Un week-end de Formule 1 n’est jamais fini avant le drapeau à damiers.
Nous insistons depuis le début de saison sur le caractère imprévisible de chaque course, mais aucune n’avait pourtant réservé le scénario improbable et imprévisible qui s’est joué sous nos yeux au fil du week-end allemand, pour finir par couronner Lewis Hamilton dimanche sur les coups de 17h. Cette victoire, inespérée 24h plus tôt s’accompagne d’un retour en tête du championnat du monde pour le pilote anglais et son écurie Mercedes, continuant ainsi un chassé-croisé digne d’un week-end de départ en vacances au mois d’août.
Pour qu’il y ait un vainqueur, il faut un vaincu et le perdant du jour est bien entendu Ferrari et son pilote vedette et régional de l’étape Sebastian Vettel, qui tenait pourtant la victoire dans son volant jusqu’à une grosse faute à quelques encablures de l’arrivée. A se demander si Liberty Media ne serait pas également un studio de cinéma en recherche d’histoires incroyables à raconter ! Retour sur un week-end de course peu ordinaire, joué en trois actes.
Rancœur & petites phrases
Dès l’arrivée dans la forêt allemande, on constatait que le grand-prix d’Angleterre était dans toutes les têtes, et particulièrement dans celle de Lewis Hamilton qui n’arrivait pas à admettre de s’être fait devancer en son jardin anglais. Point d’accusations sur une stratégie italienne dont il serait la cible, ce sont les propos de Sebastian Vettel dans le tour d’honneur clôturant le dernier grand-prix (l’allemand s’y félicitait d’avoir gagné “chez eux”) qui faisaient réagir Lewis, les jugeant inutiles et signe d’une faiblesse qui ne faisait que le renforcer. Le tout dans le plus pur style empreint de spiritualité qui lui sied tant.
Joignant les actes aux paroles, et avec la satisfaction d’avoir prolongé son contrat Mercedes de deux saisons supplémentaires (son coéquipier Bottas a lui signé pour une saison et une supplémentaire en option), c’est bien le pilote britannique qui était en mesure de signer les meilleurs chronos le vendredi, sans pouvoir toutefois mettre à distance des Ferrari dont le rythme laissait penser que la bataille serait très rude. Sans rentrer dans le jeu de Lewis Hamilton, on sentait Sebastian Vettel animé d’une profonde envie de triompher sur ses terres natales (la maison familiale est située à 45 kilomètres de l’Hockenheimring). Envie peut-être écrasante, nous-y reviendrons.
Il était clair en revanche dès le vendredi après-midi que les RedBull ne seraient pas en capacité technique d’arbitrer les débats, du fait d’un déficit de vitesse maximale et de puissance moteur rédhibitoire sur un tel circuit. Ajoutons à cela la pénalité prévue et prise par Ricciardo pour changement d’unité de puissance qui l’assurait de partir dernier sur la grille, et seuls des facteurs extérieurs pouvaient laisser un mince espoir à l’écurie autrichienne d’envisager un podium. C’était anticipé, il s’agissait de sauver l’essentiel pour une équipe tournée depuis plusieurs semaines vers la prochaine épreuve en Hongrie avec un tracé taillé sur-mesure pour les qualités de la voiture.
Facteurs extérieurs contraignants
Plusieurs paramètres étaient toutefois en mesure de rebattre les cartes. L’usure des pneumatiques tout d’abord. Ferrari épatait son monde le vendredi en étant capable d’enchainer les tours en gommes “médium” sans perte de rythme, mais au global la lourde chaleur ambiante confrontait les écuries à des gros problèmes de blistering (cloques qui apparaissent sur la bande de roulement du pneu quand la structure de celui-ci s’échauffe plus que ladite bande de roulement).
Le tracé d’Hockenheim réservait également quelques pièges aux pilotes trop optimistes, avec des vibreurs cassants savamment positionnés à l’extérieur du virages 1 “Nordkurve” (droite extrêmement rapide et impressionnant d’engagement de la part des pilotes) et 8 (“Mobil 1 Kurve”, droite d’entrée dans le stadium tout autant rapide), les deux ayant causé la perte de nombreuses ailettes ou morceaux de fonds plat au fil du week-end.
