En voyage au sud avec la Bentley Mulsanne Speed, vaisseau amiral de la firme de Crewe.
Bentley présente la Mulsanne Speed comme la berline d’ultra luxe la plus rapide au monde, avec une vitesse de pointe de 305 km/h. Pour justifier cette revendication, Bentley a revu le haut moteur du V8 de 6.75L gavé par deux turbos, obtenant ainsi plus de couple (1100 Nm au régime inchangé de 1750 t/min contre 1020 sur la Mulsanne “normale”), 25 chevaux supplémentaires (537 à 4200 t/min) et pour abaisser la consommation et les émissions de CO2 de 13% et rendre l’ensemble conforme aux normes Euro 6. La désactivation partielle des cylindres à faible charge (mode V4) a été peauffinée pour la rendre totalement imperceptible. Impossible de résister à l’invitation de déguster une autre tranche de Mulsanne tout en analysant ce que Bentley a voulu, su et pu adjoindre à sa formidable limousine en la faisant “Speed”.
Notre premier essai de la Bentley Mulsanne fut une expérience formatrice. Une automobile monumentale, superlative, euphorisante par son luxe, impossiblement longue, intimidante. Evoluer dans un environnement routier helvétique souvent étriqué avec une telle jauge tient plus de la planification d’un convoi exceptionnel qu’un acte anodin de mobilité individuelle. C’est du moins l’impression qui domina lors de notre premier essai.
Comment ne pas tomber sous le charme de cette silhouette. Une face avant abrupte, verticale, dominée par ces optiques rondes caractéristiques, un porte-à-faux minime et des ailes anguleuses, cet empattement interminable de 3.26m et cet arrière fluide et dépouillé, dans la plus pure tradition des limousines anglaises. La Mulsanne Speed hérite de jantes subtilement directionnelles de 21 pouces chaussées en série 40, le reste des modifications esthétiques sont discrètes. La livrée en blanc perlé sur sellerie lin et cognac et boiseries en olivier ne serait certainement pas mon premier choix, mais le catalogue ne manque pas d’alternatives: 100 teintes extérieures dans 4 types de vernis, 24 teintes de selleries, 10 essences, sans compter les personnalisations sur échantillons. Comme de coutume chez Bentley, la qualité d’exécution est époustouflante, du choix des matériaux à leur mise en oeuvre, ainsi que leur assemblage. Les concessions à la réduction des coûts, usuelles dans l’industrie automobile, n’ont ici pas prise. Tout est beau et suprêmement mis en oeuvre, de l’épaisse moquette au ciel de toit, intégralement recouvert de cuir, lui aussi.
Une météo bouchée sur l’helvétie nous oriente vers le sud et une destination naturelle: la principauté monégasque. Les premiers kilomètres d’autoroute amènent leur premier verdict: la rigidité de la caisse de la Mulsanne demeure perfectible. Le passage de joints de dilatation mettent à mal la rigidité de la caisse et des liaisons au sol, un défaut déjà constaté sur la Mulsanne et que la Speed ne peut corriger. Des ondes vibratoires se propagent du train avant vers l’arrière par le plancher. Ils sont perceptibles et un peu incongrus dans cet environnement conçu pour isoler ses occupants de toute intrusion déplaisante du monde extérieur. Sous un angle positif, l’adoption de pneus en série 40 ne semble pas avoir d’effet agravant sur le phénomène, mais le gentleman driver averti ne pourra que remarquer le phénomène. Pour le reste, à allure autoroutière légale, le moteur est inaudible, l’isolation phonique excellente, procurant toute la sérénité attendue.
La remontée de la plaine du Rhône puis l’ascension jusqu’au tunnel du Grand St Bernard nous offrent les premières opportunités de dépassement. Le couple surabondant permet au V8 de 6.75L d’enrouler à des régimes inhabituellement bas, mais pour piquer un traînard sur une courte enfilade, le kickdown est nécessaire pour exécuter une manoeuvre aussi délibérée que sûre. Selon la situation, la boîte ZF à 8 rapports n’est pas particulièrement rapide à exécuter le rétrogradage. S’en suit le temps de spool-up des turbos, mais quelques dixième de secondes plus tard, la déferlante de couple est considérable. Elle propulse la limousine plus qu’efficacement. La poussée impose le respect, moins par les sensations sportives qu’elle procure, plus pour la prouesse que de telles performances représentent à une telle échelle.
