La Civic Type R passe à la suralimentation. Banzai ou Sepuku ?
Avec cette 4ème génération de Type R, Honda s’est retrouvé avec un dilemne épineux. Comment tenir tête à la concurrence dans un contexte de course à l’armement ? Ford a pris le parti de tenir tête à Audi, VW et Mercedes avec une Focus RS à quatre roues motrices. Faute d’une plateforme compatible, Honda a pris le parti de proposer une Civic Type R à un prix abordable avec deux roues motrices, une boîte manuelle, un traitement cosmétique à la limite du décalé et, accessoirement, la vitesse de pointe la plus élevée du segment: 270 km/h. L’enjeu de cet essai est de savoir si le pari était jouable, et si Honda l’a gagné.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les designers de Honda n’y sont pas allé avec le dos de la cuillère. Si certains appendices du concept présenté au salon de Genève 2014 ont disparu, le bouclier avant, l’abondance de prises d’air (factices pour la plupart), les quatre massives sorties d’échappement ainsi que le sculptural aileron arrière ne donnent pas dans la discrétion. Le look est extraverti au possible, il faut l’assumer. Même constat à l’intérieur où les profonds baquets recouverts de velours rouge et de tissus technique noir donnent le ton, avec volant bicolore assorti et un court levier de vitesse en métal poli. A ce stade, les camps seront définis entre ceux qui adorent et ceux qui trouvent l’ensemble tapageur.
Quoi qu’on en pense esthétiquement, deux constations s’imposent rapidement. La première, c’est que les sièges avant sont excellents. Le maintien est impeccable, et les rembourrages de placet ont été intelligemment échancrés pour ne pas trop entraver l’accès. La seconde, c’est que l’ergonomie de l’ensemble reste perfectible. Les appuie-tête sont fuyants pour ménager de l’espace à un casque: l’attention sera appréciée par les pistards, mais moins confortable sur autoroute ou efficace en cas de choc arrière. Malgré une hauteur à la hanche abaissée de 30mm par rapport à une Civic normale (10mm pour le plancher et 20mm pour l’épaisseur de rembourrage, j’ai la sensation d’être assis encore trop haut (la garde au toit ne pose pas de problème, du moins sans casque). La plage de réglage du volant en profondeur est à peine suffisante, et le levier de vitesse trop avancé. Il s’agit peut-être d’un compromis pour ménager la vue en-dessus et en-dessous de la jante du volant vers les différents groupes d’instruments.
Les instruments sont disposés sur deux étages. Au rez, 3 cadrans analogiques avec le compte-tours au centre, flanqué d’une jauge à essence et de température d’eau. A l’étage supérieur, la vitesse, le rapport engagé, des “shift lights” jaunes et rouges et un écran multifonctions, dont deux écrans retiennent plus particulièrement l’attention. L’un affiche les accélérations longitudinales et latérales ainsi que l’ouverture des papillons d’admission et la pression de freinage. L’autre regroupe la pression de suralimentation, la température d’eau (en doublon), la pression d’huile et la température d’huile.
Ces repères statiques étant pris, il ne reste plus qu’à aller faire plus ample connaissance ! Avec 400 Nm à faire passer sur le train avant, la motricité est naturellement une question centrale. Et les premières accélérations et sorties de virages serrés amènent une réponse immédiate: il va falloir doser avec soin. Si le montage d’un différentiel autobloquant permet d’éviter que le couple s’évapore (au propre comme au figuré) sous la roue la moins adhérente, les Continental Sport Contact 6 dernier cri ne sont pas capables de passer le couple sur le deuxième rapport. Même en troisième, une indélicatesse du pied droit peut pousser le nez vers l’extérieur de la courbe. Conduire ne va pas suffire. Il va falloir piloter. A défaut et même en ligne, les accélérations sur le premier et le deuxième rapports tournent un peu au rodéo, avec abondance de renvois de couple dans la direction et un avant qui darde un peu pour chercher son chemin au gré des inégalités du revêtement. Pas forcément efficace, et probablement destructeur pour les gommes avant qu’il faudra permuter avec les arrière régulièrement, mais viril.