Ce sont enfin les éléments climatiques qui se sont déchainés le samedi matin, avec un orage noyant le circuit et empêchant les écuries de mener à bien les simulations de qualifications au programme habituellement lors de cette dernière séance d’essais libres. Plusieurs pilotes se félicitaient de ces conditions, Charles Leclerc en tête, et appelaient de leurs vœux une suite de week-end pluvieuse, propice aux coups d’éclats. Le calme était toutefois revenu dans le ciel pour les qualifications avant que les nuages ne s’amoncellent d’un coup sur la tête de Lewis Hamilton, dès la Q1. En chercher la cause est un peu ici l’histoire de la poule et de l’œuf.
Les images (et Toto Wolff dans un premier temps) nous montrent une monoplace au ralenti sur panne hydraulique après avoir été victime d’un très gros talonnage alors que son pilote passait de bien trop bon cœur sur les vibreurs extérieurs du virage 1. Hamilton, puis son écurie à l’examen de la télémétrie, nous expliquèrent cependant qu’une panne hydraulique est survenue au moment de toucher, tout à fait normalement, le vibreur intérieur de la courbe ce qui provoqua une panne instantanée de direction assistée et une sortie au large, conséquence et non cause de la panne. Acceptons l’augure de cette explication même s’il est compliqué d’en être parfaitement convaincu.
Reste qu’incapable de rejoindre son box pour réparer après une vaine tentative de poussette, l’anglais terminait sa séance prostré, agenouillé à côté de sa monoplace, conscient de ne s’élancer que 14ème sur la grille dans le meilleur des cas, pendant que son rival direct habillé de rouge allait lui signer une pole position lourdement dominatrice quelques instants plus tard.
Plus loin sur la grille, le team Haas tirait les marrons du feu brulant de la lutte pour s’octroyer la place de 4ème force du plateau en plaçant Magnussen et Grosjean aux 5ème et 6ème places, devant le duo de pilotes Renault et un Charles Leclerc une nouvelle fois épatant. Une météo incertaine, un Hamilton 14ème (aucun élément mécanique source de pénalité n’était heureusement à remplacer au surplus) et un Ricciardo 20ème, voilà qui nous laissait imaginer un dimanche animé.
Destins croisés
Et difficile de dire que nous nous sommes ennuyés au fil de cette course pleine de surprises et de rebondissements, après un départ plutôt sans encombre pour l’ensemble du plateau, qui voyait Sebastian Vettel s’envoler irrésistiblement en tête et contrôler le rythme à sa guise devant Valtteri Bottas et Kimi Raikkonen.
La Ferrari était au-dessus du lot confirmant les superbes dispositions entrevues lors des dernières courses. Au châssis décidemment équilibré et en adéquation avec les enveloppes Pirelli, répond un moteur ouvertement considéré à présent comme le plus performant du plateau. A cet instant, Vettel peut même envisager la suite du championnat avec sérénité.
A l’arrière, Lewis Hamilton commençait sa remontée, aidé en cela par l’emploi imparable du DRS ainsi, il faut bien le constater, que par l’absence de résistance de la plupart de ses condisciples lors des manœuvres entreprises. Point de dénigrement dans ces propos puisque c’est avant tout un pilotage agressif et maitrisé qui permettait à l’anglais de remonter tout en ménageant admirablement son train de pneus super soft afin de ne ravitailler qu’au 43ème tour.
Pointant tôt dans les roues des Ferrari la faveur des ravitaillements de ces dernières fatalement plus tôt dans la course après un départ en ultra soft (l’arrêt de Raikkonen était de plus anticipé pour lui assurer de ressortir devant Hamilton, ce qui fut parfaitement réalisé), l’anglais était capable de mettre la pression, notamment en vue d’un facteur météo dont l’apparition était attendu depuis le début de la course.
