Sanctions CO2: le précipice de 2020 ?

Les nouvelles cibles C02 vont bouleverser le marché.

Penchons-nous sur les implications de l’introduction des 95 g/km dès 2020, sur l’impact financier que la réduction des émissions de CO2 aura sur les prix des voitures neuves, la contribution des voitures électriques et rechargeables, et le chemin parcouru depuis l’introduction des sanctions CO2 en 2012.

Les bases légales: rappel

La Suisse a introduit au 1er juillet 2012 des prescriptions sur les émissions de CO2 des voitures de tourisme, s’alignant ainsi sur l’objectif de l’Union Européenne d’atteindre une moyenne de 130 g/km d’émissions de CO2 en 2015. Cette disposition a également servi de contre-projet indirect à l’initiative populaire anti-4×4 des Jeunes Verts qui visait à interdire à la vente tout véhicule de plus de 2.2 tonnes ou émettant plus de 250g/km de CO2. La real politik finit par avoir le dessus sur l’idéologie, le parlement vota la révision de la Loi fédérale sur la réduction des émissions de CO2, et les Jeunes Verts retirèrent leur initiative.

En résumé, les dispositions de la loi étaient:
1) le paiement d’une sanction pour dépassement d’une valeur cible d’émissions de CO2
2) le calcul d’une moyenne de flotte pour les importateurs de 50 voitures neuves ou plus par année
3) le paiement véhicule par véhicule pour les particuliers ou les petits importateurs de moins de 50 voitures par an

La mise en œuvre fut échelonnée de deux manières:
1) introduction adoucie: les émissions de flotte furent calculées sur un pourcentage des émissions de la flotte concernée ayant les émissions les plus faibles: 65 % en 2012, 75% en 2013, 80% en 2014 puis l’entier du parc en 2015.
2) progressivité dans le temps. De 2012 à 2018, les dépassements des valeurs cibles furent sanctionnées à raison de 7.50 CHF par véhicule pour le 1er gramme de CO2/km, 22.50 CHF pour le 2ème, 37.50 CHF pour le 3ème et 142.50 CHF dès le 4ème. Dès 2019, le tarif maximum de 142.50 CHF par gramme de CO2 excédentaire devait être appliqué, mais cette valeur a été modifiée par la suite (voir correction en fin d’article).

La lune de miel et les premiers coups de semonce

Initialement, l’introduction de ces mesures ressembla plus à une chicanerie mise en place par le lobby automobile au Parlement suisse pour juguler les importations directes. Le franc fort avait rendu les achats de voitures dans les pays limitrophes extrêmement attractifs. De 2012 à 2014, les petits importateurs paient ainsi au total 6.8 millions de sanctions cumulées, les grands importateurs moitié moins.

Premier coup de semonce en 2015, les premières grosses sanctions tombent pour des gros importateurs: 10.8 millions de francs. En 2016 et 2017, les sanctions redeviennent faibles, mais la tendance à la baisse des émissions de CO2 s’inverse. En 2018, les sanctions CO2 bondissent à 31.1 millions de francs.

Il est judicieux de rappeler que n’importe quelle société important plus de 50 voitures par an est considérée comme un grand importateur. Il y en a 77 en 2018, dont 25 peuvent être considérés comme “officiels”. Les plus grands importateurs parallèles importent presque 2000 voitures par an. L’importation parallèle représente 4% de l’ensemble du marché.

Les marques du groupe Fiat Chrysler (Alfa Romeo, Fiat, Jeep), Mercedes-Benz (& Smart) et Mazda reçoivent les plus fortes amendes. Pour relativiser, FCA ou Maserati ont payé CHF 743 de sanction par véhicule importé pour 9.7g d’excès, Mercedes CHF 494.5 pour 7.3g d’excès.

Pourquoi cette hausse des émissions ? Les SUVs sont communément fustigés, probablement à raison. La baisse de la cylindrée moyenne résultant du downsizing s’est stabilisée depuis 2010 autour de 1800 cm3, mais le poids des véhicules a augmenté de 12.6% de 2013 à 2018.

On peut également mentionner l’explosion des ventes en transmission intégrale sur le marché suisse, même si l’amalgame entre 4×4 et SUV est un piège dans un pays où une forte proportion de berlines et compactes ont quatre roues motrices, tout comme les électriques premium d’ailleurs.

2020: le gouffre ?