Si l’on se borne à quelques kilomètres en mode arsouille-sans-nuance, la Type R donne une image trompeuse, celle d’un hot hatch un peu sur-motorisé et sur-kité esthétiquement, plus orienté apparence que substance. Les trajets pendulaires s’exécutent sans problème, démontrant une bonne polyvalence. La place réservée aux passagers arrière est viable: l’assise est courte et le dossier droit comme la justice, mais l’espace est suffisant pour caser un homme adulte derrière un conducteur de 1.80m. A noter: la Type R est légalement une voiture à 4 places assises, pas moyen (légal) de caser 3 potes (ou 3 enfants) à l’arrière. Le coffre est profond et spacieux, avec une plage de chargement allant de 498 à 1427 litres, largement au-dessus des standards de la catégorie. La maniabilité de la Type R n’est par contre pas un point fort, le diamètre de braquage de 12.59m est conséquent. La garde au sol sous la lèvre proéminente du bouclier avant nécessite également une attention particulière selon les manoeuvres entreprises. Le système multimédia installé dans cette version GT est fonctionnel, mais pas intégré au reste de la voiture, hors boutons de commande au volant. L’essentiel est présent, mais la pertinence de l’investissement de 3000 CHF est discutable. Toujours au département “daily driver”, la consommation mesurée lors de cet essai s’est établie à 8.3 L/100km, avec un mix de longs trajets, de déplacements pendulaires et de conduite sportive.
La Civic Type R est exclusivement disponible en boîte manuelle à 6 rapports, certains s’en réjouiront, et ceux qui pourraient regretter l’absence de boîte à double embrayage se consoleront peut-être en découvrant une commande de boîte excellente: course courte (40mm, identique à la NSX-R de 2002 selon Honda), guidage précis, verrouillages positifs mais doux. Un vrai plaisir à manier (sauf à basse température – l’aluminium est glacial au toucher), d’autant plus que l’embrayage est doux et progressif et la disposition du pédalier invite au talon-pointe. Honda affirme fièrement que la vitesse de pointe est atteinte à fond de 6, une revendication plausible puisque le compte-tours affiche 3000 t/min à 130 km/h indiqués. A ce régime, la Type R donne un peu l’impression de mouliner, ce qui pourrait devenir fatiguant sur de très longs trajets autoroutiers.
Les différents ingrédients étant identifiés, je choisis un parcours sélectif pour mieux comprendre comment ils se marient. Les sommets du Jura et des Alpes étant prohibés pour cause de températures hivernales, je me rabats sur une valeur sûre, la traversée du Gros de Vaud d’Yverdon à Moudon via Thierrens. Une belle route vallonnée, alternant grosses courbes et petits virolets, et des revêtements variés. Le paysage contrasté des pré-alpes enneigées et des champs de colza en fleurs pourrait être une dangereuse source de distraction, tant il faut surveiller le compteur lorsqu’on entreprend d’exploiter les 310 chevaux du VTec Turbo.
Premier constat: en conduite sportive, les profonds baquets de la Type R sont une bénédiction. Le maintien du corps est excellent, du niveau de baquets piste tels que les Recaro Pole Position, avec un soutien lombaire appréciable qui les rend de plus confortables. Avec 400 Nm de couple, les dépassements sont un jeu d’enfant, mais conserver la vitesse dans les limites du raisonnable n’est pas une sinécure. Le K20C1 cube 2cm3 de moins que ses prédécesseurs mais conserve le Variable Timing and Electronic Control (VTEC) et le Dual Variable Timing Control (VTC) pour de bonnes réponses à bas régime. Il adopte l’injection directe, mais pas l’injection mixte directe/indirecte comme nombre de groupes allemands. Le taux de compression est ramené à 9.8:1, le couple étant obtenu par la greffe d’un turbocompresseur monoscroll, avec refroidissement par un échangeur air-air à haute capacité. La gestion thermique a été soignée avec un circuit d’eau spécifique pour les culasses, et un refroidissement par circuit d’huile des pistons. Résultat: 400 Nm de 2,500 à 4,500 t/min et 310 chevaux à 6,500 t/min. Le rendement spécifique (200 Nm/L et 155ch/L) est dans la bonne moyenne des deux litres turbo sportifs, mais conservateur si on le compare aux 238 Nm/L et 191 ch/L que Mercedes extrait du deux litres de l’A45 AMG. La Civic Type R tire toutefois son épingle du jeu avec un poids nettement plus contenu, 1413kg vérifiés contre 1600kg pour l’A45, ce qui débouche sur un rapport poids-puissance quasi équivalent à celui de la turbulente allemande, 4.56 kg/ch.
