Le feuilleton à suspense de l’industrialisation du Model 3 continue. Tesla annonce avoir produit 34’494 voitures au premier trimestre, soit 24,728 Model S et Model X, et 9,766 Model 3. Dans les 7 derniers jours du trimestre, Tesla a produit 2’020 Model 3. La firme Californienne promet de produire dans les 7 jours suivant 2’000 Model S & X, et 2’000 Model 3. Tesla n’a donc atteint que 80% de l’objectif hebdomadaire de 2500 voitures réaffirmé il y a deux mois à peine. Les livraisons ont été de 29’980 exemplaires, soit seulement 110 de plus (0.4%) qu’au trimestre précédent, totalisant 11’730 Model S, 10’070 Model X et 8’180 Model 3.
Si la production a augmenté de 40%, les livraisons semblent s’être faites aux dépens de Model X et Model S, en baisse de 22 et 23% respectivement. Des difficultés dans la livraison par camion aux clients norvégiens ont sans doute pesé pour une petite part dans ce résultat. Globalement, le résultat est significativement en-dessous des attentes, obtenu à l’arraché, mais moins pire qu’on ne pouvait s’y attendre.
Résumé des épisodes précédents
La genèse du Model 3 de Tesla (notre essai) est devenue un feuilleton industrialo-populo-financier dont il est difficile de trouver des équivalents, en tous cas dans l’histoire automobile contemporaine. Dans les épisodes précédents, nous avons couvert les chiffres de production décevants du dernier trimestre 2017 et la longue liste de promesses non tenues, ainsi que la situation financière de Tesla au terme de l’exercice financier 2017 et les pertes vertigineuses enregistrées.
En condensé, les promesses de Tesla sur les volumes de production ont été, successivement:
1) 500’000 voitures (Model S, Model X et Model 3) en 2018 (4 Mai 2016, 3 Août 2016 et 26 Octobre 2016).
2) démarrage d’une production limitée en juillet 2017, plus de 5000 véhicules hebdomadaires au quatrième trimestre 2017 et 10’000 véhicules par semaine en 2018 (22 Février 2017)
3) 30 voitures prêtes à la livraison le 28 Juillet 2017, 100 voitures en Août et 1,500 en Septembre 2017 (3 Juillet 2017)
4) 1500 unités hebdomadaires à mi-Octobre, 3000 unités hebdomadaires à mi-Novembre, et 5000 unités hebdomadaires à fin décembre (28 Juillet 2017 et 2 Août 2017)
5) 5000 unités hebdomadaires à la fin du premier trimestre 2018 (1er Novembre 2017)
6) 2500 Model 3 par semaine à la fin du premier trimestre 2018 et 5000 unités hebdomadaires à la fin du deuxième trimestre (3 Janvier et 7 Février 2018).
Les promesses ont donc été fortement revues à la baisse à six reprises. Le dernier scénario présenté aux actionnaires s’accompagnait d’une plus grande prudence, parlant d’objectifs supportés par des plans d’action, mais avouant la difficulté qu’éprouve la firme à prédire les rythmes de production dans le temps.
Sous la loupe
Le tribut du buzz est une attention disproportionnée des médias. L’exécution de Tesla au premier trimestre 2018 a fait l’objet d’un suivi de journalistes sérieux, rapportant des anecdotes et appliquant des outils de journalisme quantitatif pour suivre l’évolution de la firme, notamment les modèles de Bloomberg. Des informations recoupées et officieuses, mais indicatives de progrès trop lents ou tardifs pour tenir les objectifs de fin de trimestre.
Elon Musk avait cherché à rassurer en annonçant le 7.2.2018 que la ligne de d’assemblage robotisée de packs de batteries du Model 3, le goulet d’étranglement selon les dires de la société, fonctionnait mais devait être démontée à son site de conception en Allemagne, envoyée dans le Nevada, ré-assemblée et remise en route.
