Climat et électriques: que disent les chiffres ?

Les voitures électriques sont-elles réellement plus propres, climatiquement parlant ? 

Réchauffement climatique, pollution de l’air, dieselgate, électrification, énergie grise, centrales au charbon, sortie du nucléaire. Les citoyens-consommateurs sont pris dans un tourbillon de problématiques connexes mais souvent contradictoires et fabuleusement confuses. Une confusion alimentée par des forces politiques ou idéologiques. Les enjeux sont titanesques mais les conséquences diffuses, avec pour résultante la tentation du status quo. Nous faisons un tour d’horizon des éléments qui lient la mobilité individuelle à la problématique du changement climatique..

CO2: les choses sérieuses continuent

Le 9 Octobre 2018, le conseil des ministres européen de l’environnement s’est prononcé en faveur d’un abaissement de la cible des émissions de la flotte de voitures particulières et utilitaires légers de 35% par rapport aux cibles 2021 (95 g/km). Le Parlement Européen avait demandé une baisse de 40%. Le chiffre final devra encore être négocié entre le Parlement et la Commission, mais tombera sans doute dans cette fourchette entre 30 et 40%, soit 57 à 67 g/km. Il est très probable que la Confédération Suisse adopte par la suite les mêmes objectifs que l’Union Européenne.

Cette décision arrive dans le contexte de la publication du rapport spécial du GIEC sur les effets d’un réchauffement climatique de 1.5 degC par rapport à l’ère pré-industrielle.

Le scénario médian (en gris) se base sur l’hypothèse d’émissions nettes de CO2 nulles après 2055, exprimées en températures moyennes à la surface du globe. Le scénario violet reflète les projections en cas d’absence de réduction d’émissions. Le seuil de 1.5 degC d’augmentation de la température moyenne pourrait être dépassé bien avant 2040.

Etat des lieux

Le secteur des transports représentait en 2015 25.8% des émissions de gaz à effet de serre des 28 pays de l’UE en 2015. Parmi les modes de transport, la route représente 72.9%, alors que l’aviation et le transport maritime ne représentent que 13% chacun. Ces 72.9% se décomposent à raison de 44.4% pour les voitures, 8.6% pour les utilitaires légers, et 18.8% pour les poids lourds.

Les émissions des autres secteurs majeurs comme l’énergie, l’industrie ou le logement sont en baisse, mais celles des transports ont tendance à augmenter, sauf en période de récession économique. L’Union Européenne ne parviendra pas à tenir ses objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre sans diminuer celles provenant des transports, et donc celles des voitures particulières et utilitaires légers.

La thématique des transports est donc inévitable pour contenir les conséquences catastrophiques du réchauffement climatique.

Les électriques sont-elles une solution ?

La réponse simple à une problématique complexe est: ça dépend. De multiples facteurs, notamment de l’endroit où l’on vit et se déplace. Ce type de réponse cadre mal avec les à-prioris des citoyens consommateurs, parfois idéologiques, qui ne tolèrent souvent qu’une réponse catégorique et univoque.

La comparaison entre des écosystèmes aussi disparates que
– l’industrie pétrolière et le moteur à combustion interne d’une part,
– la production électrique, les batteries et moteurs électriques d’autre part
requiert une analyse holistique qui recouvre au minimum la production, l’exploitation et la disposition en fin de vie.

Ces analyses ne foisonnent pas, nous résumons et discutons ici les conclusions de quatre études détaillées.
– Life Cycle CO2e Assessment of Low Carbon Cars 2020-2030 (2013), une étude conduite en 2013 par le cabinet PE International pour le compte de la Low Carbon Vehicle Partnership, une association britannique pour la décarbonisation des véhicules au Royaume Uni, et mise-à-jour en 2018
– Cleaner Cars from Cradle to Grave (2015), une étude conduite par the Union of Concerned Scientists
– Bilans énergétiques, des émissions de gaz à effet de serre et autres impacts environnementaux induits par l’ensemble des filières de véhicules électriques et thermiques (2013), étude commandée par Agence française De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (Ademe) et co-écrite par PE International
– Aktualisierung Umweltaspekte von Elektroautos), étude suisse mandatée par l’OFEV et actualisée en 2018.