L’année 2020 voit l’introduction d’une réduction draconienne des cibles d’émissions CO2. Pour simplifier à l’extrême, la cible passe de 130g/km à 95 g/km. La réalité est toutefois nettement plus complexe puisque les cibles de chaque groupe d’importation (les marques peuvent s’associer comme elles le souhaitent) sont pondérées en fonction du poids moyen des véhicules. Des dérogations existent également pour les petites marques, avec des cibles incrémentales spécifiques.

Les cibles 2020 sont:

Importateur Poids 2018 2019 2020
Alpina 2172 218 216 214
Aston Martin 1897 297 295 290
Bentley 2552 286 264 245
BMW & MINI 1877 144,3 143,2 104,2
Cadillac, Corvette, Camaro 1907 267 265 245
Peugeot, Citroën, DS 1618 132,5 131,4 95,6
Toyota, Lexus, Mitsubishi, Kia 1691 134,1 134,7 98,0
FCA 1604 131,9 130,7 95,1
Ferrari 1746 289 286 280
Ford 1612 132,2 131,1 95,4
Honda 1372 121,3 120,1 87,4
Hyundai 1560 129,9 128,7 93,6
Jaguar Land Rover 1691 NC 178 130,5
Lamborghini 1949 315,0 304,0 106,6
Lotus 1199 225,0 225,0 225,0
Maserati 2258 239,0 237,0 235,0
Mazda 1503 129,4 126,1 91,7
McLaren 1549 265 260 250
Mercedes 1860 143,6 142,4 103,6
Nissan 1558 129,8 128,6 93,6
Renault 1421 123,5 122,4 89,0
Ssangyong 1859 167,6 167,6 103,6
Subaru 1609 164,6 164,6 120,7
Suzuki 1131 123,1 123,1 90,3
Volvo 1969 148,6 147,4 107,3
VW, Seat, Skoda, Audi & Porsche 1745 138,3 137,2 99,8

Tous les importateurs en italique ont tenu leurs cibles 2018.

Des dispositions ont été adoptées pour amortir le choc, sous la forme d’une introduction progressive et de super-crédits:

Couverture Super-crédits
2020 85% 2.00
2021 90% 1.67
2022 95% 1.33
2023 100% 1.00

La couverture (ou “phase-in”) permet à chaque importateur d’éliminer la fraction la plus polluante de la flotte prise en compte dans le calcul. Le calendrier suisse est plus complaisant que dans l’Union Européenne où la couverture sera de 95% en 2020 puis 100% dès 2021.

Les super-crédits sont accordés aux voitures qui émettent moins de 50 g/km, soit les électriques et certaines hybrides rechargeables. Le calendrier est ici identique à celui de l’UE. L’impact dans le calcul est significatif: leur contribution est multipliée au numérateur comme au dénominateur, ce qui a un effet dilutif sur le quotient de l’ensemble.

Il y a cependant une limite: la contribution des super-crédits ne peut pas excéder 7.5 g/km au total sur 3 ans. Les importateurs ne peuvent pas tenir leurs cibles en compensant leurs voitures à combustion avec un quota illimité d’électriques.

La recette miracle ?

Ces cibles sont-elles atteignables ? Comment les facteurs de couverture et les supercrédits se combinent-ils pour aider les différents importateurs à tenir leurs cibles ? Sans être dans le secret des saints, on peut échafauder quelques scénarios parfaitement fictifs, mais instructifs sur l’ampleur du défi.

Prenons deux exemples en commençant par le groupe BMW qui combine les marques BMW, MINI et Rolls Royce. Les émissions de cette flotte étaient de 140.7 g/km en 2018, sous l’objectif de 144.3 g/km. La cible 2020 est de 104.2 g/km. BMW dispose dans son portefeuille d’une électrique, l’i3, et d’un nombre grandissant d’hybrides (série 2, série 3, série 5, série 7, X3, X5, et i8).

En éliminant 15% de ses voitures aux plus fortes émissions, soit 4498 véhicules (BMW a vendu 3241 véhicules estampillés M en 2018), BMW devrait vendre en hybride 25% de série 2,  3, 5, 7, X3, X5 et MINI Cooper SE pour atteindre 104.7 g/km, ce sur la base du mix 2018. Les ventes d’i3 sont ici supposées constantes. Le piège, cependant, est que la contribution des super-crédit serait alors de 12.7 g/km en une année, soit près du double autorisé sur trois ans.

Selon ce scénario fictif, BMW ne pourrait donc pas descendre sous les 110.2 g/km, soit une sanction moyenne de CHF 655 par voiture vendue. Le retour de balancier serait brutal en 2021 avec:
– une couverture de 90%, soit 5% de voitures à fortes émissions en plus
– l’absence de supercrédits, déjà épuisés en 2020.

