Essai Chrysler Viper RT/10: couleuvre ?


A la découverte de la Chrysler Viper dans le Nevada.

Aux Etats-Unis, l’évocation de la Dodge Viper provoque invariablement le même commentaire : « it goes well on a straight line » (elle va bien en ligne droite). Pour vérifier cette réputation pour le moins ironique concernant une voiture de sport, je me décide à louer un modèle RT/10 pour une journée. Après avoir franchi le large espace entre la portière et le siège, force est de constater que l’ergonomie n’a pas été en tête de la liste des priorités pour l’équipe de développement. Le siège, dont le dossier est fixe et bien trop incliné vers l’arrière à mon gout, n’offre pas de possibilité d’ajustement de la hauteur. Avec un volant placé trop haut et trop loin, pas réglable lui non plus, la perspective d’une virée dans les déserts du Nevada prend soudain une tournure nettement moins exaltante.

L’installation à bord devient plus inquiétante encore lorsque j’ajuste la position longitudinale du siège. Les pédales sont décentrées, ou plutôt carrément coincées entre le passage de roue à gauche et un tunnel de transmission aux dimensions fort généreuses. La pédale d’embrayage frôle la tôle, et sa course, longue comme le strip de Las Vegas, ne me plait guère, m’imposant une position de conduite peu confortable. Pas de repose pied, donc, et surtout pas la moindre place pour le pied gauche ailleurs que sur cette pédale. Ce qui est plus surprenant c’est qu’il faut vraiment orienter tout son corps vers l’aile avant gauche pour atteindre les pédales. Vers l’avant la visibilité est parfaite, le capot ondule devant moi et permet de bien cerner les angles de la voiture. Le rétroviseur intérieur affecte tout de même une bonne partie du champ de vision lors des virages à droite, comme le montant droit masque partiellement le rétroviseur de ce côté-là. Peut-être que l’acheteur cible de Viper est aussi tordu morphologiquement que psychologiquement ?

La première apparition publique du concept de la Viper eut lieu au salon de Detroit en janvier 1989. Comme les commandes affluèrent immédiatement, la décision fut prise de la réaliser. 85 ingénieurs triés sur le volet reçurent comme objectif de performance pour cette voiture un 0-160-0 km/h en moins de 15 secondes. En décembre 1989 un premier prototype pu débuter les tests de roulage. Les livraisons commencèrent en janvier 1992.

Lamborghini qui, à cette époque était la propriété de Chrysler, fut désigné pour adapter le V10, originellement utilisé dans la gamme de pick-up RAM, à une utilisation plus sportive. La première opération fut de remplacer le bloc d’origine en fonte par de l’alliage d’aluminium. Par contre, la distribution originale à commande de soupapes par tige et culbuteur fut conservée sur demande de la maison mère, peu encline à investir dans une voiture au succès à long terme incertain. Si la Corvette peut se passer d’arbres à cames en tête, pourquoi se gêner ? De 8 litres de cylindrée, ce V10 à 2 soupapes par cylindre produit initialement 400 ch à 4600 t/min. Conséquent dans l’absolu, même si le rendement est comique, à peine 50 ch par litre de cylindrée, faute de pouvoir atteindre des régimes de rotation plus élevés. Il va subir différentes évolutions pour atteindre aujourd’hui 506ch dans le modèle SRT10 apparu en 2003. Notre modèle d’essai propose 450ch SAE, ce qui correspond à environ 415ch DIN et un couple de 664 Nm à 3700 t/min. Mention au passage de la cylindrée unitaire de 799 cm3, un record probable dans la production automobile d’après-guerre.

Le châssis tubulaire en acier, supporte une carrosserie composée de panneaux en fibres de verre. Moteur à l’avant, cette propulsion perpétue la tradition des classiques « muscle cars » américaines : beaucoup d’attention sur le couple et la puissance, au détriment de la tenue de route. Ce roadster disponible avec capote à installation manuelle ou, comme notre voiture de location, avec un hardtop dont les deux bossages libèrent suffisamment de place pour la tête des passagers. Celui-ci devra, soit rester au garage, soit en place sur la voiture, car il n’entre pas dans le coffre.

Les panneaux de carrosserie ne sont pas très bien ajustés, le capot moteur semble connaitre des soucis de fermeture, je vais sagement m’abstenir de le manipuler. Mais le pire se trouve à l’intérieur. Les plastiques sont tout bonnement indignes d’une voiture de ce prix. Le tableau de bord au look correct avec ses quatre cadrans ronds au fond blanc est également mal fini, d’ailleurs, en roulant, des courants d’air chauds provenant du compartiment moteur entrent dans l’habitacle par ces défauts. Le poste de pilotage est dominé par un énorme frein à main encore plus imposant que le levier de vitesse. Le seul compartiment de rangement dans l’habitacle est un casier qui ne pourra accueillir guère plus qu’une paire de gants.

