Essai Alfa Romeo Giulia Quadrifoglio

La Giulia Quadrifoglio marque le retour d’Alfa Romeo au premier plan. 

Si des fées se sont penchées au-dessus du proverbial berceau de la Giulia Quadrifoglio, elle n’étaient pas innocentes. Leur influence sur le chérubin était sans doute animée de bénévolence, mais dans un sens plutôt dévoyé. En installant un V6 biturbo de 600 Nm et 510 chevaux dans une berline compacte à propulsion, les marraines avaient sans nul doutes des aspirations coupables, de celles qui peuvent laisser de larges traces de gomme sur le bitume.

La Giulia est une superbe voiture, avec des dimensions calquées sur la série 3 à quelques millimètres près, sauf en longueur, où 3cm ont été rabotés. Sur la Quadrifoglio, les boucliers spécifiques rendent la ligne très agressive, avec un dessin spécifique et une lame en carbone proéminente. Les flancs reçoivent des jupes évasées, elles-aussi soulignées de carbone, et l’arrière s’orne d’un monumental diffuseur, avec quatre sorties d’échappement décalées d’un très bel effet. Drapez le tout dans une magnifique livrée rouge rubis et vous obtenez une voiture qui décolle la rétine des passants et suscite les conversations.

L’impression favorable se poursuit à l’intérieur, avec un style élégant, des matériaux de bonne qualité, jusqu’à la planche de bord recouverte de cuir, avec coutures contrastées. Les interfaces sont également de qualité, avec des contacteurs et molettes précis. Joli à regarder, beau à toucher, l’ensemble n’est pas au firmament de la qualité automobile pour le segment, mais s’en approche. J’ai juste regretté quelques détails comme le pommeau de vitesse en plastique mimiquant l’aluminium. L’ensemble est très dépouillé. La majorité des fonctions sont commandées par l’interface multimédia et son écran intégré à une lunette dépolie qui vient mourir dans une élégante courbe sur le binacle d’instruments.

Le troisième effet kiss cool se produit dès qu’on presse sur le bouton start sur la gauche du volant. Le V6 s’ébroue dans une sonorité rauque, sourde, imposante jusqu’à ce que les clapets d’échappement se referment. Je n’ai pas encore fait un mètre et la fable de La Fontaine est déjà présente à mon esprit. Si le ramage …

Le groupe Fiat a été pour le moins flou sur la filiation de la plateforme de ses berlines récentes, provoquant des spéculations plus ou moins fondées sur leur génétique. Je redoutais avant cet essai une filiation entre l’Alfa Giulia et une Maserati Ghibli qui peine à convaincre. Et au premier virage, un déhanchement singulier du train arrière sur une bosse m’a fait immédiatement craindre le pire. Guidage volage, ou réaction parasite de Pirelli PZero Corsa fraîchement montés ? Un coup d’oeil rapide sous la jupe arrière dévoile des bras de suspension en aluminium coulé, signe distinctif par rapport aux bras en tôle emboutie de la Ghibli. Je regrette que le groupe Fiat ne communique pas mieux sur ses plateformes et ses développements de châssis. C’est une lacune.

Notre exemplaire d’essai est équipé en boîte manuelle à 6 rapports. Alfa Romeo propose une boîte automatique à convertisseur de couple et 8 rapports comme alternative. La boîte manuelle surprend par le tarage de sa commande. Le guidage est précis mais il faut de la poigne pour naviguer sa grille. L’autre aspect qui surprend est étagement, ou plutôt la démultiplication. La Giulia Quadrifoglio atteint selon Alfa Romeo une vitesse de pointe de 307 km/h avec une puissance maxi atteinte à 6500 t/min. Etagé sur six rapports, celà donne une boîte qui tire 120 km/h à fond de deuxième, et presque 180 km/h à fond de troisième, avec des conséquences significatives. La première, c’est qu’enquiller deuxième puis troisième rapport pour goûter aux performances du V6 biturbo est un exercice dangereux pour le permis de conduire. La seconde est qu’on se retrouve à rouler un rapport “en-dessous”, en partie du fait du manque d’aisance du V6 Ferrari en-dessous de 2000 t/min. Il devient rugueux et bougon, un comportement singulier à une ère ou les moteurs fonctionnent régulièrement jusqu’à très bas régime, à fortiori un six cylindres. Les évolutions à 50 km/h se font donc en troisième. La course de la pédale d’embrayage est longue et me rappelle les Alfa GTV des années 80. Sans avoir pu l’essayer en boîte automatique, la Giulia Quadrifoglio en boîte automatique à 8 rapports mérite l’attention car elle étage ses 6 premiers rapports sur les 5 premiers de la Giulia. Son quatrième rapport est plus court que le troisième de la boîte manuelle. Il est plausible que l’agrément de conduite y gagne si la logique de gestion et l’exécution des changements de rapports sont réussis.

