Formule E: l’interview d’Allan McNish

Le point sur la discipline et les progrès d’Audi.

Allan McNish a pris la direction du team Audi Abt Schaeffler de Formule E depuis la saison 2017-2018. Pilote au palmarès prestigieux, dont 3 victoires au 24 Heures du Mans et champion WEC en 2013, Allan McNish a également couru une saison en F1 avec Toyota en 2003. Alors que la Formule E ramène la compétition automobile sur circuit en Suisse après un hiatus de 64 ans, il nous livre ses vues sur sa première saison en tant que team manager, l’E-Prix de Zürich et la Formule E.

Asphalte: Votre début de saison a été difficile puis les choses se sont mises en place à partir de Mexico City. Qu’est-ce qui a changé ?

Allan McNish: Nous avons eu un très bon début de saison en termes de performance sur les 3 premières courses. Daniel Abt a gagné à Hong Kong mais fut disqualifié au contrôle technique, une erreur de note part. Nous avons vu que nous étions compétitifs, mais également frustrés de ne pas pouvoir transformer l’essai. A Marrakesh, Lucas Di Grassi a eu un problème technique et Daniel Abt fut piégé en qualifications par un drapeau jaune qui le relégua en queue de grille. Nous avons touché le fond à Santiago, avec à nouveau un problème technique sur la voiture de Di Grassi et Abt fut touché dans le premier tour. Nous avions tout ce potentiel de performance, et nous ne parvenions pas à le transformer et en résultats, et ça a été dur. Nous étions dans les tréfonds du classement. Nous avons ensuite pu homologuer des changements sur la voiture qui ont résolu nos problèmes techniques, nous avons travaillé très dur pour livrer à nos pilotes deux voitures homogènes et équivalentes.

Q: Vous voulez dire qu’il y a des différences entre exemplaires ?

R: Oui. Nous achetons ces châssis et liaisons au sol, ils ne sont pas construits par Audi. Nous avons dû également nous améliorer pour que la structure autour de chaque pilote soit de même niveau. La victoire au Mexique nous a beaucoup aidé à remonter le moral des troupes. Depuis, nous avons été sur le podium à chaque course. Nous avons depuis pu nous concentrer sur le déploiement de petites améliorations alors que jusque là, nous avions dû gérer de plus gros changements.

Q: Pourtant le team et la structure ne sont pas nouveaux ?

R: Non, mais les deux ingénieurs de course sont nouveaux, il y a eu aussi des changements au niveau de la direction technique, des mécaniciens. Le team était solide, nous avons cherché à le renforcer là où nous voyions des opportunités. Nous avons amené des ingénieurs de course de l’équipe Audi Sport DTM par exemple.

Q: Et l’adaptation par rapport au DTM ?

R: Significative. En DTM, on roule à fond. En Formule E, vous avez la gestion de l’énergie. Un week-end en DTM suit une procédure standard. Ici, rien n’est standard. Et c’est une des particularités vraiment cool de la Formule E. Nous avons une vue à long terme du développement de la voiture. Nous sommes en plein développement de la voiture pour la saison 5 et commençons à travailler sur la saison 6. Nous avons l’approche Audi très structurée pour délivrer performance et fiabilité. Puis nous arrivons sur l’épreuve et il y a toutes ces variables inattendues auxquelles nous devons nous adapter, le jour même. Le revêtement est différent sur la moitié du circuit.

Q: Donc vous ne faîtes pas de reconnaissances à l’avance ?

R: Impossible. Le tapis a été refait il y a une semaine ! Le team doit être composé de personnes capables de réagir très rapidement, très agiles. C’est aussi ce qui fait l’intérêt du championnat. Ce ne sont pas toujours les mêmes personnes qui vont trouver les bonnes solutions. Ca bouscule la hiérarchie, ça augmente l’intérêt des fans.

Q: Quels sont les aspects uniques de la Formule E les moins appréciés du public ?

R: hier soir, dans notre meeting technique, nous discussions de notre stratégie et je me disais: je me demande si j’aurais pu ou su m’adapter en tant que pilote à ce genre de contraintes. Mon style était dur, agressif, attaque maximale, en particulier sur les freins et à l’entrée des virages. Je savais ce que je voulais de la voiture et étais chanceux que mon coéquipier Dindo Capello était sur la même longueur d’onde.

En Formule E, le pilote a peu d’assistance. Le team est limité par le règlement dans les informations de télémétries remontant de la voiture, nous ne pouvons pas aider le pilote significativement. Il doit changer la balance de freins au fur et à mesure de la chute de la tension de batterie et la variation de régénération que ça entraîne, il doit adapter son pilotage quand la température de la batterie change. Il doit avoir la patience d’attendre pendant la course, ça aurait sans doute été ma plus grande difficulté. Les pilotes font plus dans ces voitures qu’ils ne le feraient dans n’importe quelle autre catégorie. Il doit avoir la capacité de gérer tous ces paramètres alors qu’il pilote.

Les teams sont alignés sur le fait que les courses ont besoin de laisser la part belle aux pilotes pour être excitantes. Nous voulons pouvoir déployer des développements techniques, mais ils sont concentrés sur l’efficience.

Q: Avez-vous essayé la voiture ?

R: Oui !

Q: Qu’est-ce qui vous a frappé ?