L’étude anglaise

L’étude anglaise conclut notamment que dans un scénario typique et à l’horizon 2020, une voiture électrique aura un empreinte carbone de 21.6 tonnes, soit environ 6% supérieure à celle d’une hybride rechargeable, et 12% inférieure à une hybride non rechargeable. Les émissions totales de la voiture électrique sont inférieures de 24.7% à la voiture à moteur à combustion interne classique.

L’empreinte, exprimée en équivalent CO2 de gaz à effet de serre (GES), est équivalente pour une hybride rechargeable (PHEV) et une voiture électrique (BEV), 10% supérieure pour une hybride non-rechargeable (HEV). La voiture électrique est plus propre que la voiture classique à combustion interne, mais seulement de 25%.

Les hypothèses dominantes de l’étude sont:
– Évaluation sur une phase d’utilisation de 150’000 km
– Voiture à combustion de type compact (Golf, Mégane, Focus) de 1240 kg roulant avec un mélange type E10 (essence avec 10% d’éthanol) et ayant une consommation NEDC de 5.83 L/100km, améliorée de 7% à l’horizon 2020
– Voiture hybride de type Toyota Auris, avec un pack NiMH de 1.3 kWh et une consommation NEDC de 4.0 L/100km, améliorée de 6% en 2020
– Voiture hybride rechargeable de type Toyota Prius Plug-In, avec un pack Lithium Ion de 4.4 kWh, et une consommation NEDC de 2.1 L/100km, améliorée de 4% en 2020
– Voiture électrique de type Nissan Leaf, avec un pack Lithium Ion de 24 kWh et une consommation de 150 Wh/km, améliorée de 2% en 2020
– Une production de courant électrique dégageant 390g d’équivalent CO2 par kWh

  

L’étude estime en particulier l’empreinte CO2 liée à la production des véhicules en question, souvent appelée énergie grise, exprimée en tonnes d’équivalent CO2 :

Actualisées à des modèles contemporains, ces estimations seraient encore plus contrastées. Une hybride rechargeable (PHEV) et une voiture électrique (BEV) auraient typiquement en 2018 un pack d’une capacité double aux hypothèses de l’étude de 2013.

On remarquera encore sur le sujet de l’empreinte de fabrication:
– Que le lieu et donc la source d’énergie utilisée pour la fabrication n’est pas clairement documenté dans l’étude et joue un rôle significatif selon la chaîne de fabrication
– Un recyclage éventuel des batteries en fin de vie du véhicule, si elles peuvent par exemple encore être utilisées comme capacité de stockage de grille (une approche encore expérimentale en 2018) pourrait également influencer significativement ces valeurs.

L’étude française

L’étude mandatée par l’Ademe est une variante de l’étude anglaise, réalisée à la même période et co-réalisée par le même cabinet, PE International.

Les hypothèses sont:
– Comparaison de trois véhicules compacts de 3.8 à 3.9m de longueur, une à moteur essence (5.9 L/100km), une à moteur diesel (4.1 L/100km) et une électrique avec une batterie de 24 kWh, toutes trois d’une puissance de 75ch environ.
– L’impact est estimé sur un cycle de vie de 150’000 km
– Le facteur d’émission pour la France en 2020 est de 83 g CO2e/kWh et de 636 g CO2e/kWh pour l’Allemagne. Pour mémoire, l’étude anglaise table sur 390 g/kWh.

L’étude débouche sur l’empreinte de production suivante, projetée en 2020:

L’énergie grise des véhicules essence et diesel sont voisins de ceux de l’étude anglaise, mais celui de la voiture électrique – pourtant de définition analogue voire identique – 23% inférieure.

Combinée à la phase d’utilisation, les français parviennent au résultat suivant:

Avec 23 tonnes de CO2e, la petite voiture essence a un potentiel de changement climatique 21% supérieur à la voiture diesel (19 tonnes), la voiture électrique alimentée au courant français (83 g CO2e/kWh) sortant largement gagnante.

Si les hypothèses d’analyse étaient changées en:
– doublant la capacité de la batterie à 48 kWh,
– utilisant du courant allemand au potentiel de changement climatique 7.7x plus élevé,
le résultat devient:

La voiture électrique, selon l’énergie grise contenue dans sa batterie et la source de production de l’électricité qu’elle consomme, peut voir son empreinte climatique presque tripler, avec les mêmes hypothèses de base, et pour deux pays limitrophes, sans pour autant la rendre moins écologique qu’un véhicule essence d’un point de vue climatique. On remarque également que, bien que hypothèses de base divergent, les valeurs d’empreinte climatique sur le cycle de vie sont sensiblement comparables en valeur absolues à celles de l’étude anglaise, avec une petite vingtaine de tonnes en équivalent CO2.