 

Rapport Manuelle 6 Automatique 8
Première 4.055 5.000
Deuxième 2.396 3.200
Troisième 1.582 2.143
Quatrième 1.192 1.720
Cinquième 1.000 1.314
Sixième 0.872 1.000
Septième 0.822
Huitième 0.640
Rapport final 3.090 3.090

 

Les boîtes manuelles ont habituellement la faveur des amateurs de pilotage pour la satisfaction gestuelle qu’elles procurent. Dans le cas de la Giulia, les sensations sont bonnes, d’autant plus que le pédalier est bien disposé pour le talon pointe, mais la longueur de la démultiplication pose un réel dilemme. La Giulia Quadrifoglio est équipée d’une fonction d’égalisation de régime au rétrogradage (rev matching), un ersatz de double débrayage qui aidera les paresseux, mais n’est pas intrusif dans la pratique du geste juste: on ne le remarque que lorsque le coup de gaz appliqué est trop timide.

  

Une fois à un régime de fonctionnement qu’il tolère, ce V6 biturbo à 90 degrés de 2891 cm3 développé par Ferrari (mais construit dans l’usine Fiat Chrysler de Termoli) est une force de la nature. Ferrari a retenu le même alésage de 86.5 mm que sur le 2979 cm3 qui équipe la Maserati Ghibli S, mais la course de 82 mm est plus courte, encore plus courte que celle du V8 de la 488 GTB (83 mm). Toujours en comparaison avec la Ghibli S, le couple augmente de 50 Nm à 600 Nm, mais à un régime de 2500 t/min au lieu de 1750 t/min. La puissance bondit de 100 chevaux à 510 chevaux, atteints au même régime de 6500 t/min. A la conduite, ces caractéristiques sont perceptibles, le moteur poussant avec force depuis 3000 t/min, et sans relâche jusqu’à la zone rouge. Les premières accélérations impressionnent, tout comme le brame qui accompagne la poussée.

Les trois modes D.N.A. traditionnels à Alfa (Dynamic, Natural, All Weather) sont complémentés par un mode Race qui ne peut être activé qu’en poussant le sélecteur pendant deux secondes, et qui vous laisse l’entière responsabilité de gérer les 600 Nm qui sont envoyés aux seules roues arrière. Pendant les préliminaires, je me borne à rester en mode D pour mieux cerner les réactions de cette Giulia, et surtout rôder ses PZero Corsa. Au fil des kilomètres, le grip augmente et les réactions deviennent plus progressives et prédictibles, avec une tendance moins prononcée à reserrer la ligne dès que le train arrière est chargé. L’échappement est plutôt discrets sur les modes A et N, à l’exception notable de la mise en marche du moteur, toujours démonstrative. Cependant, même en mode D, les clapets d’échappement ne s’ouvrent qu’à 3500 t/min. C’est cette quête de ce grondement sourd, aux harmoniques de demi V12, qui m’a incité à rouler de plus en plus régulièrement en mode Race. Les informations sur l’affichage multi-fonctions deviennent plus éparses, affichant en gros caractères la vitesse instantanée et des shift-lights jaunes fort utiles vu les vitesses atteintes à la moindre accélération.

 

Le commutateur DNA est également couplé à l’amortissement variable. Le mode le plus ferme n’est pas disponible en mode A et N, mais activé d’autorité en mode Dynamique et Race, avec la possibilité de le déclencher par le bouton au centre de la molette. Pour un usage routier, la suspension sport est trop dure, et même le mode d’amortissement normal est taré sec, surtout sur le train arrière dont les réactions dans les phases de compression et détente sont parfois singulières. Le filtrage secondaire est réussi et gomme les trépidations, mais le tarage primaire est viril. Les Alfisti aux lombaires fragiles porteront une attention particulière à ce point lors d’une course d’essai.