Avec 2685 kg DIN (pour une fois pas vérifiés, nos balances ne supportent pas un tel poids), les options, deux bonhommes à bord, du matos photo et quelques bagages, l’ensemble flirte avec les 3 tonnes, et le souffle du 6.75L se joue de ce poids avec une aisance déconcertante. Bentley a accompli un travail remarquable pour contenir les effets néfastes d’un tel poids. Hormis les égards dûs au gabarit, il n’y a aucune raison de se priver de rouler à un rythme rapide et poireauter derrière un turbodiesel. La démultiplication de la direction impose des moulinets dans certaines épingles; une direction dynamique à rapport variable aurait tout son sens sur cette auto pour l’économie de mouvements qu’elle amène.
Sur le versant sud des alpes, la couverture nuageuse plus clairsemée laisse entrevoir la possibilité d’un pari météorologique gagnant. La descente d’Aoste sur Ivrea nous permet de prendre quelques libertés toutes latines avec les limitations de vitesse. Vers 160 km/h, le V8 est toujours aussi discret, fonctionnant dans un murmure à moins de 2200 t/min, mais le bruissement de l’air sur le pare-brise se fait plus présent. La tenue de cap est bonne, sereine, mais le passage de grandes courbe requiert un minimum d’attention. Quel que soit le mode de suspension adopté, les enchaînements ne se font pas d’un seul geste des coudes, une correction après la prise d’appui est fréquemment nécessaire. Le confort reste naturellement d’un très haut niveau, mais l’accroissement des bruits aérodynamiques et le manque de précision général du châssis ne sont pas des invitations à rouler comme un desperado ou un dandy participant à son premier (et peut-être dernier) Gumball 3000. Les liaisons du train arrière multibras manquent également de rigueur: le passage d’inégalités en appui perturbe le train arrière de manière perceptible.
Sur l’autoroute et sur les aires de repos, le grand vaisseau blanc se démarque. Assis plus haut que la plèbe, mais moins haut que les roturiers en SUV, la position de conduite offre une certaine autorité, ainsi qu’une visibilité bienvenue sur le long, long capot et sa nervure qui mène jusqu’à l’emblème ailé. Parfois aux limites de l’incongru, la Mulsanne est énorme, décalée. Les bouchons du péage de Ventimiglia nous mettent toutefois sur un pied d’égalité avec les autres automobilistes. La Bentley Mulsanne Speed coûte une grosse quinzaine d’années du SMIC français, mais demeure égale à tous lorsque le trafic s’englue.
Le gabarit, l’empattement surtout, impose toujours le respect mais dans les rues étriquées du labyrinthe monégasque, la Mulsanne Speed reste gérable, bien aidée par un angle de braquage maximal prononcé qui facilite les manoeuvres (le diamètre de braquage est de 12.6m). Si l’on devait juger des parts de marché sur la base du microcosme arcbouté au rocher, Rolls Royce a clairement l’ascendant sur la Bentley Mulsanne. Nous croiserons des dizaines d’exemplaires de Ghost, mais les seules Bentley en vue sont des Continental GT et quelques rares Flying Spur. La foule autochtone et touriste congestionne les artères et nous pousse à une escapade sur la moyenne Corniche pour admirer les vues sur la péninsule de St Jean Cap Ferrat puis d’aller remettre la Mulsanne au voiturier de notre hôtel, un temps co-propriété de David Coulthard. Si on peut s’habituer aux dimensions d’une si grande auto, s’engouffrer dans un parking sous-terrain ne se fait pas à la légère. Elle sera d’ailleurs la dernière à être parquée le soir venu.
Le lendemain matin, les clubeurs sont soit couchés, soit en after dans un lieu select, et la place du casino déserte à l’exception d’un policier bienveillant. Même constat sur le port où les yachts sont baignés par le soleil levant mais les oligarques encore endormis. Même dans la quiétude de cette magnifique matinée, il est difficile de s’extasier sur le cachet architectural de la principauté. Le neuf parait vieux, et le vieux a trop souvent l’attrait d’une barre HLM des années 60. La Bentley, elle, ne déparre pas devant les superyachts, tout en blanc et en chromes.
Une bonne tranche d’autoroute italienne, le cruising dans et autour de Monaco, le troisième chapitre de notre périple nous amène dans l’arrière pays niçois, plus précisément depuis la sortie de Carros, portail d’accès aux gorges du Var. Encore plongée dans l’ombre, la M6202 se fraie un chemin dans la rocaille, avec la particularité d’être dédoublée sur sa partie inférieure et séparée de la M6102 descendante. Une belle route fluide où l’on peut rouler vite sans crainte de trafic dans le sens inverse. Le plein fait de sans plomb, nous nous retrouvons à tracer derrière un Berlingo emmené à toc par un autochtone, roulant à vitesse constante, rectilignes comme courbes au maximum des possibilités de son turbodiesel. La Mulsanne Speed suit le rythme sans peine, se montrant paradoxalement plus à l’aise sur ce ruban d’asphalte sinueux que sur l’autostrada.
