L’électrique, c’est fantastique !
Si la Toyota Prius et les hybrides bimodales qui l’ont suivi ont permis à des millions d’automobilistes de goûter – brièvement – aux délices de la propulsion électrique, les voitures purement électriques demeurent rares sur le marché, et encore plus dans les rues de nos villes et routes de nos campagnes. Fort dommage car la propulsion électrique est d’une sérénité et d’un raffinement exquis. Le silence et l’absence de vibration concourent à une expérience qui, en plus d’être agréable, a également l’attrait de la nouveauté.
Nissan aurait pu puiser dans les lignes de la GT-R des traits de style véhiculant modernité et technologie, mais c’est plutôt le Juke dont la Leaf semble suivre la veine, avec des volumes joufflus et des traits osés. Le résultat, surtout la ligne de profil, pourrait être qualifié de rigolo par une minorité bienveillante, et attirera probablement des commentaires plus péjoratifs de la plupart. Les optiques proéminentes au traitement bleuté mariées au blanc nacré de notre véhicule d’essai donnent une touche chic, mais la silhouette manque d’élégance, les jantes de 16 pouces semblent perdues dans les ailes.
L’ambiance à bord est plaisante, avec des matériaux dont les coûts ont visiblement été comptés, mais qui sont bien ajustés et agréables au toucher. L’équipement est complet, la navigation dans les menus accessibles par l’écran tactile demande un peu d’adaptation mais l’équipement est fonctionnel, l’interface bluetooth avec un téléphone portable facile à établir. Sur la console centrale, un champignon permet de sélectionner la direction de marche (pousser en avant pour … reculer et tirer en arrière pour avancer), et de commuter alternativement entre le mode D normal et le mode Eco. Ce dernier limite le couple disponible sous le pied droit, et augmente la puissance de recharge en déccélération, donc le frein moteur. A l’image du mode ‘B’ des Toyota Prius, il est donc possible de moduler le frein moteur en descente selon la pente, et de conserver ainsi une vitesse constante. La conduite en mode Eco se révèle par ailleurs pénible, monastique, la limitation du couple rendant l’insertion dans le trafic difficile.
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Réparties sous le plancher pour abaisser le centre de gravité, 192 cellules Lithium Ion montées en série, procurant une tension nominale de 345 V et stockant une énergie totale de 24 kWh et pesant – selon la source la plus fiable que nous avons pu trouver – 294kg. La densité énergétique serait ainsi de 81 Wh/kg, significativement supérieure aux 55 Wh/kg annoncée par Toyota pour sa Prius Plug-In Hybrid. Les batteries alimentent un moteur électrique situé sous le capot avant, entraînant les roues avant avec un rapport de réduction unique – pas de boîte à vitesses ou de variateur – avec une démultiplication de 7.9377. Le moteur synchrone à courant alternatif développe un couple de 280 Nm de 0 à 2730 t/min, et une puissance maxi de 109 ch de 2730 à 9800 t/min, le régime maxi étant situé à 10390 t/min.
Les performances annoncées semblent modestes sur le papier (0-100km/h en 11.9s et 145 km/h de vitesse pointe), mais en pratique, la disponibilité du couple maxi dès le démarrage rend les accélérations dynamiques, jusqu’à parfois mettre à mal la motricité d’une roue avant et renvoyer de légers effets de couple dans le volant. La constance de la poussée est aussi surprenante qu’agréable, tout comme l’absence de vibration et le silence, à peine troublé par le « viuuu » discret du moteur électrique. Il semble qu’en cas de fortes sollicitations répétées, l’électronique muselle légèrement le débit de courant afin d’empêcher une surchauffe des précieuses cellules Lithium Ion. Le phénomène n’est perceptible par la baisse du couple, l’aiguille de température de batterie restant obstinément dans sa position médiane. Sur autoroute, la Leaf dépasse les 150 km/h de croisière avec facilité, même sur des côtes prononcées, ce dans un silence saisissant, à peine troublé par l’air s’écoulant sur la carrosserie. Le Cx est d’ailleurs assez moyen, 0.29 contre 0.25 pour une Prius Plug-In Hybrid.