L’adoption de la suralimentation par Honda est un cap symbolique important, presque une transgression. La marque parle du buttigiri, la notion japonaise de percée par abandon de l’héritage. La réalisation se démarque toutefois par un comportement typé “gros turbo”. Le couple maxi n’est atteint qu’à 2500 t/min, le moteur étant souple à défaut d’être vigoureux à très bas régime. Le temps de réponse est conséquent, mais il est compensé par une belle vigueur à plus haut régime. Ce K20C1 ne s’étouffe pas, il prend des tours avec appétit jusqu’à l’intervention du rupteur à 7000 t/min. Le caractère est rageur et les shift lights (jaunes par palier puis rouge) prennent tout leur sens. La sonorité est en retrait par rapport à ce qu’il se fait dans la production automobile contemporaine. Sportive certes, mais plus contenue que chez d’autres constructeurs. Pas de clop clap clap au lever de pied, pas de pop à la montée des rapports. Je n’ai d’ailleurs pu repérer aucune soupape ou papillon sur la ligne quatre-en-un-en-deux-en-quatre
En alternant mode normal et mode +R, les nuances commencent à se préciser. Il ne s’agit pas juste d’un gadget qui se contente de rétro-éclairer les instruments de pourpre et donner à la pédale d’accélérateur un asservissement plus direct. Le mode +R change réellement le caractère de la Civic Type R. L’amortissement devient significativement plus ferme (30% selon Honda), l’assistance de direction diminue, le son se renforce un peu (du côté de l’admission semble-t-il) et le dispositif stop-start est désactivé. A la conduite, le changement le plus significatif concerne le châssis. Le tarage des ressorts est déjà ferme, parfois à la limite du sautillant, et le contrôle des mouvements de caisse largement suffisant en mode normal. Le mode +R tend à désunir l’auto sur les inégalités et conviendrait plus à un usage pistard que routier. Parvenu à Moudon, je suis un peu sur ma faim. La plupart des ingrédients semblent bons, mais la mayonnaise n’a pas encore pris. J’ai encore l’impression tenace de subir les limites du train avant, tiraillé entre directionnalité et motricité. Le train arrière est imperturbable, rivé au sol. Hors provocation délibérée en appui, je n’ai ressenti aucun mouvement, et même en cas de lever de pied brutal, les réactions demeurent bénignes.
Par acquis de conscience, je m’octroie une troisième opportunité sur un terrain aussi sélectif qu’idéal pour une sportive compacte: la montée du Sustenpass depuis Innetkirchen jusqu’au Steingletscher, le sommet du col étant encore sous plus d’un mètre de neige. La route est sèche, déserte, les prairies déjà teintes de ce vert saturé unique à la Suisse centrale et les cimes d’un blanc éclatant. C’est dans les enfilades rapides que la Type R est le plus à son aise. Garder un filet de gaz permet de maintenir le turbocompresseur sous pression et bénéficier des 400 Nm de couple à la réouverture des gaz. Des coups d’oeils fugaces à l’écran multifonction m’indiquent une pression de suralimentation de 1.3 à 1.4 bars.
Dans les épingles serrées au-dessus de Gadmen, le temps de réponse demande du doigté, à fortiori si elles doivent être négociées sur le deuxième rapport. Si on ouvre trop tôt, l’arrivée du couple est difficile à doser. Résultat: un copieux renvoi dans le volant et un sous-virage abrupt. Si on ouvre trop tard, on se retrouve scotché à la sortie de l’épingle à attendre le spool-up du turbo. Si le timing est juste, le couple déboule alors que les roues avant sont presque en ligne, extrayant la type R comme une balle. Extrêmement gratifiant dans ce troisième cas de figure, mais réellement difficile à réussir avec constance. Ici encore, et malgré un revêtement en plutôt bon état, le mode +R n’amène aucun avantage, ni au niveau du châssis, ni au niveau de la réponse de l’accélérateur, et l’assistance de direction plus ferme ne rend pas la maîtrise du petit volant bicolore plus aisée. La Civic Type R n’a pas le brio dynamique d’une Megane 3 RS dans le placement et les prises d’appui, mais le 2 litres VTEC Turbo me paraît plus impressionnant et fait de l’ascension de cette vallée déserte un de mes premiers grands moments automobiles de cette saison 2016.