De ronds-points de banlieue en épingles à cheveux, la Giulia se révèle mobile du train arrière à la moindre sollicitation, au point de susciter des comportements coupables, de ceux que notre proverbiale fée marraine a nul doute anticipé. Cette tendance survireuse est redoutablement ludique, mais je ne regrette en rien que ces 1000 km d’essai se soient déroulées sur sol sec. Nous nous en allâmes tester l’auto sur nos bases habituelles du Jura Vaudois, et les sensations de conduite n’eurent qu’un seul effet: rendre impérieuse l’envie de confronter la Giulia Quadrifoglio à nos cols favoris de Suisse centrale. La sélectivité de leurs tracés n’a d’égal que la beauté de leur paysages, et un soir de semaine de fin septembre, ils ont depuis longtemps été désertés par les derniers touristes.

Depuis Wassen, le premier plat est la montée du versant uranais du Susten, dominé par une succession d’enfilades rapides. Sur ce terrain, l’inertie à la prise d’appui est primordiale, et la Giulia se comporte remarquablement bien sur ce terrain. Les 1686 kg mesurés avec le plein d’essence (106 kg de plus qu’annoncés malgré des options supposées favorables comme les disques en céramique et les baquets en carbone) se font oublier, et l’inertie est minimale pour une berline. Les relances sont redoutables, aidées par le fait que la plupart des courbes peuvent passer avec un filet de gaz qui aide à maintenir les turbocompresseurs sous pression.  Pose photo au col, quelques pensées poétiques sur la beauté des lieux et le privilège de les parcourir dans une auto sportive, puis descente sur Innertkirchen, avec une route de plus en plus tortueuse, des courbes qui se referment et des virages serrés. Les clefs sont ici les freins et la lisibilité du train avant.

 

Notre voiture d’essai est équipée des freins carbone céramique (une option à 7500 CHF). Leurs réactions sont parfois contre-intuitives: très mordants à froid avec une attaque immédiate lorsqu’on effleure la pédale, ils demandent une application plus ferme une fois chauds, en descente de col par exemple. L’assistance reste mesurée et ne perturbe pas le talon pointe, mais j’aurais souhaité plus de constance dans les réactions. L’équilibre est naturellement à tendance sous-vireuse à la limite, et les remontées d’information dans la direction sont passablement filtrées. Elle est vive et directe dans ses actions, mais avare dans sa lecture de la route. Sur la descente de cette vallée, je ne donnerais pas 10/10 à la Giulia mais il n’y a pas non plus de défaut prohibitif qui ruine le plaisir de conduite.

  

Troisième acte, la montée du Grimsel. Rapide par endroits, elle offre également un festin d’épingles de rayons divers, idéales pour explorer les limites de motricité du train arrière sur le deuxième rapport. Dans ces conditions, une répartition des masses équilibrée et une solide ration de couple moteur rendent des survirages bénins relativement faciles à maîtriser. Il suffit d’emmener suffisamment de vitesse pour charger les gommes latéralement, juste pas trop pour que le train avant reste solidement ancré, et une application judicieuse du pied droit fait le reste. Ouvrir progressivement tôt dans l’épingle aide également à contourner le temps de spool-up des turbos pour que le couple soit disponible. La voiture ressort comme une balle dans le brâme de son V6, poussant fort et sans relâche jusqu’au virage suivant. Sans aller jusqu’à des équerres largement ingérables sur route ouverte, l’exercice est aussi succulent qu’une grosse louche de double crème sur une meringue. Parvenu au col, la Giulia fleure bon le Pirelli Corsa malmené, les derniers rayons du soleil rasant peignent de rose les cimes. L’examen est réussi, exaltant, construit sur des bases saines, des performances féroces et une homogénéité de bon aloi.

Le volet sportif étant validé, reste l’utilisation au quotidien, ces trajets courts et longs qui constitueront sans doute plus de 90% des kilomètres parcourus par les propriétaires de Giulia. Hors les réserves sus-mentionnées sur la fermeté de l’amortissement, la Giulia Quadrifoglio est une voiture confortable. La position de conduite est bonne, largement ajustable, mais atypique car plutôt destinée aux grands gabarits. Le pédalier est installé assez profondément et à longue course. C’est une des rares voitures où je ne me retrouve pas avec la colonne de direction à son extension maximale. Les sièges offrent un bon maintien, et les passagers arrière disposent d’un espace suffisant, tant aux genoux qu’en hauteur. Même constat en ouvrant le coffre, ses 480L de capacité sont identiques à une BMW M3. Rien à redire, le packaging est réussi, bien plus convaincant que sur une Audi A4 B9 par exemple. Le système multimédia est bien conçu, autorisant l’appariement de plusieurs dispositifs bluetooth, par exemple pour dissocier les fonctions de téléphonie du streaming de musique (après une configuration un chouïa laborieuse). L’équipement de série est très complet, en contraste avec la concurrence allemande.