R: les voitures ne sont pas difficiles en elles-mêmes. Elles ont un bon couple et une bonne puissance. Les pneus fournissent peu de grip par rapport à des slicks, et l’appui est limité, à dessein, pour avoir des zones de freinages plus longues et des opportunités de dépassements. La finesse est également plus importante en termes de gestion d’énergie que l’appui. Elles restent plaisantes et amusantes à piloter.

Ce sont les pistes qui vraiment difficiles. Changements de tapis, bosses, bouches d’égoût, murs. La moindre erreur et c’est le mur, comme à Monaco. Marrakesh et Mexico sont des pistes plus classiques, et les courses y sont vraiment différentes. L’ADN de la Formule E est la course au coeur des villes. Nous développons la FE05 sur circuit, mais avec une vue large sur le spectre de conditions auxquelles nous devrons nous adapter.

Nous venons d’apprendre par exemple que la saison prochaine, nous allons à Riyadh. Nous ne connaissons pas la configuration du circuit, et ne serons vraiment fixés que 10 jours avant la course. Nos outils de simulations et nos banc d’essais sont très sophistiqués, mais nous n’avons aucun contrôle sur les conditions réelles que nous allons trouver sur place.

Q: Le circuit de Zürich est atypique pour la longueur de ses rectilignes, quelles sont les implications ?

R: la vitesse de pointe va être la plus élevée de la saison, proche à l’aspiration des 225 km/h imposés par la FIA, ce qui va entraîner des contraintes en termes de gestion d’énergie, en particulier si la température atteint les 30 degrés prévus. Il y a un très long rectiligne, mais aussi des virages très lents, donc un compromis aérodynamique délicat entre appui et vitesse de pointe selon la position dans laquelle nous nous qualifions. Si nous sommes devant, nous pouvons emmener un peu plus d’appui. Si nous sommes plus en arrière, il faut pouvoir dépasser. A Berlin, nous n’avions pas l’appui maximum alors que Jean-Eric Vergne a fait ce choix. Pour nous, ce n’était pas optimal, mais pour sa voiture et son pilotage, c’était la bonne option.

Q: La FE05 de la saison prochaine est en développement, conservez-vous la même architecture moteur-boîte ?

R:  Il va y avoir un développement, mais je ne vais pas aller dans les détails. Nous n’avons pas encore homologué la voiture. On peut qualifier la voiture actuelle de voiture de test, elle est définie à 95%, mais jusqu’à l’homologation, nous avons l’option de changer. L’échéance finale est au mois de Septembre.

Q: Le règlement 2018-2019 vous donne beaucoup plus de lattitude de développement, mais les packs de batteries vont rester standard à moyen terme. Est-ce la bonne stratégie ?

R: Tous les manufacturiers l’ont approuvé. Nous avons un meeting à chaque course, et nous sommes d’accord que c’est la bonne option, pour deux raison. Primo, nous développons des motorisations électriques, pas des batteries. Deuxio, le coût de développement de nouvelles batteries est énorme. Les batteries pourraient être un plus grand différentiateur mais la différence entre le devant et l’arrière de la grille pourrait devenir énorme. Voulons-nous ces coûts et voulons-nous que les batteries comme facteur de performance ? La réponse est non. Dans le futur, ça pourrait changer. Mais ce n’est pas d’actualité pour les saisons 5, 6 & 7, et je pense que ça sera maintenu pour les trois années qui suivront.

Q: Avec l’arrivée de Porsche, Mercedes, BMW, la commonalité des batteries va être compréhensible pour le public ?

R: l’intérêt de la discipline est différent selon qu’on est ingénieur ou spectacteur. Nous devons maintenir un équilibre entre développement technique et coûts, entre performance, spectacle et intérêt stratégique pour les constructeurs. Ce championnat n’a que 4 ans, nous devons le faire grandir avec soin pour maintenir cet équilibre. Pour Audi, il est essentiel de maintenir le pont avec le produit. Nous l’avons fait avec Quattro en rallye, nous l’avons fait avec TFSI, TDI, e-tron, Laserlight, tant d’exemples de transfert de la piste à la route.

Q: Est-ce que la Formule E bénéficie des enseignements retirés de l’évolution de la F1 ou du WEC ?

R: Oui. La Formule E n’a pas d’histoire, de tradition à respecter pour raisons X, Y ou Z. Pas d’héritage d’accords passés comme la position de Ferrari en F1. Nous partons d’une feuille blanche, il y a une mentalité de start-up dans la Formule E, que j’aime beaucoup. Des idées surviennent, nous nous rencontrons avec les teams et la FIA, nous décidons, nous implémentons. Le processus de décision est très agile. FEO (Formula E Operations Limited) n’a pas la tâche facile, mais ils ont réussi à obtenir des résultats remarquables, comme de décrocher Zürich ou Rome cette saison. Le marché de l’automobile, des concessions, est en plein bouleversement, et la présence d’Audi en Formule E est une manière de dire à nos partenaires que nous sommes dans le même bateau. Nous vivons cette révolution, nous nous adaptons à ce monde nouveau.

Q: Est-ce que la saison est assez longue pour rentabiliser les investissements ?

R: Oui, je suis fatigué ! Et mon team aussi ! Nous sommes limités par règlement dans le nombre de mécaniciens, ils ont besoin de repos. Dans les trois prochaines années, peut-être que nous pouvons monter à 15 courses, une course de plus par an.

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