En rationnalisant, le débat sur la motricité de la Type R ne devrait pas en être un. Une propulsion coupleuse survire lorsqu’on dépasse ses limites. Une traction coupleuse sous-vire lorsqu’on excède les siennes. Passé un certain cap de performance, le couple se gère avec le pied droit, une application binaire de l’accélérateur n’est plus possible: elle tient de la faute de pilotage. La différence tient du fait que le survirage induit par rupture de motricité tient presque de la quête du St Graal dans l’automobile sportive. Une mystique nourrie par les images de vertigineuses dérives en championnat de rallye, et entretnue par une presse spécialisée qui fait de la plupart d’entre nous des émules aspirantes de Chris Harris. Les roues avant de la Civic Type R patineront sur les rapports inférieurs, la voiture a été voulue ainsi par Honda pour limiter son prix et son poids.
La Type R démontre que le pari était jouable et que Honda l’a gagné. L’auto est suffisamment rigoureuse et cohérente pour être intéressante, et rend le rapport prix/prestations réellement attractif. Le seul reproche que l’on peut objectivement faire à Honda est d’avoir eu la main si lourde sur le traitement esthétique, un élément polarisant qui attirera autant de fans qu’il en rebutera d’autres. Les premiers auront la satisfaction de découvrir qu’ils achètent plus qu’un look: une authentique voiture sportive de caractère, certes imparfaite, mais polyvalente et intéressante à piloter. Banzai !
Prix et options du véhicule essayé
Honda Civic Type R | CHF 36’900 | € 35’750 |
Finition GT | CHF 3’000 | € 2’400 |
Prix catalogue du véhicule de test | CHF 39’900 | € 38’150 |
Face à la concurrence
Honda Civic Type R | Ford Focus RS | Seat Leon Cupra | Megane Renault Sport | |
Moteur | L4 1996 cm3 turbo | L4 2300 cm3 turbo | L4 1984 cm3 turbo | L4 1998 cm3 turbo |
Puissance (ch / t/min) | 310 / 6500 | 350 / 6000 | 290 / 5900-6400 | 275 / 5500 |
Couple (Nm / tr/min) | 400 / 2500-4500 | 440 / 2000-4500 | 350 / 1700-5800 | 360 / 3000-5000 |
Transmission | Roues AV | 4RM | Roues AV | Roues AV |
Boite à vitesses | Man. 6 | Man. 6 | Man. 6 | Man. 6 |
RPP (kg/ch) | 4.56 | (4.35) | (5.03) | 5.39 |
Poids DIN (constr.) | 1413 (1382) AV 64.8% AR 35.2% |
(1524) | (1461) | 1430 (1462) 63.1% AV 36.9% AR |
0-100 km/h (sec.) | 5.7 | 4.7 | 5.8 | 6.0 |
Vitesse max. (km/h) | 270 | 266 | 250 | 255 |
Conso. Mixte (constr.) | 8.32 (7.3) | (7.7) | 8.1 (6.7) | (7.5) |
CO2 (g/km) | 170 | 175 | 156 | 174 |
Réservoir (l) | 50 | 51 | 50 | 60 |
Longueur (mm) | 4390 | 4390 | 4271 | 4299 |
Largeur (mm) | 1878/2065 | 1823/2010 | 1816 | 1848/2037 |
Hauteur (mm) | 1466 | 1470 | 1435 | 1435 |
Empattement (mm) | 2594 | 2648 | 2631 | 2636 |
Coffre (L) | 498-1427 | 260-1045 | 380-1210 | 344-991 |
Pneumatiques | 235/35R19 | 235/35R19 | 235/35R19 | 235 /40R18 |
Prix de base (CHF) | 36’900 | 48’900 | 38’450 | 31’900 |
Prix de base (EUR) | 35’750 | 39’600 | 34’265 | 32’450 |
Nos remerciements à Honda Suisse pour le prêt de cette Civic Type R.
Galerie de photos
Afficher la galerie de photosLiens
Le sujet du forum – les articles Honda – la liste des essais – les essais récents ou relatifs: