Essai Bentley Bentayga: l’évidence

Le premier SUV de Bentley: gageure ou réussite ? 

Le premier SUV de Bentley a connu une gestation difficile. La première mouture présentée sous la forme du concept EXP-9F au salon de Genève 2012 reçut un accueil presque unanimement négatif. Après ces errements, les designers sont revenus à une adaptation plus conservatrice du style Bentley à un SUV. Une face avant arborant les 4 optiques rondes et la large calandre à deux pans, des hanches soulignées, et une double nervure qui part de l’aile avant pour mourir sur la porte arrière. La face arrière est un peu plus massive avec de larges optiques rectangulaires, habillée d’un béquet et des sorties d’échappement ovales chères à la marque. Personnellement, je trouve le Bentayga magnifique.

Pour la motorisation, Bentley reste fidèle au W12, mais le Bentayaga reçoit une version revue en profondeur. Par rapport au groupe lancé sur la Continental GT mk2,  la cylindrée passe de 5998 à 5950 cm3. L’injection est désormais mixte (directe dans chaque cylindre et indirecte dans les conduits d’admission) afin d’optimiser la combustion et baisser les émissions de particules ainsi que la consommation. Ce W12 implémente également la technologie “displacement on demand” où six des douzes cylindres sont désactivés à faible charge, ainsi qu’un système Stop Start. Avec 900 Nm disponibles de 1350 à 4500 t/min et une puissance culminant à 608 chevaux entre 5 et 6000 t/min. Par rapport à la dernière évolution du précédent W12, ce sont 60 Nm de couple qui ont été gagnés et sont disponibles dès un régime abaissé de 650 t/min. Les performances revendiquées sont ahurissantes pour un SUV de ce poids et de ces dimensions: 0-100 km/h en 4.1 secondes, 301 km/h en vitesse de pointe. Bentley propose le SUV le plus puissant et le plus rapide du marché. A noter que Bentley annonce déjà la future disponibilité de variantes diesel et hybrides.

Chamonix, Verbier, Montana, Gstaad. Plus que la symbolique des stations alpines huppées, avec leurs chalets cossus et leurs hotels de luxe, le terrain est intéressant et pertinent. De l’autoroute, bien naturellement, mais également des routes de montagne, roulantes ou torturées, des ruelles de villages étroites, des passages scabreux, la confrontation avec un profil d’utilisation plausible pour la clientèle.

Notre périple débute dans la périphérie genevoise. Le trafic pendulaire est intense, mais converge vers les points névralgiques de la cité alors que nous nous en échappons. La première impression qui domine est le silence stupéfiant. Sélecteur Drive Dynamics en mode Bentley (soit automatique), je laisse au soin à l’électronique de gérer le châssis pendant que j’acquiers mes repères. La suspension pneumatique adopte un paramétrage souple et prévenant, légèrement flottant, mais dès la première bretelle d’autoroute, le ton est donné. Lancé à une vitesse généreuse et sans autres avertissement que les mesures de ses accéléromètres, le Bentayga vire complètement à plat sur les 270 degrés de courbe. Irréel.

Bentley a construit le Bentayga sur la plateforme longitudinale MLB2 (parfois appelée MLB Evo), commune au nouveau Q7 et SQ7 d’Audi. Les empattements des deux SUVs ne différent que d’un millimètre, mais le Bentayga est plus long, 5140 mm contre 5069 au SQ7. Et à l’instar de ce dernier, le Bentayga reçoit le système de barres anti-roulis actives. Des actuateurs alimentés par un circuit électrique auxiliaire sous 48 Volts peuvent découpler les barres anti-roulis et contre-agir sur la force centrifuge pour maintenir la caisse horizontale dans les virages.

L’A40 en direction de Chamonix est quasiment déserte, baignée d’une belle lumière rasante. Au milieu de quelques Clio, Polo, Corsa et Fabia clairsemées, le Bentayga, ses sièges massants à 5 programmes (Vague, Pulsation, Etirement, Lombaire, Epaule) et son intérieur oppulent fait  résolument France d’en haut. Nuit debout, la CGT les vitupérations de Mélanchon et gesticulations de Montebourg semblent appartenir à un autre monde alors que le Bentayga avale les kilomètres vers les splendeurs des alpes et les lieux parmi les plus prisés du tourisme de luxe. J’éteins la radio et concentre mon attention sur les sensations de conduite.