Me voici donc, prêt au départ, mal installé dans cette voiture de sport, en plein centre ville de Las Vegas. L’employé de l’agence de location me lance un « have fun, be careful in first and second ». Dois-je donc m’attendre à des démarrages type dragster à chaque feu vert ? Fun, en effet, les premiers miles en ville le sont. La commande de boite est relativement précise, le débattement entre le point-mort et les rapports impairs est beaucoup plus important qu’entre le point-mort et les rapports pairs, cela perturbe au début. Alors que la course du levier sur une voiture de sport se mesure en centimètres, dans la Viper, on parle de décimètres ! La deuxième, passablement récalcitrante, restera un souci jusqu’à ce que je me rende compte qu’un passage première-quatrième ne pose aucun problème particulier à ce V10 au couple pour le moins « camionesque ».

Direction le désert, et ses routes à faible trafic et longues courbes. La confiance aidant je commence à explorer la totalité de la course sans fin de la pédale d’accélérateur. Le moteur pousse correctement, mais ça manque un peu de sel, du fait d’un bruit pas très sexy. Malheureusement, cette voiture est équipée des sorties d’échappement classiques à l’arrière, et non pas latérales comme sur les modèles originaux, ce qui aide à fournir des sensations plus en phase avec le caractère de la voiture. Le confort sur les routes américaines est honnête. La tenue de route est affectée par le poids du moteur, je n’ai jamais conduit une voiture qui présente autant d’inertie de l’avant. Le roulis est très bien maitrisé. L’absence de toute aide à la conduite (pas d’anti-patinage, ni d’ABS) et le couple bien présent dès le ralenti m’impose une certaine retenue, bien que les montées en régimes ne soient pas très franches. Le freinage par contre se montre à la hauteur, une pédale bien progressive et une force de ralentissement tout à fait correcte jusqu’à la limite d’adhérence des Michelin Pilot Sport. Par contre le talon-pointe s’avère très difficile, voire impossible. La direction est très bonne, directe, un peu trop assistée à mon goût, mais communique  parfaitement les informations sur l’état de la route et le niveau d’adhérence du train avant.

A l’instar de certaines croupières du cru, il est clair que cette voiture de location n’est plus toute fraîche, avec plus de 72000 km aux mains de flambeurs probablement plus adroits au lancer de dés qu’au double-débrayage, mais le manque de sensations, le comportement en courbe qui laisse à désirer en font une voiture qui n’a, selon moi, aucune chance de satisfaire un amateur de voiture de sport habitué aux standards européens. Une ergonomie risible, la finition intérieure d’un autre âge qui, de plus, vieillit mal n’améliorent pas le bilan global. Les formes de cette belle voiture de sport auraient mérité plus d’attention. Finalement, une belle déception, les performances en ligne droite de la RT/10 ne sont même pas si extraordinaires. Il faut espérer que la version SRT10 fasse mieux dans tous les domaines. Il est probable que la concurrence locale avec la Corvette soit inatteignable pour cette Viper, et je ne parle pas des européennes de la catégorie, carrément sur une autre planète.

Face à la concurrence

Dodge Viper RT/10 Corvette C06 Dodge Viper SRT10 Corvette Z06
Moteur V10, 7990 cm3 V8, 5967 cm3 V8, 8285 cm3 V8, 7011 cm3
Poids Kg (DIN, constructeur) 1570 1460 1756 1418
Puissance (ch / régime) 450 (SAE) / 5200 404 / 6000 506 (SAE) / 5600 512 / 6300
Couple
(Nm / régime)
664 / 3700 546 / 4400 711 / 4000 637 / 4800
0-100
km/ h (constr.)
4.2s 4.3s 3.9s 3.9s
Vitesse
max (constr.)
304 km/h 300 km/ h 314 km/ h 320 km/ h
Pneumatiques avant 275/35 ZR 18 245/40 ZR 18 275/35 ZR 18 275/35 ZR 18
Pneumatiques arrière 335/30 ZR 18 285/35 ZR 19 335/30 ZR 18 325/30 ZR 19
Longueur 4.448 m 4.435 m 4.458 m 4.459 m
Largeur 1.924 m 1.844 m 1.911 m 1.927 m
Hauteur 1.117 m 1.246 m 1.209 m 1.246 m
Prix> 132’000 CHF 100’090 CHF 154’750 CHF 113’490 CHF

 

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