Toujours avec notre mix fictif mais ambitieux de 25% de PHEV et des ventes de 1063 i3 par année, les émissions 2021 remonteraient à 120.1 g/km, soit 1737 CHF de sanction. Même en substituant les ventes de 500 X3 par des iX3 électriques fraîchement lancés sur le marché, les émissions 2021 ne descendent qu’à 117.7 g/km, soit 1474 CHF.

Si les ventes d’hybrides 2020 plafonnent à 10%, soit la part actuelle de la production de BMW, au lieu des 25% envisagés précédemment, notre simulation déboucherait sur une moyenne de 120.3 g/km en épuisant le quota de supercrédits, soit 1758 CHF par véhicule en moyenne, puis passent à 130.9 g/km et 2906 CHF en 2021 avec 90% des véhicules.

Ces scénarios ignorent naturellement les fluctuations de mix, par exemple un désamour des SUVs, et d’éventuelles baisses continues de la consommation des moteurs à combustion.

Mercedes part de loin

Autre exemple, le groupe Mercedes. A la différence de BMW, Mercedes n’a pas tenu sa cible 2018, terminant à 151 g/km soit 7.3 g/km d’excédent. La cible 2020 de Mercedes est de 103.6 g/km. En substituant 600 EQC à des GLC et en réalisant 10% des ventes de classes A, B, C, E et GLE en hybride plug-in, Mercedes épuise ses super-crédits à 125.2 g/km, soit 2358 CHF de sanction moyenne.

Un carton de l’EQC à 1’000 unités en 2020 et une razzia sur les A250e, B250e et les hybrides rechargeables diesel en classe C, E et GLE, et le résultat tombe à 116.8 g/km, soit 1435 CHF.

Au-dessus de la moyenne

Les stratégies commerciales des constructeurs détermineront les répercussions sur les grilles tarifaires. L’hypothèse d’une baisse des marges sur le prix de vente est la moins plausible dans un contexte où les investissements dans l’électrification sont lourds, et les voitures électriques et hybrides moins rentables.

Il est donc plus probable que les marques vont répercuter à plein les sanctions à 109 CHF le gramme sur le prix des voitures à plus fortes émissions de CO2, et les grands constructeurs vont être soumis à plus rude épreuve que les marques de niche et leurs cibles comparativement complaisantes, pour l’instant du moins.

La demande des consommateurs pour les électriques et hybrides rechargeables reste également une inconnue. Des promotions sur les véhicules à très faibles émissions semblent plausibles, d’autant plus au deuxième semestre, une fois la demande organique clarifiée, et peut-être insuffisante.

Seule certitude: si les cibles CO2 ont été relativement faciles et peu onéreuses dans les années 2010, il va en être tout autrement dans une nouvelle décennie où l’automobile va subir des transformations profondes.

Corrections et développements – 16.12.2019

Contacté sur le sujet, l’office fédéral de l’énergie a attiré notre attention sur des modifications de l’Ordonnance sur la réduction des émissions de CO2 approuvées par la Ministre compétente à l’époque, Doris Leuthard, puis cette année par Simonetta Sommaruga.

L’ordonnance initiale approuvée en 2012 stipulait le calendrier suivant:
– de 2012 à 2018, les dépassements des valeurs cibles sanctionnées à raison de 7.50 CHF par véhicule pour le 1er gramme de CO2/km, 22.50 CHF pour le 2ème, 37.50 CHF pour le 3ème et 142.50 CHF dès le 4ème.
– dès 2019, le tarif maximum de 142.50 CHF par gramme

L’ordonnance fut révisée le 21 Septembre 2018 à:
– 2017: 5.50 CHF jusqu’au 1er gramme, puis 16.50 CHF jusqu’au 2ème gramme, puis 27.50 CHF jusqu’au 3ème, puis 104.50 CHF au-delà, soit 154 CHF pour les 4 premiers grammes
– 2018: idem mais 103.50 CHF depuis le troisième gramme
– 2019: 111 CHF par gramme

L’ordonnance fut à nouveau révisée le 16 Septembre 2019:
– 2020: la sanction baisse à 109 CHF par gramme

Corrections et développements – 18.12.2019

La loi suisse de 2011 sur les émissions de CO2 prévoit dans son article 13 al2 que les montants des sanctions sont révisés chaque année en se basant sur les montants en vigueur dans l’Union européenne et sur le taux de change. L’application de ce texte a conduit l’Office Fédéral de l’Energie à s’aligner sur la sanction européenne de 95€/g et d’appliquer le taux de change entre l’euro et le franc suisse.

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