Des performances plus qu’adéquates pour faire face aux situations de trafic usuelles, mais dans un rayon limité. Selon le New European Driving Cycle (NEDC), l’autonomie de la Leaf est de 175 km. Nissan communique une consommation de 173 Wh/km selon la norme 1999/100CE, ce qui situerait l’autonomie à 139 km si la totalité des 24 kWh d’énergie stockée dans les batteries était exploitable. Selon nos divers tests, hors conditions anormalement favorables ou éco-drive extrêmement vertueux, il ne faut guère tabler sur plus de 120km au total, dont il faut défalquer une marge d’erreur permettant de rallier un point de charge salvateur. Au tableau de bord, l’indicateur de charge est subdivisé en 12 barres (dont 2 de réserve), et la règle du pouce se situe autour de 10km par barre en roulant sans maniérisme ni excès.
Le reste de l’instrumentation n’étant pas d’un grand secours dans la gestion d’une autonomie qui devient rapidement automanie. L’indicateur de distance restante du tableau de bord n’est pas d’un grand secours dans cette tâche, il se base sur une fenêtre d’intégration étroite et il n’est ainsi pas rare de voir une autonomie affichée à plus de 180km fondre en 20km et 2 barres à 110km, faute d’un trajet favorable. L’indicateur de consommation moyenne est inutile, l’unité choisie (kWh/km) le reléguant à afficher une valeur de 0.1 ou 0.2 kWh/km, optimiste d’ailleurs. Reste l’indicateur de puissance consommée ou régénérée qui donne une information utile sur la consommation et récupération instantanée, mais ne permet pas de l’intégrer sur une distance utile. Dans de telles conditions, des parcours plus longs relèvent de l’aventure, à l’image d’un Lausanne-Sion (voir encadré) riche en émotions et contraignant en termes logistiques.
A l’instar de tout gadget électronique à autonomie réduite, les possibilités de recharge peuvent rapidement devenir une obsession. Si l’électricité est ubiquitaire dans nos sociétés, elle l’est beaucoup moins dans des lieux accessibles par une automobile. Les garages d’immeubles sont rarement équipés, et si prise il y a, elle sera dans la plupart des cas connectée à un compteur commun, gage de discussions animées avec co-propriétaires ou gérance pendant que votre Leaf avale une à deux dizaines de kWh quotidiens. Des alternatives existent, et nous fument surpris de découvrir qu’elles permettent de rouler au forfait, voire gratuitement. Des réseaux de stations de charge tels que Park & Charge affilié au réseau LEMNet (carte) permettent de se parquer (parfois avec une limitation à 4 heures) et se recharger au forfait (100 CHF/an pour l’accès à l’entier du réseau). Certaines villes proposent même des places de charge gratuites. Deux bémols toutefois. Tout d’abord, il n’y a pas de solution pour sécuriser le précieux cable de charge contre le vol ou une manipulation malveillante. Ensuite, le réseau est clairsemé selon les régions et incomparable avec la densité offerte par les quelques 3600 stations d’essence disponibles en Suisse. Il est donc possible de payer très peu l’énergie consommée, mais l’issue la plus probable est une recharge nocturne à son domicile.
Le temps de charge dépend de la source à disposition. La trappe à électrons se trouve dans le museau de l’auto, dévoilant deux prises, l’une pour la charge normale sur secteur 220V, l’autre pour la charge rapide par courant continu. Dans le premier cas, le courant de charge sera la plupart du temps limité à 8 Ampères, ce qui nous amène à notre deuxième règle du pouce : 1 barre par 10km de décharge, et plus d’une heure de recharge par barre, soit une douzaine d’heure pour une charge complète. La problématique n’est donc pas uniquement liée à la densité de stations, mais également au temps de charge autorisé par la station. Une ébauche de solution existe par le biais des stations de recharge rapide de type 3 (400V DC au lieu de 220-240V AC), rares mais efficaces puisqu’elles permettent d’attendre 80% de la charge en 30 minutes, mais au prix d’un vieillissement accéléré des batteries.
Nissan garantit la Leaf 3 ans, avec une extension à 5 ans et 100’000km pour les composants spécifiques à la propulsion électrique. Les précieuses batteries sont donc sous couverture du constructeur, mais perdront irrémédiablement leur capacité au gré des cycles de charge/décharge. S’il est difficile d’obtenir des informations catégoriques et fiables sur le sujet, tabler sur une capacité résiduelle de 70 à 80% après cinq années d’utilisation normale semble – pour l’instant – être réaliste.