 

Cette Alfa Giulia serait-elle donc au niveau du gotha allemand ? Presque, mais pas tout-à-fait. En plus des quelques bémols énoncés dans cet article, certains petits détails font tache. J’ai eu toutes les peines du monde à ouvrir le capot moteur pour admirer le V6, les câbles de la tirette étant détendus, et j’ai eu crainte que la tirette me reste dans les mains. Et la loi de Murphy a ensuite voulu que les gâches se relâchent d’elle-mêmes sur autoroute. La pédale d’embrayage de cet exemplaire quasi neuf (7000 km) vibre sporadiquement, tout comme le levier de vitesse qui émettait un “gzzz” suspect sur le deuxième rapport. Le pont arrière de cet exemplaire avait également tendance à bourdonner et changer sur autoroute, c’est d’ailleurs le bruit qui domine si l’on roule en mode “calme” sur autoroute. Enfin, le V6 s’est sporadiquement inventé les vibrations d’un couple de renversement significatif au ralenti. Seule la durée confirmera la fiabilité intrinsèque du produit, et Alfa Romeo ne peut pas se permettre d’être complaisant à ce sujet. La clientèle visée ne le tolèrera pas (ou plus).

Ces réserves formulées, je constate avec plaisir que l’Alfa Romeo Giulia Quadrifoglio est une auto réussie dans son ensemble. Imparfaite dans certains détails, elle ne représente pas un choix iconoclaste face à la concurrence germanique. Tomber en pâmoison pour cette belle et charmante italienne est parfaitement compréhensible et rationalisable. Loin des approximations d’une 4C qu’on peut qualifier de bâclée, Alfa Romeo montre avec la Giulia Quadrifoglio que le groupe Fiat est capable de concevoir et produire des automobiles sportives et attachantes, dignes de la passion que les nombreux fans vouent à la marque, mais dont l’achat n’est pas uniquement justifiable par un romantisme aveugle. Alfa Romeo est de retour.

Prix et options du véhicule essayé

Prix de base Alfa Romeo Giulia Quadrifoglio CHF 87’000 € 79’000
Freins carbone céramique CHF 7’500 € 7’350
Vitrage sombre arrière  CHF 400  –
Etriers de freins rouges  CHF 200  € 0
Jantes 19″ Quadrifoglio brunies  CHF 450  € 200
Baquets en carbone Sparco  CHF 3’450  –
Pack Confort  CHF 650  –
Système Harman Kardon  CHF 1’400  –
Total CHF 101’050
€ 86’550

 

Face à la concurrence

Alfa Romeo Giulia Quadrifoglio BMW M3 Mercedes C63 AMG S Cadillac ATS-V
Moteur  V6 2891 cm3 biturbo  L6 2979 cm3 biturbo V8 3982 cm3 biturbo V6 3564 cm3 biturbo
Puissance (ch / t/min) 510 / 6500 431 / 5500-7300 510 / 5500-6250 455 / 5750
Couple (Nm / tr/min) 600 / 2500 550 / 1850-5500 700 / 1750-4500 603 / 3500
Transmission AR AR  AR AR
Boite à vitesses  Man 6 / Auto 8  Man 6 / DCT 7  Speedshift 7 Auto 8
RPP (kg/ch)  3.31  (3.53/3.62) (3.25) (3.73)
Poids DIN (constr.) (1580) 1686
52.8% AV 47.2% AR
 (1520/1560)  (1655) (1700)
0-100 km/h (sec.) 3.9 4.3/4.1 4.0 3.9
Vitesse max. (km/h) 307 250 250/290 304
Conso. Mixte (constr.) 12.4 (8.5) (8.8/8.3) (8.4) (11.6)
Réservoir (l)  58  60 66 62.5
Emissions CO2 (g/km)  198 204/194 195 265
Longueur (mm) 4639  4671 4686 4673
Largeur (mm) 1873/2024  1877 1810/2020 1811
Hauteur (mm) 1426  1424 1442 1415
Empattement (mm) 2820  2812 2840 2775
Coffre (L) 480  480 435 381
Pneumatiques AV 245/35R19 255/40R18 245/35R19 255/35R18
Pneumatiques AR 285/30R19 275/40R18 265/35R19 275/35R18
Prix de base (CHF)  87’000  90’800 / 95’750 103’500 86’900
Prix de base (EUR)  79’000 84’400 / 88’700 96’800 71’465

Nos remerciements à Alfa Romeo Suisse pour le prêt de cette Giulia Quadrifoglio.

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