Nous emmenons trois générations successives de Maserati Quattroporte en essai.
Quattroporte. Sous cette dénomination générique (quatre portes) se cache un pan de la riche et tumultueuse histoire de Maserati. Nous avons réussi à réunir, exclusivement pour Asphalte, les trois versions les plus récentes de cette lignée prestigieuse de limousines italiennes pour un comparatif hors du commun.
Mais avant de vous faire part de nos impressions, un bref rappel historique s’impose. Tout commence à l’automne 1963, au Salon de Turin. Maserati, alors au faîte de sa gloire sur les circuits avec la Birdcage, présente la première Quattroporte. Grâce à ce modèle, la marque au Trident va réellement changer l’univers de l’automobile en créant un segment de marché : les pères de famille aimant la vitesse peuvent enfin se transformer en princes de la route. Aucune autre berline de série à l’époque n’est alors capable d’atteindre une vitesse de 230 km/h.
Sous sa robe à la sobre élégance la Quattroporte I (Type AM 107, V8 4.2L et AM 107/A, V8 4.7l) cache un V8 issu de la course développant 260 CV et 290 CV pour la 4.7L. L’intérieur fait appel au cuir à profusion, à la ronce de noyer et la climatisation fait partie de la dotation de série. Il s’agit d’un mélange irrésistible de berline familiale exclusive et d’une voiture de compétition.
20 décembre 1967, Maserati passe sous le giron de Citroën. A la demande des Français, Maserati développe en 1970 un moteur V6 extrapolé du V8 maison. Ce moteur de 2.7L de cylindrée est destiné à équiper le coupé SM et les voitures de sport de Ligier. Parallèlement, du côté de Modène, deux modèles spéciaux de la Quattroporte seront réalisés. Au début des années 70, l’Aga Khan commande à Maserati une limousine unique, connue par les spécialistes sous le nom de “Quattroporte Frua” (AM 121), équipée du V8 4.9L du coupé Bora.
En 1974, Giugiaro réalise une étude de style pour le moins anguleuse et qui porte le nom de “Quattroporte Medici”, en souvenir de l’illustre famille florentine. Mais il est temps également de penser à la Quattroporte de deuxième génération (AM 123). L’équipe d’ingénieurs franco-italienne puisera dans le trousseau de mariage le nouveau V6 équipant la SM porté à 3.0L, et de la DS la suspension hydropneumatique, le système de changement de vitesses semi-automatique et la direction assistée avec retour du volant au point central. L’adoption de la traction avant (!) permet de libérer l’habitacle des organes de transmission et de réaliser un coffre bénéficiant d’un volume exceptionnel. A la technologie s’ajoute un design de Bertone, très “hype” à l’époque. Cette version représentait alors ce qu’il y avait de plus moderne sur le marché des berlines de prestige.
Malheureusement la crise pétrolière aura raison de ce projet. Devant faire face à d’énormes difficultés, Citroën est rachetée par Peugeot qui décide de se séparer de toutes les usines et participations à l’étranger que la marque aux chevrons possédait. Le projet AM 123 passe définitivement aux oubliettes et peu de prototypes parmi les 12 réalisés vont survivre. En 1975, Alejandro de Tomaso soustrait de justesse Maserati à la faillite. Va naître alors la Quattroporte III (AM 330).
Se souvenant du succès de la Quattroporte I (770 exemplaires vendus), de Tomaso décide de se lancer dans la conception d’un navire amiral digne de cet héritage. Pour la ligne, Maserati s’adresse à Giugiaro, unanimement considéré comme un grand maître du design. L’objectif de cette nouvelle limousine est d’incarner la réponse italienne à Bentley : une voiture spacieuse et confortable, avec des selleries en cuir et du bois précieux. Elle sera présentée au Salon de Turin de 1979. Le résultat est très satisfaisant, à tel point que la Quattroporte III devient la voiture officielle du Président de la République italienne. La production totale de Quattroporte III (toutes versions confondues) s’élève à 2’155 exemplaires. Celui de notre essai date de 1984, V8, 4’930 ccm, 280 CV, BVA 3 rapports (2’046 exemplaires produits).
Premier coup d’oeil, cette voiture en impose !! Avec une longueur de 4.9 m, une largeur de 1.89 m et une hauteur de 1.38 m, cette Quattroporte affiche des mensurations dignes d’un transatlantique. Son design anguleux, comme taillé brutalement dans l’acier, fait plus penser à une grosse américaine qu’à une belle italienne. Cependant, Giugiaro a réussi à préserver des proportions harmonieuses. Le châssis est à l’image de la carrosserie, robuste. En observant les roues et les trains roulants, nous constatons que les concepteurs ont voulu donner à cette Quattroporte une image de voiture solide et où l’on n’a pas lésiné sur le choix des matériaux.
