Essai Fisker Karma EVer: voiture de designer

Une pionnière des hybrides rechargeables, originale à des multiples égards. 

La Fisker Karma fut pionnière dans le segment des limousines de luxe positionnées sur l’écologie, alliant les sensations de la propulsion électrique à la tranquillité d’esprit d’une hybride, le tout habillé d’une robe au style charmeur. Exercice de style ou produit convaincant ? Notre verdict après une semaine passée au volant.

Pour comprendre la Karma, il faut tout d’abord brièvement retracer la trajectoire de Henrik Fisker. Le designer danois a signé le style des BMW Z8, Aston Martin DB9 et V8 Vantage, même si la paternité de ces deux dernières est vigoureusement contestée par Ian Callum. Si cette dispute entre designers ne sera probablement jamais résolue, les pôles d’inspiration semblent bien établis. La calandre tout d’abord, dont les deux découpes symétrique et l’écusson fleurent bon la Bavière. La silhouette se développe ensuite sur des ailes avant saillantes et des flancs cintrés, la ceinture de caisse remontant ensuite sur des ailes arrières formant des hanches larges. Les porte-à-faux avant et arrière sont minimes, l’empattement atteint 3m16. C’est 24cm de plus qu’une Porsche Panamera, 9cm de plus que sa très récente version à empattement long, 17cm de plus qu’une Aston Martin Rapide ou une Ferrari FF. Il faut aller chercher une BMW série 7 L pour trouver 5cm de distance supplémentaire entre les trains roulants.

 

L’explication de ce gabarit surprenant est à chercher dans la hauteur de la Karma, 1.33m, plus proche d’un coupé GT que d’une berline. Le toit d’une Aston Martin Rapide culmine 2cm plus haut, et c’est de loin la plus basse de la liste susmentionnée. Une Karma très basse, campée sur d’énormes jantes de 22 pouces (notre voiture de test est en monte d’hiver de 21 pouces seulement), avec un empattement qui déclasse le reste de la production automobile : la recette devrait ménager un espace appréciable pour ses occupants. A l’avant, la place disponible est suffisante, mais les mouvements sont entravés par la hauteur de la console centrale, au point de gêner les mouvements du coude droit en courbe. Les places arrières sont inhospitalières pour tout homo sapiens s’approchant du mètre quatre-vingt. Le placet des deux sièges est très incurvé, l’espace aux genoux compté mais viable, malgré le fait qu’il est impossible de glisser des chaussures sous le siège avant. C’est la garde au toit insuffisante de plusieurs centimètres qui proscrit complètement les deux places à des adultes de taille normale. La faible hauteur a donc forcé les concepteurs à loger toutes les fonctions de l’auto entre les roues plutôt que sur les roues. Autre conséquence des proportions  inhabituelles de la Karma, le coffre à bagages est d’une capacité ridicule (195L). Le style a eu une primauté écrasante sur les aspects pratiques.

   

Sous le long capot avant élégamment galbé se cache un 4 cylindres 2.0L turbocompressé à injection directe d’origine GM (type LNF) développant 212 chevaux à 4900 t/min. Placé longitudinalement, sa seule fonction est  d’entraîner une génératrice qui fournit du courant aux batteries Lithium Ion logées dans l’imposante console centrale courant du tableau de bord au coffre. Nous sommes donc en présence d’une hybride sérielle (comme la Chevy Volt/Opel Ampera ). Le moteur thermique n’a qu’un lien électrique avec les roues motrices, alors que la majorité des hybrides sur le marché sont parallèles, le couple étant transmis aux roues alternativement ou conjointement par le moteur thermique et le moteur électrique. Le pack de 20.1 kWh, rechargeable sur le secteur ou par récupération d’énergie cinétique, alimente deux moteurs électriques développant chacun un couple maxi de 650 Nm et une puissance maximale de 204 chevaux. L’addition, sur le papier glacé du prospectus, est donc un couple massue de 1300 Nm et une puissance de 408 chevaux.

Des valeurs conséquentes qui suscitent l’interrogation et le respect, tout comme le gabarit d’ensemble lorsqu’on s’installe derrière le volant de la Karma. L’expérience est hors du commun. Assis bas, la visibilité avant est dominée par les arêtes supérieures des ailes, celle de droite semblant aussi distante que les dimensions de la fiche technique le laissait présager. La visibilité arrière n’est guère engageante non plus. Entre les mains, un volant dont la jante ferait passer les appendices des produits de la division Motorsport de BMW pour des cerceaux de fillette. Epais, moelleux, le cuir est doux et souple, le traitement visuel sophistiqué avec des inserts chromés, mais des commutateurs de cruise control et de commande audio provenant d’un fournisseur de General  Motors.  La sellerie « tri-tone Canyon» de notre exemplaire est assez réussie, la peau de qualité, les motifs originaux. Les détails respirent le travail du designer industriel, parfois de bongoût, parfois de manière un peu surprenante, entre l’iconoclaste et le kitsch. Les inserts dans les accoudoirs de porte, la grande surface transparente en tête de console centrale avec un fond miroir et des tubes s’illuminant fugitivement, la Karma est loin des conventions de design des allemandes ou des anglaises.