Un sélecteur sur la console centrale permet de basculer entre 4 modes (Comfort, Bentley, Sport et Individual). S’il est difficile de percevoir des changements significatifs entre ces modes, tant sur le châssis que la direction que la gestion de l’ensemble moteur-boîte, il est plus regrettable que Bentley n’a pas choisi de plus typer le mode Sport. Une gestion agressive de la boîte aurait été incongrue, mais l’option de raffermir plus significativement la suspension pneumatique aurait pu être intéressante. L’essentiel reste préservé: plutôt que d’être chahuté dans les sublimes fauteuils arrière, le passager propriétaire prendra plaisir à donner congé au chauffeur et prendre le gouvernail.
Lorsque la M6202 se mue en simple D6202, il est temps de gober le poisson pilote Berlingo d’une inspiration du 6 3/4. Avec les 537 chevaux revendiqués, la manoeuvre est facile – peut-être trop. La boîte ZF à 8 rapport se dispense d’une grille de sélection manuelle, mais les palettes logées derrière le volant, molletées à leur revers comme les poignées de porte – toujours cette attention maniaque du détail – offrent la possibilité d’imposer ses desideratas. On en ressent rarement le besoin cependant. La plage de fonctionnement inhabituelle du V8 (1200 à 4000 t/min) et les réserves de couple permettent d’enrouler en toute décontraction, la pression du pied droit modulant le grondement sourd et velouté du V8.
Après Puget Théniers, nous bifurquons à droite pour une courte excursion dans les Gorges du Daluis. La route est étroite, se divisant souvent entre d’étroits tunnels creusés dans la roche et des passages à ciel ouvert. Le paysage est magnifique, un mélange de verdure et de pierre ocre, vierge de toute construction, préservé intact à l’exception de cette D2202. Et pour ne rien gâcher, l’endroit est désert, oublié des touristes.
La N202 nous sert quelques belles grandes courbes en remontant les Gorges de la Galange. En poussant la Mulsanne à ses limites de grip, les Dunlop de 265/40R21 des roues avant finissent par capituler face aux forces considérables en présence et la Mulsanne sous-virer gentiment. Le plus étonnant est que sur ces routes, le côté Mulsanne s’efface pour laisser la part belle au côté Speed, et ce n’est pas le moindre des compliments pour un équipage de 3 tonnes. L’heure avance, inversément proportionnellement au rythme de certaines voitures, et chaque rectiligne une opportunité de dépasser. En complément des multiples radars fixes, la gendarmerie veille, ce qui nous vaut une aimable discussion avec un motard lancé à notre poursuite: 90€ pour le dépassement d’une caravane observé à 119 km/h à la jumelle laser, 113 km/h retenus, l’addition aurait pu être plus sévère.
A Digne nous faisons un léger détour par l’ouest pour prendre l’A51 en direction de Gap. Je m’installe sur le siège arrière droit, l’autre place de choix. Siège réglable et massant avec des points d’application multiples, tablettes dépliables électriquement avec logements pour iPad, commande de la climatisation à quatre zones. Le siège passager avant peut également être déplacé en profondeur et inclinaison, soit pour ménager un espace supplémentaire, soit pour dégager une vision panoramique sur le pare-brise. La télécommande permet d’accéder de sélectionner un programme de télévision sur un des écrans et de garder un oeil sur la carte du système de navigation satellite sur l’autre. L’endroit est douillet, raffiné et suprêmement confortable, idéal pour potasser du Thomas Piketty en gardant un oeil sur les cours de la bourse. En cas de soif, le frigo optionnel disposé au centre des sièges accueille des rafraîchissements et deux flûtes de champagne en crystal.
Plus loin, en rejoignant l’A41, les gares de péage sont l’opportunité d’effectuer quelques accélérations à toc. Le rapport poids puissance de 5.00 kg/ch se traduit par un 0-100 km/h en 4.9 secondes, respectable mais pas ébouriffant. La calandre statutaire et la présence visuelle de l’auto sont par contre un outil efficace pour rappeler aux étourdis ou attardés de la file de gauche de se rabattre. Le trajet de retour sur l’arc lémanique se déroule dans la sérénité et nous permet de faire le bilan.