C’est autour du 45ème tour qu’une partie du circuit, mais une partie seulement, commençait à être arrosée d’averses. Trop pour tenir parfaitement en slicks sur les zones humides, trop circonscrites pour envisager de passer sans hésitations aux pneus intermédiaires (quelques pilotes tentaient ce pari avant de se raviser quelques boucles plus tard tels Leclerc, Grosjean ou même Gasly qui espérait un déluge avec des “maxi pluie”), ces conditions changeantes et piégeuses qu’affectionnent tant Lewis Hamilton et sous lesquelles il fut une nouvelle fois impérial, sonnèrent le glas des espoirs de Sebastian Vettel coupable d’un blocage de roues dans le stadium qui mettait fin à sa course et offrait la victoire à son adversaire numéro 1 sur un plateau. C’est même un doublé inespéré qui fut offert à Mercedes, devant Kimi Raikkonen seul rescapé et sauveur de la maison rouge. Comme les choses vont vite en Formule 1.
Orage, Ô désespoir, Ô pénalités ennemies
Tapant sur son volant, shootant dans le gravier du bac dans lequel il venait d’enfoncer sa monoplace et retournant tête basse et casquée dans son stand, Sebastian Vettel venait de perdre gros. De l’orgueil, un peu, à devoir jeter le gant juste sous les yeux de ses propres fans. Des points, beaucoup et offerts à son rival direct. Sa course à domicile, tant souhaitée mais jamais remportée. Enfin, une remise en cause d’un alignement de planètes qui semblait idéal avant de marquer la coupure estivale.
L’erreur n’était pourtant pas énorme en elle-même. Ce banal blocage du train arrière à allure modérée sur une piste glissante et cette auto qui tire droit comme il y en eut tant dimanche n’auraient eu pour conséquence que quelques dixièmes de perdu en tout autre endroit asphalté du circuit. Seulement voilà. Dans le Stadium, c’est un bac à gravier profond et un rail qui sont prêts à accueillir les monoplaces égarées. L’endroit est piégeux, Vettel ne l’ignorait pas et il est probable que son envie de (trop) bien faire lui fut préjudiciable en ce dimanche. Tout était alors joué pensions-nous et Lewis Hamilton se dirigeait vers une victoire retentissante mais les images diffusées nous faisaient passer le message qu’un gros point noir pouvait rester à éclaircir après la course.
Alors que la Safety car entrait en piste pour permettre le dégagement de la Ferrari ensablée, Lewis Hamilton et son team cafouillaient une entrée aux box, ledit lewis coupant la voie des stands après le panneau trop tard et traversait l’herbe pour finalement reprendre et poursuivre en piste. Le règlement (Appendice L, IV,4.D) est très clair sur ce point :
“Sauf cas de force majeure (acceptée comme telle par le collège des commissaires), le franchissement, quel que soit la direction, de la ligne séparant l’entrée des stands et le circuit par une voiture entrant dans la Pit Lane est interdit.”
Une pénalité de 5 ou 10 secondes était à craindre pour l’anglais qui s’en tire avec une simple réprimande, ses explication et justifications ayant été bien accueillies par les commissaires. Sans remettre en cause le bien-fondé de la légèreté de la sanction dans le cas présent, il serait temps de remédier au traitement à géométrie variable des incidents de course par le pouvoir sportif. Raikkonen avait lui été sanctionné pour un motif identique à Baku en 2016.
On peut également s’interroger sur les stratégies de course clairement utilisées par Ferrari puis Mercedes. Ferrari a demandé à Raikkonen à la mi-course de laisser passer Vettel qui venait de chausser des pneus frais et pouvait adopter un rythme bien supérieur quand Mercedes a demandé à Bottas à deux tours du but de ne pas attaquer Hamilton bien que le finlandais se trouvait être bien plus rapide en fin de course. Un peu dommage pour le spectacle dans le second cas.
Coté RedBull la course n’a pas apporté de bonne conclusion à ce week-end difficile. Max Verstappen ne fut pas en mesure d’exprimer son talent, y compris sous la pluie. Le déficit de puissance conjugué avec la charge aéro historiquement importante de l’auto étaient des obstacles trop importants. Ceci était encore plus frappant du côté de Daniel Ricciardo, dont la remontée à travers le peloton était bien moins tranchante que celle de Lewis Hamilton. Là où le britannique effaçait facilement ses adversaires à coup d’aspiration et de DRS, l’australien ne pouvait suffisamment s’approcher du sillage des monoplaces le précédant et perdait beaucoup de temps à chaque tour. En route pour les points, il devait de toutes façons une nouvelle fois renoncer sur défaillance mécanique, dont nous ne savons pas à l’heure d’écrire ces lignes si elle entrainera de nouvelles pénalités en Hongrie.