Exotique et intimidant. Une Porsche Panamera, dont les dimensions sont pourtant aux antipodes d’un Renault Tweezy ou d’un triporteur Piaggio, est plus facile à appréhender. Pression sur le bouton de contact, quittance sonore (un élément central de l’interface homme machine dans cette Fisker), les LCDs du combiné d’instruments s’illuminent, indiquant que la Karma est prête au voyage. Une pression sur le bouton de sélection de transmission, un ensemble PRND avec rappel au centre du compteur de vitesse, et le paquebot est prêt pour la croisière. Par défaut, la Karma sélectionne le mode Stealth (Furtif en français) dont la logique est de forcer la propulsion en mode électrique dans la limite de capacité des batteries.

L’alternative est le mode Sport, activé avec la palette de gauche, dont la logique est de privilégier la performance. Le 2L turbo est alors actif presque constamment, la Karma ne puisant dans la réserve de charge que pour délivrer le couple maximum possible. Avec la palette de droite, on peut activer le mode « Hill » (pour colline) qui augmente le frein moteur électrique à la manière du mode Brake sur le Hybrid Synergy Drive de Toyota. Il y a ici deux niveaux, le deuxième offrant une décélération appuyée. Idéal pour maintenir la voiture à vitesse constante dans de fortes déclivités, ou pour la ralentir fortement à l’approche d’une intersection. Il est naturellement possible également de moduler la régénération à l’aide de la pédale de frein qui répartit le freinage entre le moteur électrique – officiant alors comme génératrice – et le système de freins à disques.

Ce qui pourrait paraître compliqué à la lecture est simple une fois les différentes fonctions assimilées. Les premières dizaines de kilomètres se font sur la défensive du fait du gabarit, mais dans le silence impressionnant de la propulsion électrique. L’habitacle est bien isolé des turbulences aérodynamiques, seul le bruit de roulement des Yokohama W-Drive étant audible dans ces conditions. La Karma file sur l’autoroute A1 en toute sérénité alors que je maintiens une allure de croisière strictement légale sur le tronçon de plaine qui m’amène vers la capitale. L’indicateur d’autonomie qui indiquait 81km à mon départ décline plus vite que l’odomètre ne croit, et au bout de 55.8 paisibles kilomètres, le 4 cylindres s’ébroue, maintenant un ralenti accéléré, audible mais pas dérangeant.

Lors des premières côtes prononcées, mes essais de reprise révèlent une présence sonore bien plus marquée lorsque le pied droit sollicite une réponse plus vigoureuse, réponse  qui par ailleurs n’est guère en phase avec les prétentions de la fiche technique. L’explication tient avant tout dans une équation simple: un moteur de 212 chevaux ne permet pas de fournir une puissance de 408 chevaux. Le réservoir d’énergie que constituent les batteries peut y remédier, mais seulement temporairement. La gestion de la Karma maintient une réserve tampon, mais celle-ci est malgré tout insuffisante pour délivrer des prestations attendues. A allure autoroutière, la Karma parait ainsi sous-motorisée. De simples tests de reprise viennent corroborer cette impression subjective. Sur l’exercice du 100-150 km/h,  j’ai relevé des temps variant de 11s (en mode Sport) à 12s (en mode Stealth). Rien à voir avec les 5.5s d’une Porsche Panamera Turbo S ou même les 6.5s de notre Audi S5 Sportback.

Autre facteur contributeur, le poids. Notre Karma d’essai pointe à 2446 kg sur nos balances, une valeur conséquente, même pour une berline coupé de 5 mètres de longueur. Le cumul du pack de batteries Lihium Ion de 20.1 kWh, du moteur thermique et de ses périphériques a des conséquences pondérales que la construction en aluminium de la coque ne fait que modérer.

Profitant de la fuite du crépuscule vers des heures plus tardives, je prends la clé des champs et emmène la Karma sur un parcours de routes secondaires sinueuses et désertes. Les reprises de 50 à 100 km/h sont plus convaincantes, tant quantitativement (5 secondes à mon chronomètre) que qualitativement. Je retrouve les sensations d’autres électriques, la prépondérance du couple, l’immédiateté de la réponse à la pédale d’accélérateur. Les moteurs électriques émettent un sifflement caractéristique en prenant des tours, suivis avec un léger temps de retard par le grondement du 4 cylindres 2.0L qui vient à la rescousse pour maximiser le courant disponible. Traduit en onomatopées, ça donne un vuiiiiiiii suivi du pfshhhh de la suralimentation et, au lever de pied, du chuintement trépidant de la soupape de décharge.