Prenons place à bord. L’aspect brut du design extérieur fait place au raffinement. Le cuir et le bois sont omniprésents et le ciel de toit est revêtu de moquette. Les sièges, ou devrions-nous dire les fauteuils, sont enveloppants et moelleux, dignes du cigar lounge du Queen Mary 2. Vous souvenez-vous de cette publicité pour une lessive avec le petit nounours en peluche qui tombe sur une pile de linge préalablement lavée avec un adoucissant ? Dans ce salon roulant, nous sommes le nounours et les sièges la pile de linges. C’est hallucinant ! Grâce à l’empattement de 2.80 m, l’espace à bord est très généreux et convie aux longs trajets. En dépit de son âge, l’électronique est très présente à bord : vitres et sièges électriques, verrouillage centralisé depuis l’intérieur, ouverture électromagnétique du coffre et de la trappe à essence, climatisation, etc … Il ne manque que le minibar et un téléviseur à tube ! Cette lacune a d’ailleurs été comblée avec la version Royale dès 1986.
Le moment est venu de tourner la clé de contact. Heureusement que nous assistons avec attention au réveil des 8 cylindres ! Nous aurions crû au démarrage d’un gros V8 de bateau ! L’échappement ANSA modifié de cette Quattroporte chante aussi bien que celui d’un Riva sur le lac de Côme. Entre l’image et le son, c’est sûr, plus moyen de passer inaperçus ! Nous levons l’ancre. Euh pardon !! Nous desserrons le frein à main et mettons le sélecteur de vitesses sur ” D “. Une légère accélération ne suffira pas à faire avancer le navire, mais, en y mettant un peu plus d’énergie, les deux tonnes commencent gentiment à se mouvoir. La voiture se manie avec une relative facilité. Cependant, compte tenu de ses dimensions, elle sera plus à l’aise sur autoroute ou en campagne que dans le tumulte urbain. La démultiplication de la direction ainsi que le diamètre important du volant obligent à exécuter de nombreux tours afin de braquer les roues. Respect au chauffeur capable d’exécuter un créneau au centre ville de Lausanne.
Coup d’oeil sur les manomètres, les conditions optimales sont réunies dans la salle des machines. Il est temps d’évaluer notre vaisseau à toute vapeur. Une fois passé les 3’000 t/min, les 280 CV sont bien présents ; malgré le poids de la voiture les prestations sont bonnes. L’amortissement est très souple, provoquant de nombreux mouvements de caisse ne péjorant en rien la tenue de route en conduite normale.
Par contre, le freinage demande une bonne capacité d’anticipation. A l’instar d’un bateau, la Quattroporte III se contente de ralentir plutôt que de s’arrêter franchement. Il est également vivement conseillé de ralentir avant d’inscrire l’auto dans les courbes, sans quoi elle s’éloignera irrémédiablement de la trajectoire idéale et prendra beaucoup de roulis. Un look seventies, un agencement luxueux, un confort de première classe, cette Quattroporte 3e du nom incite au voyage paisible dans le ronronnement de son 8 cylindres en V.
1993. Fiat rachète Maserati à de Tomaso, atteint d’une maladie grave. La production de la Quattroporte III, dans sa version Royale (ultra-luxueuse) a cessé depuis 4 ans. Parmi les premières opérations stratégiques, le nouveau propriétaire s’attache à revoir de façon radicale la berline quatre portes, qui sera présentée au Salon de Turin à l’automne 1994 sous l’appellation traditionnelle de Quattroporte. La technique sera celle de la Biturbo, série à succès créée par de Tomaso au début des années 80. Les premières versions seront motorisées par un V6 bi-turbo de 284 CV. En 1996, la version Ottocilindri sort avec, sous le capot, un V8 bi-turbo de 335 CV issu du coupé Shamal.
En 1997, Fiat réunit à l’intérieur d’un même groupe les ennemis de toujours, Ferrari et Maserati. Ferrari a pour mission de fiabiliser la Quattroporte, finaliser le projet de coupé qui deviendra la 3200 GT et moderniser les chaînes de production. Près de 400 sous-ensembles de la Quattroporte seront améliorés. Après la fermeture durant 8 mois des usines de Modène pour rénovation, la Quattroporte (re-)sort sous l’appellation “Evoluzione”. De 1994 à 2001, très exactement 2’400 Quattroporte IV seront produites, toutes versions confondues.