 

Le gabarit du Bentayga m’est apparu jusqu’ici plutôt naturel, mais les premières gares de péage sont un rappel des 2.22m de largeur entre rétroviseurs. Elles fournissent également l’opportunité de tester les accélérations sur l’exercice bien connu du “zéro à 90 euros”, et le résultat est probant, voire impressionnant. A pleine charge, le bruit est nettement moins caverneux et sourd que celui de la Continental GT Speed. Les acousticiens ont soigné le raffinement, délivrant une expérience sur trois registres: le silence absolu, un feulement élégant à mis régime, et un ronflement un peu nasillard à pleine charge. Nul doute qu’une probable future version Speed donnera une touche un peu plus affirmée sur ce point. Les turbocompresseurs sont silencieux mais des indices de la suralimentation sont parfois audibles, soit à très bas régime, soit à pleine charge,  avec le bruit de suction caractéristique des masses d’air aspirées pour être comprimées puis avalées dans les 12 cylindres. A 150 km/h stabilisés, le W12 redevient inaudible, tournant en toute sérénité à 1900 t/min sur le huitième rapport. Les bruits d’air parfaitement étouffés par le double vitrage, seul le bruit de roulement vient troubler la quiétude de l’habitacle selon la nature du revêtement. Du 5ème au 8ème rapport, la boîte ouvre son convertisseur de couple lorsqu’on lève le pied, adoptant la solution du coasting pour abaisser la consommation.

L’intérieur est inimitablement Bentley, mêlant avec chic une sellerie bi-ton de Camel/Beluga avec le mélange savant de chromes et d’aluminium mat. Je me passerais volontiers des panneaux en piano black, atroces à entretenir, pour choisir une des six essences proposées. Avec quatre configurations de partage de couleurs, et plus d’une douzaine de teintes de cuir disponibles, les possibilités de personnalisation donnent le vertige. On remarque certains composants commun au groupe VW. Les commodos sont identiques à ceux de l’Audi A4 B9, mais certaines touches et commutateurs ont été plaqués en chrome. Même constat pour les commandes de climatisation et leurs écrans incrustés, familiers mais adaptés au segment. Bentley dit apporter un soin méticuleux aux tolérances des assemblages, et ça se voit. L’ensemble est luxueux mais pas clinquant, riche sans être vulgaire. La classe, tout simplement.

Les sièges sont tout simplement divins, du support des genoux jusqu’aux appuie-tête divinement moelleux. Appui lombaire, coussins du placet et rembourrages latéraux du dossier sont ajustables. On est très bien tenu, avec fonctions de chauffage ou ventilation à disposition selon la température. Le volant est de relativement petit diamètre, ce qui est bienvenu. La position de conduite est parfaite, idéale pour les longs trajets ou pour une conduite plus dynamique. Et ça tombe bien car nous arrivons à Chamonix et la phase “contemplative” de cet essai prend fin.

Un court détour par le bourg avant d’attaquer l’ascension du col des Montets. Sélecteur Drive Dynamics déplacé d’un cran vers la gauche pour sélectionner le sport, le châssis se raffermit et la boîte ZF adopte une logique de changements de rapports beaucoup plus agressive, rapidement neutralisée par un passage en mode manuel et commande par les palettes solidaires du volant. En reprise à très bas régime, le temps de réponse de la suralimentation est perceptible, mais il suffit de maintenir le 6 litres au-dessus de 2000 t/min pour bénéficier de reprises époustouflantes. Les premiers dépassements donnent la pleine mesure de l’enveloppe de performance du nouveau W12, ses 900 Nm propulsant les 2440 kg annoncés du Bentayga à des vitesses inavouables à la moindre sollicitation.

Encore plus réjouissante, l’homogénéité des trains roulants. L’agilité est redoutable pour le gabarit, il faut juste prendre garde à ne pas se laisser emporter par le poids si on arrive fort sur un pif paf bosselé et en descente. Sinon, la rigueur dans la gestion des mouvements de caisse est vraiment impressionnante, le système anti-roulis actif se mariant de manière limpide à la suspension pneumatique. La gestion d’une telle masse en mouvement à un tel rythme ne peut que forcer l’admiration. Le col de la Forclaz passé, nous faisons une courte halte. De ce promontoire symbolique, le Bentayga semble destiné à dominer bien plus que la vallée du Rhône.