  

Emmener 2.4 tonnes de Karma a un rythme légèrement polisson sur ce type de parcours est plaisant, à plusieurs titres. La faible hauteur et le centre de gravité extrêmement bas permettent à la voiture de virer à plat, la répartition des masses de 47% sur l’avant et 53% sur l’arrière lui confère un équilibre à la fois neutre et agile. Même avec cette monte pneumatique hivernale, le grip est intéressant, le sous-virage facilement contenu en levant légèrement le pied. La corde atteinte, ouvrir en grand reporte sans équivoque l’équilibre sur le train arrière, offrant un cocktail de sensations de conduite aussi amusant qu’efficace. La direction assistée électriquement transmet l’essentiel des informations nécessaires, mais j’ai ressenti des légers chocs lors de changements d’appui qui pourraient être indicatifs d’un défaut sur cet exemplaire, pourtant récent (6000km seulement). Le freinage parait puissant et endurant et la réponse à la pédale est prédictible. Fisker a également signé un châssis étonnant dans sa capacité à offrir un filtrage planant sur autoroute mais un amortissement ferme sur route sinueuse. La fiche technique ne fait état que d’un système à combinés classiques, on jurerait à l’aveugle qu’il s’agit d’un système piloté.

Je n’ai pas hésité à débrancher le contrôle de stabilité, non pas qu’il soit particulièrement intrusif, mais pour aller chatouiller le couple maximum des deux moteurs électriques. Démarrage pied au plancher, les roues arrière passent tout le couple dispensé au sol avec de légères amorces de ripage, mais sans commune mesure avec le burnout monumental auquel  un couple de 1300 Nm aurait soumis les Yokohama. Le verdict est donc cohérent avec les autres voitures électriques : un couple très présent à faible vitesse, mais pas de puissance. La bonne nouvelle est que le plaisir n’est pas à aller chercher dans des comportements sociopathes.

Après cette découverte méthodique, il me restait à vivre avec la Karma, au quotidien, comme pendulaire privilégié, esthète ou bourgeois à la fibre écologiste aigüe (ou les deux). Vivre avec cette voiture donne au trajet le plus anodin une saveur particulière. Celle de s’approcher d’un bel objet,  de s’immerger dans l’expérience d’un intérieur de concept car, de s’engager dans le rituel processionnel du matin ou du soir dans un silence douillet. Essai après essai, la même sensation domine, l’électrique est le luxe absolu dans les trajets quotidiens, dans la mouvance du trafic comme à l’arrêt. Même les mécaniques les plus raffinées paraissent rustiques en comparaison. J’ai toutefois été surpris de ressentir au volant de la Karma de légers broutages en démarrage en côte au pas, comme si la régulation du couple moteur à très faible vitesse était imparfaite.

Pénétrer dans un parking sous-terrain avec une auto d’un tel gabarit peut s’avérer réellement problématique. Fort heureusement, la Karma braque bien, mais sa largeur et son empattement restent des handicaps majeurs. Les approches de rampes se font avec les deux rétroviseurs extérieurs braqués sur les jantes arrière, centimètre par centimètre. Certains portiques de sortie se négocient au centimètre, les capteurs de proximité en alarme continue. Au fil des jours, les automatismes se développent pour des situations familières, mais il serait suicidaire de s’aventurer dans l’inconnu sans repérage préalable. La Fisker est de loin la voiture la plus intimidante qu’il m’a été donné de conduire sur ce point particulier.

Le système audio/multimédia mérite une mention, tant c’est un obstacle difficile à surmonter pour les petits constructeurs. Son écran pourrait gagner en lisibilité par forte luminosité ambiante, mais l’interface tactile et son retour de force haptique le rendent assez pratique d’utilisation. Hormis les lève-glaces et le verrouillage central, toutes les fonctions de confort passent par cette interface.

Sur notre parcours éco drive de référence, sans dénivellation et à des vitesses de 30 à 80 km/h, je ne suis parvenu à extraire que 69 km d’une pleine charge (contre 80 revendiqués), soit une consommation de 300.6 Wh/km à l’extrême minimum. Une utilisation plus réaliste – bien qu’économe – débouche sur une autonomie d’une grosse cinquantaine de kilomètres, soit 380 Wh/km. Suffisant pour un trajet pendulaire moyen.