L’exemplaire de notre essai date de 1998 (série Evoluzione), V8 bi-turbo, 3217 ccm, 335 CV, BM6, (258 exemplaires produits). D’emblée les dimensions de la Quattroporte IV étonnent. Plus compacte que ses deux consoeurs (4.55 m le longueur, 1.81 m de largeur) sa ligne cunéiforme signée Marcello Gandini laisse transparaître plus de sportivité. L’esprit Quattroporte est bien là, mais le côté imposant est oublié avec ce modèle. Les formes sont toujours anguleuses, mais le gabarit bien plus petit lui donne un aspect de finesse avec une certaine classe. A noter le dessin du passage de roue arrière façon Lamborghini Diablo ou Maserati Shamal. L’artistique rejoint le pratique : cette découpe permet d’avoir des portières arrières plus longues favorisant ainsi l’accessibilité aux places arrières.
La conception générale de l’auto est plus “européenne” cette fois ; les tôles de la coque et des portes paraissent légères, l’esprit “grosse berline” moins présent. Les échappements sont intégrés aux pare-chocs. L’intérieur quant à lui est toujours tendu de cuir Conolly, d’alcantara et de ronce de noyer. Le volant à jante épaisse est sculpté dans de l’orme. L’habilité est plus restreinte, l’empattement perdant 25 cm par rapport à la Quattroporte III. Les sièges sont fermes, plus enveloppants. L’accent a réellement été porté sur la sportivité.
Une fois le moteur démarré, son chant est à peine audible, comme s’il ne voulait pas faire de bruit. En fait, c’est à ce moment que cette Quattroporte devient schizophrène. Malgré une direction et un embrayage virils, la voiture se laisse conduire en douceur, gardant sous la pédale de droite toujours une réserve de puissance presque inépuisable. C’est là son côté Dr Jekyll, la tradition de grande routière des Quattroporte, capable de mener 4 (ou 5 passagers) dans le confort sur de nombreux kilomètres. Vers 3’000-3’500 t/min le sifflement des deux turbos envahit l’habitacle, la poussée augmente brutalement et souffle sans cesse jusqu’à son apogée autour des 6’500 t/min. La Quattroporte se transforme en Mr Hyde.
Sur les petites routes de campagne, des notions de pilotage sont nécessaires pour mener la voiture à bon rythme. Le châssis montre vite ses limites en rigidité et peine à canaliser les 335 CV (450 Nm de couple) ; il ne pardonne aucune erreur. Un mode d’amortissement ” sport ” permet de limiter les mouvements de caisse et la prise de roulis, mais en sortie de virage au moment de la relance, le train arrière a une fâcheuse tendance à vouloir passer devant. Les P Zero souffrent considérablement car aucune aide électronique à la conduite n’est présente, hormis l’ABS. Sur route humide et dans tous les styles de conduite, une attention particulière du conducteur est primordiale sans quoi la voiture s’en ira jouer dans les décors.
Le freinage est bon, mais manque de réactivité à froid. L’endurance est très correcte (disques ventilés et perforés). Incontestablement, cette version de la Quattroporte est la plus sportive des trois. Sous sa robe angélique et discrète se cache un diable de puissance, prêt à vous piquer de son trident et qui ne vous pardonnera aucun excès d’optimisme à son volant.
Lancée en 2003 au Salon de Francfort, la génération actuelle de Quattroporte a été entièrement conçue en collaboration avec Ferrari. Equipée d’un V8 de 4.2L de cylindrée développant 400 CV, elle annonce sur le papier des performances de premier plan. La boîte de vitesses est séquentielle, type F1, gérée soit de manière “automatique” ou manuelle via les palettes au volant. Dès 2006, elle existe en 3 versions : “standard”, Executive GT (exécution luxueuse et raffinée) et Sport GT (version plus sportive, avec un changement de rapports plus rapide, une suspension typée sport et un échappement un peu plus ouvert). Depuis 2007, chacune de ces trois exécutions est également disponible en boîte automatique classique à convertisseur de couple de 6 vitesses.
L’exemplaire de notre essai date de 2004, V8, 4’244 ccm, BV séquentielle ” DuoSelect ” 6 vitesses. Nous voilà de retour dans le gabarit massif. 5 m de longueur, 1.90 m de largeur et un empattement de plus de 3 m. La ligne signée Pininfarina a un caractère très affirmé et fait de la Quattroporte certainement la plus belle berline du marché. Le côté masculin du design des Quattroporte III et IV fait place aux rondeurs et à la féminité. L’ajustement des panneaux de carrosserie, la qualité perçue et l’utilisation d’aluminium pour certains éléments de la caisse n’ont rien à envier au savoir-faire germanique en la matière.
Le traitement de l’intérieur ne trahit également en rien la tradition Quattroporte. Le cuir Poltrona Frau de premier choix habille l’habitacle, une moquette épaisse en laine anglaise tapisse le sol et les inserts en vrai bois de palissandre sont travaillés par les maîtres-ébénistes de chez Riva Aquarama. Les versions ” Sport GT ” remplacent le bois par des panneaux de carbone. Quand on parle de navire amiral, on ne fait pas les choses à moitié à Modène !