Il est difficile avec cette auto de déterminer s’il faut s’émerveiller de ses qualités ou s’irriter de ses défauts. L’expérience de voyager en Mulsanne conserve un charme fou, qu’on avale des bornes sur aurotoute, qu’on croise dans Monaco ou qu’on se balade dans les somptueux paysages de l’arrière pays niçois, à allure plus ou moins décontractée. Lors de notre premier essai, la Mulsanne m’avait paru intimidante, trop d’automobile pour être gérable, un échaffaudage d’excès. Cette escapade nous a dévoilé la Mulsanne Speed sous un jour beaucoup plus polyvalent, même si les contingences liées à sa taille demeurent réelles. Même sa consommation, 15.7 L/100km relevés à 65 km/h de moyenne, est plutôt raisonnable en regard du rythme de l’essai. L’adoption de jantes de 21 pouces ne péjore pas le confort. J’ai toutefois trouvé le mode Sport pas assez typé. Malgré de multiples tentatives, je n’ai pu discerner des variations significatives sur le comportement et les réponses de la voiture. Un contraste plus marqué aurait été bienvenu et son absence établit l’hypothèse que Bentley n’a pas jugé utile ou faisable de trop affirmer le caractère de l’auto, préservant des attributs de quiétude et de raffinement pour les passagers arrière plutôt que de tenter le pari d’en faire un jouet polisson et un tantinet schyzophrène pour le conducteur. La clientèle a sans nul doute les moyens de garnir son garage d’autres autos pour satisfaire ce genre d’envie.
Configuration du véhicule
Bentley Mulsanne | CHF 311’900 | |
Mulsanne Speed Specification | CHF 339’900 | € 272’200 |
Entertainment specification | CHF 26’650 | € 21’145 |
Speed Premier specification | CHF 12’595 | € 9’325 |
Teinte Ghost White Pearlescent | CHF 11’615 | € 9’210 |
Réfrigérateur et flutes de champagne | CHF 10’170 | € 8’065 |
Rideaux pour cabine arrière | CHF 6’430 | € 5’100 |
Régulateur de vitesse adaptatif | CHF 3’610 | € 2’865 |
Toit en verre | CHF 3’040 | € 2’410 |
Bentley Wing Badge | CHF 2’600 | € 2’060 |
Comfort specification | CHF 2’020 | € 1’605 |
Tracker GPS | CHF 1’985 | € 1’575 |
Coutures contrastées | CHF 1’835 | € 1’455 |
Vitres arrière assombries | CHF 1’830 | € 1’450 |
Caméra latérale | CHF 1’135 | € 905 |
Chargeur 6 DVD | CHF 1’025 | € 815 |
Prix catalogue du véhicule essayé | CHF 426’460 | € 340’185 |
Face à la concurrence
Bentley Mulsanne Speed | Rolls Royce Ghost Series II Extended Wheelbase | Mercedes S65 AMG | BMW 760 Li | |
Moteur | V8 biturbo – 6750 cm3 | V12 biturbo – 6592 cm3 | V12 biturbo – 5980 cm3 | V12 biturbo – 5972 cm3 |
Puissance (ch) | 537 / 4200 | 570 / 5250 | 630 / 4800-5400 | 544 / 5250-6000 |
Couple (Nm) | 1100 / 1750 | 780 / 1500 | 1000 / 2300-4300 | 750 / 1500-5000 |
Transmission | Roues AR | Roues AR | Roues AR | Roues AR |
Boite à vitesses | ZF 8HP90 8 rapports | ZF 8HP90 8 rapports | Automatique 7 rapports | Steptronic 8 rapports |
RPP (kg/ch) | (5.00) | (4.30) | (3.57) | (3.99) |
Poids DIN (constr.) | (2685) | (2450) | (2250) | (2175) |
0-100 km/h (sec.) | 4.9 | 5.0 | 4.3 | 4.6 |
Vitesse max. (km/h) | 305 | 250 | 250 | 250 |
Conso. Mixte (constr.) | (14.6) | (14.1) | (11.9) | (12.9) |
Réservoir (l) | 96 | 82.5 | 80 | 80 |
Emissions CO2 (g/km) | 342 | 329 | 279 | 303 |
Longueur (mm) | 5575 | 5569 | 5246 | 5219 |
Largeur (mm) | 1926 / 2208 | 1948 | 1899 / 2130 | 1902 / 2142 |
Hauteur (mm) | 1521 | 1550 | 1494 | 1481 |
Empattement (mm) | 3266 | 3465 | 3165 | 3210 |
Coffre | 443 | 490 | 470 | 500 |
Pneumatique AV | 265/40 R21 | 255/45 R20 | 255/40 R20 | 245/50 R18 |
Pneumatique AR | 265/40 R21 | 285/40 R20 | 285/35 R20 | 245/50 R18 |
Prix de base (CHF) | 339’900 | 447’400 | 309’000 | 199’080 |
Prix de base (EUR) | 272’200 | 300’900 | 249’000 | 158’100 |
Nos remerciements à Bentley Genève pour le prêt de cette Bentley Mulsanne Speed.
Galerie de photos
Liens
Le sujet du forum – les articles Bentley – la liste alphabétique des essais – les essais récents ou relatifs: