoir (l) | 60 | 66.6 | 96 | N.C. |
Longueur (mm) | 4040 | 4223 | 4764 | 4599 |
Largeur (mm) | 1790 | 1873 | 1867/2056 | 2069/2173 |
Hauteur (mm) | 2182 | 1840 | 1954 | 1724 |
Empattement (mm) | 2360 | 2424 | 2850 | 2741 |
Coffre (L) | N.C. | 142-430 | 487 | 981-1698 |
Pneumatiques | 235/85R16 | 245/75R17 | 265/60R18 | N.C. |
Prix de base (CHF) | 41’200 | 45’150 | 111’000 | 41’100 |
Prix de base (EUR) | N.C. | N.C. | 91’800 | 36’400 |
Nos remerciements à Jaguar Land Rover Suisse pour le prêt de ce Defender.
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