Côté équipement, les années 2000 sont passées par là. Outre la chaîne hifi Bose, le GPS et l’ordinateur de bord, la Quattroporte dispose – en option – de sièges massants et ventilés et dont le maintien s’adapte au gabarit des passagers à l’aide de coussins gonflables. Le double vitrage fait également son entrée. Les passagers arrières sont choyés, disposant de sièges réglables de série. La qualité de finition et d’ajustement est très bonne, sans pour autant atteindre le niveau des références d’outre-Rhin. L’utilisation de quelques plastiques de qualité moyenne (aérateurs, console du frein à main, interrupteurs) ternit quelque peu ce magnifique tableau.
Mais il est temps de réveiller la belle. Contact, le siège conducteur prend sa position automatiquement. Moteur ! Un son rauque traverse l’échappement. De l’intérieur, le double vitrage et le capitonnage de l’habitacle atténuent passablement le son. Toutefois, les vocalises du V8 se font entendre lorsque nous taquinons les hautes révolutions. Nous démarrons. La boîte séquentielle, surtout en mode automatique, est déroutante et demande un certain temps d’adaptation. Par ailleurs, afin de ne pas cirer l’embrayage, il faut doser de manière précise les gaz pour que la voiture démarre franchement, sans brouter ou ruer dans les brancards. Sur la route, l’équilibre de l’auto et son agilité sont bluffants pour un monstre de plus de 2 tonnes. La répartition de poids entre les essieux avant et arrière est idéale et le comportement très sain.
Une fois à bonne température, il est temps de tester ce V8 qui partage son bloc avec la Ferrari F430. Très progressif et coupleux, il chauffe sa voix jusque vers 3’000 t/min puis envoie les décibels à partir de 3’500 t/min. Toutefois il reste plus discret que celui de la 430 à haut régime, philosophie de l’auto oblige. Mais au passage dans un tunnel en ouvrant les fenêtres, le chant est très agréable. Outre le son, les 400 chevaux se font bien présents également. Le paysage défile très vite et la sensation de vitesse à bord nous oblige à être attentifs afin de ne pas se ruiner au passage devant un éventuel photomaton.
Sans conteste la berline de prestige offrant le plus d’agrément, la Quattroporte V se pose en alternative aux grosses allemandes statutaires et aseptisées. De part sont originalité et son exclusivité, elle se rapproche plus d’une Jaguar XJ. Dans la lignée Quattroporte, elle représente à sa manière la synthèse des deux versions précédentes, à savoir un confort hors pair avec des performances de premier plan. Ajoutez à cela une ligne sculpturale et un luxe que seuls les Italiens peuvent vous offrir.
Et voilà, les trois dernières générations de Quattroporte sont réunies. Nombreuses sont les similitudes stylistiques, notamment le traitement de la face avant et le dessin des jantes. L’évolution du style sur les 20 ans séparant la plus ancienne de la plus récente apparaît clairement, passant d’une interprétation du concept très masculine, robuste et brute à une sculpture sur quatre roues offrant des performances de GT. Cette recette reste le terreau de la Quattroporte, et ce depuis plus de 40 ans. Cette fusion entre le caractère exclusif d’une voiture, le charme de ses formes et les performances de son moteur a jusqu’à ce jour confirmé le succès d’une formule gagnante.
Petit récapitulatif technique où bien sûr la passion nous empêchera de parler de prix et de consommation d’essence …
Données techniques
Maserati Quattroporte III | Maserati Quattroporte IV | Maserati Quattroporte V | |
Année | 1984 | 1998 | 2004 |
Moteur | V8, 4930cm3 | V8, 3217cm3, bi-turbo | V8, 4244cm3 |
Puissance ch / régime | 280 / 5800 | 335 / 6400 | 400 / 7000 |
Couple Nm / régime | 417 / N.C. | 450 / 4400 | 451 / 4500 |
Transmission | Propulsion | Propulsion | Propulsion |
Boite de vitesses | Automatique (3) | Mécanique (6) | Séquentielle (6) |
Longueur | 4980 | 4550 | 5050 |
Largeur | 1890 | 1810 | 1900 |
Hauteur | 1390 | 1380 | 1440 |
Poids | 2020 kg | 1560 kg | 1860 kg |
RPP [kg/ch] | 7.21 | 4.65 | 4.65 |
Vitesse max. (km/h) | 230 | 270 | 275 |
Remerciements aux propriétaires respectifs pour la confiance accordée en nous laissant leurs belles italiennes.
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