Après un détour par les splendeurs buccoliques du Val Ferret, nous pointons la proue du Bentayga vers Verbier, station symbolique d’un tourisme haut de gamme trendy qui colle bien à l’image qu’on se fait d’une clientèle cible pour le Bentayga. Les lacets de la montée depuis Sembrancher sont étroits et notre marche ralentie par un crossover japonais, mais à la première ouverture, je peux placer un dépassement au scalpel, disposant du sujet tel le brochet gobant la mouche.

 

Nos pérégrinations dans la jungle alpino-urbaine de la station nous amènent à un épisode cocasse de manoeuvres dans des ruelles étroites qui met en relief deux points importants. Le premier est le bienfait des caméras périphériques. Le second est la garde au sol: on dira ce qu’on voudra des SUVs pachydermiques, leur hauteur rend rampes, bosses et trous totalement inoffensifs, à la différence d’une limousine ou d’un coupé GT. Ces pachydermes haut sur pattes offrent une versatilité remarquable, et les tributs à payer en conduite dynamique s’amenuisent.

Pour la troisième étape de notre essai vers Crans Montana, je prends place à l’arrière. Le confort est remarquable, non seulement par l’espace à disposition, mais aussi par la position légèrement surélevée, offrant une excellente visibilité sur l’avant. Il faut chercher loin et longtemps pour trouver un endroit plus confortable pour voyager en tant que passager arrière. Certains attributs de première classe que l’on trouve à l’arrière d’une Mulsanne sont absents, mais la position dominante sur l’avant et les côtés ainsi que le large toit panoramique de 1.35m2 en font un endroit privilégié et relaxant.

  

Sur la planche de bord, Bentley a conservé deux instruments analogiques complémentés de deux jauges, mais c’est un écran LCD moderne qui occupe l’espace les séparant, tout comme l’écran tactile de 8 pouces qui trône au centre de la planche de bord. Le système multimédia est moderne aux standards contemporains. L’affichage à tête haute (Head Up Display, un des composants de la Touring Specification) est par contre fortement atténué par mes lunettes solaires polarisées. Les interventions du système displacement on demand sont imperceptibles, je n’ai même pas repéré de voyant dans la pléthore d’indicateurs disponibles. La descente de la vallée du Rhône avalée, nous n’avons malheureusement pas beaucoup d’opportunités de goûter à l’agilité du Bentayga sur la montée du col du Pillon. Trafic et travaux nous amènent à apprécier ce que cette grande Bentley fait admirablement: isoler du monde extérieur.

 

Les palaces rénovés de Gstaad font écho à merveille à l’essence du Bentayga. Une marque bientôt centenaire (le 18 Janvier 2019) qui réussit le grand écart entre un héritage classique et des technologies modernes. Des technologies qui permettent au W12 d’avoir un appétit modéré pour le Super 98: nous avons relevé 15.7 L/100km au rythme soutenu de cet essai. En regard des performances, du poids et de la nature du parcours, c’est remarquable.

Depuis Chateau d’Oex, les gorges du Pissot nous ramènent sur l’Etivaz puis le col des Mosses. Un parcours sinueux, rythmé, épousant les contours de la roche. J’adopte un rythme élevé, et le Bentayga encaisse sans broncher, enquillant ces enfilades incessantes à des vitesses nettement supérieures à ce que la physique devrait permettre à un SUV de ce gabarit. Ni roulis, ni plongée lors de freinage puissants, ni cabrage lorsque les 900 Nm catapultent l’équipage vers le prochain virage. L’expérience est un peu détachée, aseptisée par la hauteur et le filtrage de la direction, mais intéressante. Plus les impulsions d’accélération, freinage et direction sont précises et mesurées, plus la formidable enveloppe de performance peut-être exploitée. La démonstration impose plus que le respect, elle euphorise. Une capacité de voyage hors du commun et sans beaucoup de concurrence, mais aussi la capacité de divertir en conduite sportive et, s’il le fallait, de donner du fil à retordre à plus d’une GT sur route ouverte.