Economiquement, l’équation est difficile à résoudre. Nissan affiche la Leaf à 49950 CHF. Avec une consommation moyenne estimée à 250 Wh/km et un prix du kWh de 20 centimes en distribution privée, on arrive à un coût énergétique de 5 CHF/100km, l’équivalent pécuniaire de 2.6 L/100km d’un carburant à 1.90 CHF par litre, soit une économie de 6.50 CHF aux 100km parcourus avec une voiture conventionnelle consommant 6 L/100km et coûtant 30’000 CHF. En parcourant 80km par jour – le maximum réaliste sans charge intermédiaire – il faudrait plus de 10 ans pour amortir la différence de prix d’achat. Les incitations fiscales vont de faibles à minimes, Conforme aux bons principes du fédéralisme, les taxes d’immatriculation annuelles varient selon les cantons, avec par exemple 25 CHF annuels sur Vaud, exonération sur GE sous conditions, 50% de réduction sur Neuchâtel ou Valais (voir détails sur le site de l’OFEN). L’équation écologique est encore plus complexe. Considérations géographiques sur l’approvisionnement énergétique, pressions politique pour l’arrêt des centrales nucléaires, émissions de gaz à effet de serre, énergie grise, matières premières, nous ne traiterons pas du sujet ici.
Autonomie contrainte et bilan économique rationnellement inaccessible à la plupart des bourses font de la Leaf un objet de luxe, objectivement inutile mais subjectivement désirable pour celle ou celui qui peut se l’offrir. La volupté de la propulsion électrique, lisse et silencieuse, le côté ludique du couple copieux disponible au premier tour de roue. Une sorte d’alter ego citadin au Tesla Roadster, à conduire sans retenue ni considération particulière pour sa consommation, mais plutôt parce qu’elle offre une alternative intéressante et différente à l’ennui des trajets urbains ou pendulaires.
Prix des principales options
Panneau solaire | 465 CHF |
Winter Pack | 510 CHF |
Peinture métallisée | 650 CHF |
Face à la concurrence
Nissan Leaf | Tesla Roadster Sport | Opel Ampera |
Toyota Prius Plug-in Hybrid |
|
Moteur | Electrique synchrone | Electrique AC à induction | Hybride sériel/parallèle | Hybride parallèle |
Puissance (ch / t/min) | 109 / 2730-9800 | 288 / 4400-6000 | 150 / – | 136 / – |
Couple (Nm / tr/min) | 280 / 0-2730 | 400 / 0-5100 | 370 / – | – / – |
Transmission | Roues AV | Roues AR | Roues AV | Roues AV |
Boite à vitesses | 1 rapport | 1 rapport | 1 rapport | CVT |
RPP (kg/ch) | 14.1 | 4.42 | (11.05) | (10.44) |
Poids DIN (constr.) | 1537 (1525) | 1275 | (1657) | (1420) |
0-100 km/h (sec.) | 11.9 | < 4 | < 10 | 10.7 |
Vitesse max. (km/h) | 145 | 201 | 161 | 180 |
Conso Electr. Mixte (constr.) | (173) Wh/km | 247.8 (164.7) Wh/km | (135) Wh/km* | 0 |
Conso Carb. Mixte (constr.) | 0 | 0 | (1.2) L/100km* | (2.1) L/100km |
Charge batteries (kWh) | 24 | 56 | 16 | 4.4 |
Réservoir (l) | 0 | 0 | 35 | 40 |
Emissions CO2 (g/km) | 0 | 0 | 27* | 49 |
Longueur (mm) | 4450 | 3941 | 4498 | 4480 |
Largeur (mm) | 1770 | 1851 | 1787 / 2126 | 1745 |
Hauteur (mm) | 1550 | 1127 | 1439 | 1490 |
Empattement (mm) | 2700 | 2351 | 2685 | 2700 |
Coffre | 330 / 680 | NC | 310 / 1005 | 443 |
Pneumatique AV | 205/55/16 | 175/55/16 | 215/55/17 | 195/65/15 |
Pneumatique AR | 205/55/16 | 225/45/17 | 215/55/17 | 195/65/15 |
Prix de base (CHF) | 49’950 | 142’200 | 52’900 | N.C. |
Prix de base (EUR) | 30’990 | 102’400 | 44’500 | N.C. |
* selon norme CE 715/2007
Nos sincères remerciements à Nissan Suisse pour le prêt de cette Leaf.