Même à 20 centimes le kWh au tarif diurne, la facture énergétique en mode purement électrique se monte à 7.6 CHF/100km, soit l’équivalent économique de 4 litres de super sans plomb. Même constat que sur toutes les autres électriques ou hybrides rechargeables essayées par Asphalte : le coût énergétique du kilomètre incrémental est extrêmement attractif, mais l’investissement matériel est impossible à rentabiliser. La consommation d’essence mesurée sur cet essai fut de 6.38 L/100km, en sus des 101.5 kWh drainés du secteur. Bilan comptable pour la somme des deux sources d’énergie: l’équivalent financier de 7.72 L/100km, une valeur à la fois remarquable pour un coupé à quatre portes de 2.5 tonnes, mais bien éloignée de la valeur normalisée de 2.2 L/100km. De l’aveu même de Fisker, le toit photovoltaïque est d’une contribution purement symbolique dans l’équation globale.

La charge de la Karma ne m’a pas posé de problème particulier, il suffit de brancher le câble fourni à une prise secteur et d’attendre. Longtemps. Alors que d’autres modèles testés se chargeaient à 10A sur une prise 220V monophasée, la Karma se limite à 8A. Une charge complète (20.7 à 20.9 kWh) prend ainsi douze à treize heures, une durée incompatible avec l’emploi du temps d’un cadre. L’installation d’un chargeur rapide branché sur une source triphasée semble indispensable pour tirer le meilleur parti de la rechargeabilité.

 

Un coup de cœur pour la Karma est aisément compréhensible. Sa ligne, l’ambiance, la proposition unique d’un produit distinctif, aux confluents du luxe, de l’exclusivité et de la conscience environnementale. Pour un tarif raisonnable – toutes proportions gardées – pour une voiture aussi rare, Fisker offre une expérience attrayante, attachante à plusieurs titres. L’autonomie est suffisante pour en faire une électrique crédible, combinée avec la polyvalence d’une motorisation hybride, mais les performances sont sans commune mesure avec les chiffres revendiqués. Si certains détails de la réalisation d’ensemble trahissent les moyens limités d’un petit constructeur, ils reflètent également l’identité d’une création originale, celle d’un designer qui a rêvé une auto différente et l’a construite.

Prix et options principales

Fisker Karma Ecostandard CHF 129’900 € 115’500
Finition Ecosport CHF 12’000 € 9’500
Finition Ecochic  CHF 20’000  € 15’500
Roues hiver complètes 21″ CHF 8’760 € 7’180
Peinture Diamond Dust CHF 3’900 € 3’500
Intérieur cuir Tri-Tone CHF 3’190 € 2’900
Home charge device CHF 2’950
Jeu de tapis haut de gamme CHF 276 € 226

Configuration du véhicule d’essai: Fisker Karma Ecosport, peinture Diamond Dust, Intérieur cuir Tri-Tone: 149’080 CHF

Face à la concurrence

Fisker Karma Tesla Model S Porsche Panamera S E-Hybrid
Moteur thermique 4 cyl. turbo 1998 cm3  – V6 compresseur 2995 cm3
Puissance thermique (ch / t/min) 212 / 4900 333 / 5500-6500
Puissance électrique (ch / t/min) 408 / –  302/5000-8000 47 / dès 1150 t/min
Puissance combinée (ch / t/min) 408 / –    302/5000-8000 416 / 5500
Couple thermique (Nm / t/min) 440 / 3000-5250
Couple électrique (Nm / t/min) 1300 / – 430/0-5000 310 / 0-1700
Couple combiné (Nm / t/min) 1300 / –  430/0-5000 590 / 1250-4000
Transmission Roues AR  Roues AR Roues AR
Boite à vitesses 1 rapport 1 rapport Tiptronic S 8 rapports
RPP (kg/ch)  6.00 (6.98) (5.41)
Poids DIN (constr.) 2446 (2430)
47.0% AV 53.0% AR
(2108) (2095)
0-100 km/h (sec.) 6.6  5.9 5.5
Vitesse max. (km/h) 200 193 270
Conso. Mixte (constr.) (2.2 L/100km)  (160 Wh/km) (3.1 L/100km)
Charge batterie (kWh) 20 60 ou 85  9.4
Réservoir (l) 40  – 80
Emissions CO2 (g/km)  53 0 71
Longueur (mm) 4998  4976 5015
Largeur (mm) 1985/2133 1963/2187 1931
Hauteur (mm) 1330 1435 1418
Empattement (mm) 3160 2959 2920
Coffre (L) 195 895/1645 335 – 1153
Pneumatiques AV 255/35 R22 245/45 R19 245/50 R18
Pneumatiques AR 285/35 R22 245/45 R19 275/45 R18
Prix de base (CHF)  129’900 85’900 150’500
Prix de base (EUR)  115’500 64’760 112’309

Nos remerciements à Fisker Automobile AG pour le prêt de cette Karma.

Galerie de photos

Liens

Le sujet du forum – les articles Fisker – la liste des essais – les essais récents ou relatifs:

           

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