L’étude américaine

Légèrement plus récente, l’étude de l’Union of Concerned Scientists (UCS) cible une comparaison de l’empreinte écologique sur le cycle de vie de deux catégories de voitures, avec dans chaque cas une version classique et une version électrique:
– Une Nissan Leaf 24 kWh consommant 186 Wh/km
– Une compacte de 1362 kg consommant 29 MPG (miles par gallon américain) soit 8.1 L/100km, par exemple une Ford Focus, Mazda 3 ou VW Golf
– Une Tesla Model S 85 kWh consommant 236 Wh/km
– Une berline de 1952 kg consommant 21 MPG soit 11.2 L/100km,

Le cycle de vie des compactes est estimé sur 135’000 miles soit 217’000 km, celui des berlines sur 179’000 miles soit 288’000 km.

Avec 8.8 tonnes de CO2e pour la même Nissan Leaf, le modèle américain estime l’énergie grise à un niveau comparable aux 9 tonnes de l’étude anglaise, mais 28% plus haut que l’étude française. Le Model S 85 kWh de Tesla est estimé à 15.2 tonnes de CO2e, dont 5.4 pour sa batterie.

Avec des kilométrages élevés, le calcul de cycle de vie met un fort accent sur l’énergie consommée. Et dans ce domaine, l’UCS fait une hypothèse ambitieuse: pondérer les émissions liées à la production d’électricité en fonction des ventes d’électriques dans chaque région, au lieu de pondérer les émissions en fonction de la population ou des ventes de voitures, tous types confondus. Si le propos est d’étudier l’impact environnemental des électriques, les régions où les pionniers de l’électromobilité sont légion ne devraient pas biaiser le résultat. Le propos devrait concerner les électriques pour tous, pas les électriques pour les convaincus. L’UCS calcule une moyenne de 480 g/kWh, avec des extrêmes à 291 g/kWh en Alaska, et à 942 g/kWh dans le midwest.

L’UCS arrive ainsi à des résultats élogieux pour les deux électriques (une réduction de plus de 50% des émissions de gaz à effet de serre), mais pour un automobiliste du midwest, le point de croisement entre la berline gloutonne et la Tesla Model S est à 60’000 km. L’essence est plus écologique – climatiquement parlant – avant.

Une berline plus économe en carburant (par exemple une hybride légère consommant 6.5 L/100km) repousserait également le point de croisement avec le Model S chargé avec de l’électricité à 480g/kWh à plus de 80’000 km.

Cette discussion se concentre sur les gaz à effet de serre, mais d’autres considérations pourraient venir complexifier l’analyse, comme par exemple la production d’uranium pour l’industrie nucléaire dans le cas français.

Et en Suisse ?

L’Office Fédéral de l’Environnement (OFEV) a également commandé une étude sur les impacts environnementaux des automobiles électriques (Aktualisierung Umweltaspekte von Elektroautos), actualisée en 2018.

Le document se penche sur l’énergie grise et l’empreinte d’utilisation d’une large palette de véhicules:
– une compacte diesel consommant 6.0 L/100km
– une compacte essence consommant 8.5 L/100km
– une voiture fonctionnant au gaz naturel
– la diesel la plus économe (Citroen C4 1.6 BlueHDI 100, 4.6 L/100km)
– la compacte essence la plus populaire (VW Golf 1.4 TSI DSG, 7.1 L/100km)
– une électrique (BEV): une VW eGolf avec une batterie de 33.4 kWh
– une hybride non rechargeable (HEV): Toyota Prius III (5.6 L/100km)
– une hybride plug-in (PHEV): Toyota Prius III plug-in (3.4 L/100km)

Dans cette étude, la fabrication de l’auto inclut son entretien. Elle discerne les émissions liées à la production de la source d’énergie de celle de sa consommation (utilisation). Pour les électriques (BEV), les émissions d’utilisation sont liées au gaz réfrigérant de la climatisation.