Les galeries de photos
Un week-end en Nissan Leaf
Lorsque l’opportunité de disposer pour le weekend de notre Nissan Leaf de test se présente, je m’empresse d’accepter. La perspective d’expérimenter une voiture « zero emission » à propulsion électrique m’attire. Je passe mes weekends traditionnellement à ma résidence secondaire, située à 121 km du bureau, composés de 110 km d’autoroute plus 2 km de route de plaine et 9 km de montée (750m de dénivelé). Une rapide vérification de l’autonomie de la Nissan Leaf me rassure : 175 km, j’ai de la marge. Je demande tout de même conseil à l’un de mes collègues californien possesseur depuis une année d’un modèle identique. Sa réponse sur la faisabilité de mon trajet : « ça va être super-chaud ». Il me fournit également une table de consommation en fonction de la vitesse ainsi que des conseils de conduite. Tout à coup, mon plan d’effectuer simplement mon trajet hebdomadaire devient un projet demandant une planification sérieuse.
Après quelques recherches, je découvre le réseau de stations de recharges puis, le fait que la ville située au pied de la montée finale est particulièrement accueillante pour les voitures électriques en offrant plusieurs points de recharge. Le weekend précédent, je passe en revue ces stations et j’en sélectionne une. Dernière vérification par téléphone pour apprendre que le courant disponible à l’emplacement choisi est offert. Le jour J, mon plan est limpide: je pars du bureau, je roule tranquille, j’effectue un pit-stop au pied de la montée et tout devrait bien se passer.
Je démarre avec les électrodes négatives de mes batteries gorgées de ions au lithium, matérialisé par les 12 barres allumées au tableau de bord indiquant le niveau de pleine charge. La circulation dense du vendredi soir dans la périphérie lausannoise m’interdit toute folie, le mode « ECO » sélectionné non plus d’ailleurs. Je soulage l’accélérateur lors de la première montée, plus par souci de ne pas exagérer que par conviction de faire un choix déterminant pour mon autonomie. Après quelques kilomètres seulement, la barre supérieure de mon indicateur de charge disparaît, bigre, je suis à peine parti ! Je me résous donc à avaler les premiers 40 kilomètres vallonnés à une vitesse entre 60-70 km/h pour les montées et 80-90 km/h pour les descentes. Inutile de dire qu’à ces vitesses et sur autoroute, je suis une chicane mobile. Aucun véhicule ne reste derrière moi, y-compris les autocars ou les camions, je roule à une vitesse nettement inférieure au reste du trafic. C’est assez stressant, et le mécontentement manifesté par les automobilistes en me dépassant est assez gênant.
Il me reste maintenant 70 km d’autoroute de plaine, la table fournie par les conducteurs geeks de Nissan Leaf dans la Sillicon Valley m’indique que la vitesse raisonnable à adopter pour arriver sans souci est de 80 km/h, je la sélectionne au régulateur et prends mon mal en patience. Je surveille constamment la distance restante sur mon GPS et l’autonomie indiquée, ma marge augmente tranquillement je n’ai maintenant plus de doute sur mes chances d’arriver au moins jusqu’au pied de la montée. J’avais bien sûr noté des points de charges de secours intermédiaires, je me rends compte que je ne vais pas en avoir besoin.
J’arrive au pied de la montée, mon indicateur de niveau de batterie montre 3 barres, je prends la direction du point de recharge, connecte le tout et je me dirige vers une terrasse pour tuer le temps. De retour une heure et quart plus tard, j’ai gagné 2 barres sur mon niveau de charge et aborde la montée l’esprit serein tout en adoptant un rythme de sénateur. J’arrive chez moi en ayant consommé 3 barres sur la montée. 3h15 après mon départ du bureau, j’ai atteint ma destination mais j’ai surtout compris que ce mode de propulsion a encore de nombreux progrès à réaliser, dans la capacité des batteries comme pour le temps de charge, avant de proposer des voitures aptes à remplir des tâches aussi variées que celles à propulsion traditionnelle.
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