Une semaine avant la fin du trimestre, le Vice Président de l’Engineering et de la Production lance un appel au volontariat interne pour démentir les prédictions des détracteurs. Une mesure à la fois désespérée et tardive pour pouvoir revendiquer un chiffre pas trop mauvais, alors que le rythme de production dépassait à peine les 200 voitures par jour.
La septième promesse
Tesla réitère la promesse d’un rythme de production d’approximativement 5’000 Model 3 par semaine dans environ 3 mois. Tesla réitère également ses projections de livraisons de Model S et Model X pour l’année 2018, soit environ 100,000 unités au total, essentiellement stables par rapport à 2018.
Tesla était péniblement parvenu à un rythme “hebdomarisé” de 1000 unités dans les derniers jours de 2017. Un trimestre plus tard, ce rythme de production a été doublé, à nouveau dans les derniers jours, et seulement grâce à des mesures exceptionnelles. Le nouvel objectif est de multiplier par 2.5 ce rythme de production en un trimestre. Peut-être que les plus grandes difficultés ont été surmontées, peut-être pas. Tesla ne commente pas sur la nature des actions à entreprendre pour atteindre ce nouvel objectif.
Et maintenant ?
Tesla est au bénéfice d’un mouvement populaire et les retards à répétition n’ont jusqu’ici pas eu de conséquences néfastes sur le carnet de commandes du Model 3: la compagnie affirme qu’il est resté stable au premier trimestre, les annulations étant principalement liées aux retards de production, aux retards dans la disponibilité de certaines options comme la transmission intégrale et le battery pack plus petit.
Tesla se plait également à affirmer que Model 3 atteint les plus hauts niveaux de qualités d’un véhicule Tesla jusqu’ici, et, tweets à l’appui, un taux de satisfaction client de 93%. Cette revendication semble être contredite par les rapports – anecdotiques mais multiples – de défauts cosmétiques constatés par les clients lors de la livraison de leur voiture.
Un contexte houleux
Le titre TSLA a subi une chute vertigineuse sur le NASDAQ, perdant jusqu’à 35% de sa valeur depuis son pic du 18 Septembre 2017. Les raisons sont à chercher pêle-mêle dans différentes directions:
– la réalisation que la concurrence dans deux domaines clés, l’électrification et la conduite autonome, va être rude, notamment avec les déboires d’Uber, les progrès de Waymo. Tesla a été pionnier dans la mise à disposition de fonctions autonomes évoluées, mais s’est fâché avec son fournisseur MobilEye et affiche des prétentions techniques peu plausibles (conduite autonome de niveau 5 sur la simple base de 8 caméras).
– un accident mortel le 23 mars en utilisation de la fonction Autopilot dans la baie de San Francisco,
– le spectre de mauvaises nouvelles dans la production du Model 3.
Le titre a clos la séance du mardi 3 Avril, date de l’annonce de ces résultats, en hausse de presque 6% à 267.5$, mais encore plus de 30% en dessous de son pic de ces 12 dernièrs mois.
Forbes prédit des besoins en refinancement de l’ordre de 5.5 milliards de dollars en 2018, une somme considérable qui va coûter d’autant plus cher en dilution aux actionnaires que le titre est sous pression. Tesla dément ces prédictions en affirmant que la firme ne devra pas lever de nouveaux capitaux ou soumettre de nouveaux emprunts cette année, hors lignes de crédits habituelles.
Il faudra attendre la communication des résultats financiers de ce premier trimestre pour comprendre dans quelle mesure l’augmentation des livraisons de Model 3 met les marges sous pression, d’autant plus si elle se fait aux dépens des ventes de Model S & Model X, des modèles aux marges sans doute supérieures. Les marges brutes ont brutalement chuté lors des deux derniers trimestres et la situation ne pourra pas s’arranger si la mise en volume de Model 3 se fait aux dépens des produits plus rentables.
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