Certains paramètres se démarquent des autres études, notamment:
– l’utilisation de consommations réelles, pas de valeurs NEDC déconnectées de la réalité
– l’utilisation d’un courant électrique très propre, estimé à 182 g/kWh CO2e sur la base du mix consommé en Suisse, importations incluses
– une conduite de l’hybride en mode électrique sur 35% du kilométrage
– une durée de vie de l’auto de 150’000 km, mais avec une batterie Lithium Ion sur deux demandant remplacement à 100’000 km.

La combinaison de ces facteurs fait exploser l’empreinte carbone de toutes les voitures à moteur à combustion: avec 32 à 40 tonnes de CO2e, les diesel sont évalués à des émissions 1.5 à 2x plus élevés que l’étude française. L’empreinte de fabrication des voitures (hors batteries) est également estimée à des valeurs radicalement plus élevées dans l’étude suisse que dans les études anglaise, française et américaine.

Les différences relatives sont majeures, mais en valeur absolue, le facteur dominant reste l’énergie motrice dans la phase d’utilisation, pas l’énergie grise pendant la fabrication.

Les électriques plus propres ?

Toutes les études convergent vers des conclusions similaires: l’impact climatique des petites voitures électriques (Nissan Leaf 24 kWh, VW eGolf 33.4 kWh) est significativement moindre que celui de leurs homologues à combustion interne. Nuance de taille: moindre ne veut pas dire nulle. D’un point de vue climatique, la voiture électrique est au mieux deux fois moins polluante, mais en aucun cas inoffensive.

Le facteur qui peut réduire grandement les avantages climatiques des électriques est l’empreinte de production de l’électricité, qui peut varier d’un facteur 10 selon qu’elle est principalement nucléaire (France) ou fortement fossile (Allemagne, midwest américain).

La capacité des batteries des voitures électriques, et donc l’énergie grise embarquée, qui peut varier du simple au quadruple entre une Nissan Leaf 24 kWh et une Tesla Model S 100D est un facteur, amplifié par les disparités entre les estimations des différentes études:

Ici encore, l’étude suisse se distingue par une empreinte de production élevée. A chimie constante, l’augmentation de l’autonomie péjore le bilan écologique. Aucune de ces études ne fait cependant de l’énergie grise de la batterie un facteur décisif dans le bilan climatique.

La source de l’électricité, elle, est une question centrale. Elle rentre en collision directe avec la problématique d’abandon du nucléaire (Energiewende en Allemagne, Stratégie 2050 en Suisse), une décision actée mais sans solution climatiquement cohérente pour le remplacement du nucléaire, notamment pour la constitution d’un socle de production qui assure une continuité d’approvisionnement en toute saison et situation météorologique continentale.

La Suisse doit remplacer la production de ses centrales nucléaires (31% de la consommation en 2017) par d’autres sources dans un contexte où la production hydraulique pourrait s’éroder du fait du changement climatique. La conversion d’un quart du parc automobile à la mobilité électrique est estimée par l’étude suisse à 2.3 TWh, soit 3.7% de la consommation électrique du pays. En termes d’approvisionnement, remplacer le nucléaire est un bien plus grand problème que l’augmentation de la consommation liée à la mobilité individuelle électrique. La conversion à l’électromobilité n’a cependant de sens que si elle est alimentée par des énergies plus propres que les dérivés du pétrole.

Conclusion

Les voitures électriques actuellement disponibles ne se vendent qu’en très petit volumes: la part de marché 2018 des électriques est de 0.6% en GB, 1.2% en FR, 1.7% en Suisse. Autonomie faible, coûts élevés, contraintes pratiques, la recette d’une adoption plus large n’est pas encore sur le marché, loin s’en faut. Mais sur un plan strictement climatique, une plus large pénétration  serait bénéfique aux émissions de gaz à effets de serre tant que l’électricité reste relativement propre. Toutes les études revues dans cet article s’accordent sur ce point.

La tentation de mesures d’incitation massives est cependant à tempérer. Le réchauffement climatique est un phénomène intrinsèquement global, et lutter financièrement contre la déforestation en Indonésie ou au Brésil peut avoir plus d’effet que des mesures d’incitation locales. C’est notamment la conclusion tirée par une étude de l’université de Trondheim sur les subsides norvégiens aux voitures électriques, jugés dispendieux.

Il faut aussi rappeler que la mobilité la plus écologique est 1) sédentaire (limiter ses trajets) 2) à la force des mollets 3) dans les transports en commun (moins de 10g/personne-km selon les CFF, taux d’occupation des trains inclus).

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