  

Construire le Bentayga était une évidence pour Bentley, qui se retrouve quasiment seul sur ce segment de marché, en attendant le SUV Lamborghini et l’arrivée future de Rolls Royce sur le segment. En comparaison directe, un Porsche Cayenne Turbo S semble pouvoir rivaliser sur le papier en termes de performances, mais ni sa mécanique ni son intérieur n’arrivent à la cheville du Bentayga en termes de raffinement. Le désormais produit vedette de Bentley va sans doute faire beaucoup d’ombre à la Flying Spur. Plus cool, plus pratique, plus pragmatique, il est difficile de trouver à la limousine une raison d’être autre que statutaire. L’autre évidence qui s’est imposée au fil de cet essais est que le Bentayga est non seulement le SUV le plus puissant et le plus rapide sur le marché, mais probablement le meilleur et sans doute le plus désirable. La clientèle a d’ailleurs voté avec son portefeuille: la première année de production était déjà vendue en Septembre 2015 alors que les premières livraisons aux clients n’ont débuté qu’en mars 2016. Le volume de production pour cette première année de commercialisation a d’ailleurs été majoré de 40% à 5000 unités. A parution, il faut compter avec douze à quatorze mois de délais pour une nouvelle commande.

  

Prix et options du véhicule essayé

Prix Suisse TTC* Prix HT
Bentley Bentayga € 200’000 € 175’200
Touring Specification  € 6’635 € 5’905
All Terrain Specification € 5’085 € 4’525
22″ five spoke directional alloy wheel € 4’870 € 4’335
Peinture de la gamme étendue  € 4’815 € 4’285
City Specification € 4’410 € 3’925
Bentley Signature Audio € 3’130 € 2’785
Front Seat Comfort Specification  € 3’000 € 2’670
Event Specification € 2’700 € 2’400
Spécification Fumeurs € 500 € 1’560
Sushine Specification € 1’750 € 1’555
Coutûres contrastantes € 1’870 € 1’485
Vitres arrière assombries € 1’865 € 1’480
Bas de caisse peints, peinture non standard  € 1’125 € 1’000
Volant chauffant bicolore  € 805 € 715
Ouverture de coffre à mains libres  € 740 € 655
Roue de secours compacte  € 585 € 520
Tapis AV/AR  € 420 € 370
Télécommande de garage  € 300 € 265
Clé voiturier € 240 € 210
Coutûres contrastantes, volant  € 180 € 160
Chargeur de batterie  € 115 € 100
Accessories Specification € 100 € 80
Prix catalogue du véhicule de test €  245’240 TTC € 215’075 HT

*Bentley commercialise désormais ses modèles sur le marché suisse en Euros, toutes taxes comprises.

Face à la concurrence

Bentley Bentayga Porsche Cayenne Turbo S Range Rover Sport SVR Audi SQ7
Moteur  W12 5950 cm3 biturbo V8 4806 cm3 biturbo  V8 5000 cm3 compresseur V8 3’956 cm3 turbo diesel
Puissance (ch / t/min) 608 / 5000-6000 570 / 6000 550 / 6000-6500  435 / 3750-5000
Couple (Nm / tr/min) 900 / 1350-4500 800 / 2500-4000 680 / 3500-4000 900 / 1000-3250
Transmission 4WD 4WD 4WD Quattro
Boite à vitesses Automatique, 8 Tiptronic S, 8  Automatique  Automatique 8
RPP (kg/ch) (4.01) (3.92) (4.24) (5.39)
Poids DIN (constr.) (2440) (2235) (2333)  (2345)
0-100 km/h (sec.) 4.1 4.1  4.7  4.8
Vitesse max. (km/h) 301 284  260  250
Conso. Mixte (constr.) (13.1) (11.5) (12.8) (7.2 – 7.6)
CO2 (g/km) 296 267 298  189
Réservoir (l) 85 100 105  85
Longueur (mm) 5140 4855 4850  5069
Largeur (mm) 1998/2224 1954/2165 /2220  1968 / 2212
Hauteur (mm) 1742 1702 1780  1741
Empattement (mm) 2995 2895 2923  2996
Coffre (L) 431 (4 pl.)-484 (5 pl.)*
590**/1774***
670/1780 784/1761  295 / 770 / 1955
Pneumatiques 275/50R20 295/35R21 N.C. 285/45R20
Prix de base (CHF) 206’000 141’400  111’500
Prix de base (EUR)  200’000 172’610 130’800 89’900

*sous cache-bagages **cache-bagages replié ***sièges AR repliés

Nos remerciements à Bentley Genève et au groupe André Chevalley pour le prêt de ce Bentayga.

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