Au final, RedBull perd du terrain sur ses deux adversaires désignés et n’apparait pas en mesure de pouvoir les contester suffisamment régulièrement, que le facteur performance ou fiabilité soit en cause.
Continuation de la lutte
Entre Renault, Haas, Force India et maintenant Sauber, la lutte intense continue pour les accessits. Grâce à la 5ème place d’Hulkenberg, Renault fait une opération en renforçant sa 4ème place au classement. Sainz termine lui hors des points, peut-être un peu perturbé ce week-end par les interrogations planant autour de son futur. Pilote RedBull prêté à Renault, il pourrait être la victime collatérale du divorce entre les deux écuries en étant rappelé chez Toro Rosso pour 2019.
Renault recherche donc une solution de repli, avec le nom d’Esteban Ocon (qui serait alors prêté par… Mercedes!) se dégageant nettement ce week-end, Stoffel Vandoorne étant l’autre piste. Tout ceci devrait se décanter dans les jours ou semaines qui viennent au plus tard. En piste, que Renault soit “le meilleur des autres” n’était donc pas acquis au début du week-end avec des Haas une nouvelle fois très performantes. Seul Grosjean score pourtant in fine les points de la 6ème place pour l’écurie américaine, avec une belle course dont il sortait satisfait comme rarement. Bon pour son moral mis à rude épreuve cette année.
Force India est avec Mercedes la seule écurie à placer ses deux pilotes dans les points, avec Perez devant Ocon aux 7ème et 8ème rangs. Elle reste ainsi 5ème au classement général à égalité de points avec Haas. Là encore la course à rebondissement servit les intérêts de l’écurie anglo-indienne, et particulièrement ceux du pilote français qui s’élançait loin (16ème) faute de roulage suffisant avant les qualifications.
Mention spéciale à Marcus Ericsson (Sauber) et Brendon Hartley (Toro Rosso), habituellement dominés par équipiers mais les devançant nettement en Allemagne pour signer des points appréciables. Les stratégies de course osées de Leclerc et Gasly, qui misaient sur une pluie intense, n’y sont pas étrangères.
Pas de bonne surprise enfin côté Williams et McLaren. C’est même la soupe à la grimace côté Woking avec un Stoffel Vandoorne qui recherche un loup dans sa monoplace, toujours aussi inconduisible qu’elle l’était à Silverstone. Voir le belge se morfondre en toute fin de classement de chaque séance d’essai avait quelque chose de particulièrement attristant pour un pilote de son calibre.
Succès populaire et succès en piste aussi incontestables l’un que l’autre, il était plus que plaisant d’assister au retour du grand-prix d’Allemagne, particulièrement sur le tracé mythique d’Hockenheim, quand bien même cette piste se trouve aujourd’hui amputée et vidée d’une grande partie de sens depuis la refonte subie en 2002.
Sebastian Vettel pourra possiblement s’en vouloir longtemps d’avoir raté le coche sur ce circuit cette année, tant il est conditionnel de revoir ce circuit au calendrier dans les prochaines années. Alors que le championnat bascule déjà dans la seconde demi saison, il pourra également s’en vouloir d’en avoir rendu les clés à Lewis Hamilton, en même temps que de lui avoir offert la possibilité de se refaire en une course un moral tout neuf. On sait le britannique sensible aux événements, le voici remis en selle alors que Vettel avait en mains la possibilité de le marquer durablement.
En tant que spectateur, nous ne pouvons que nous en réjouir et prendre une rapide respiration avant de replonger dès ce week-end pour le grand-prix de Hongrie, dernière course avant la pause estivale. Exercice radicalement différent des derniers circuits visités, le tourniquet hongrois et attendu de pied ferme par l’écurie RedBull.
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