Essai Jaguar XE 3.0 V6 S/C

La Jaguar XE se pose en alternative aux berlines premium allemandes.

La Jaguar XE est la deuxième tentative de la marque anglaise de descendre en gamme pour se tailler une part du gâteau des berlines compactes premium. Le segment, lucratif, est trusté par la BMW série 3, l’Audi A4 et la Mercedes Classe C, et représente plus d’un million d’unités annuelles en ne comptant que ces trois marques. Impossible pour Jaguar Land Rover de l’ignorer. C’est la conclusion que la marque avait déjà atteint en lançant la Type X en 2000 sur la base d’une plateforme de Ford Mondeo, et l’échec fut cuisant: la voiture n’atteignit que la moitié de l’objectif de vente. Un dessin (mal) inspiré de l’icônique XJ et une fiabilité aléatoire comptaient parmi les griefs prédominants.

Echec si cuisant que Jaguar ne remplaça pas la X-Type en 2009. Le groupe indien Tata, acquéreur de Jaguar en 2008, concentra ses investissements sur les roadster et coupé F-Type avant de remettre l’ouvrage sur le métier avec une nouvelle plateforme modulaire iQ[Al] destinée à supporter non seulement la XE, mais aussi la nouvelle XF ainsi que le crossover F-Pace. Cette plateforme à 75% en aluminium (pour part recyclé) est, selon Jaguar, la plus rigide jamais produite par la marque, avec des assemblages rivetés-collés et une implantation autorisant à choix une transmission aux roues arrières ou quatre roues motrices.

L’évocation d’une transmission intégrale a tendance à émoustiller l’homo automobilus helveticus (plus de 40% des ventes), et une décoction de bromure de potassium sera peut-être nécessaire à certains: la XE n’est pas (encore) disponible en break, et seul un placide 2 litres turbodiesel de 180 chevaux est disponible en version AWD sous nos longitudes. Le marché américain a, lui, droit à une version 3.0 S/C AWD qui, on peut l’espérer, finira par apparaître dans les catalogues européens. C’est cette motorisation, en version propulsion, que nous avons pu essayer. Et quel meilleur test pour une grande routière puissante qu’un aller-retour dans le grand nord-est de Francfort à un rythme de forçat ?

 

Avant de se mettre en route vers les irréductibles autobahns, faisons plus ample connaissance. Le gabarit de la XE tombe pile dans les mensurations typiques de la catégorie: une longueur de 4.67m, entre BMW Série 3 et Mercedes Classe C, un empattement à l’avenant, mais quelques millimètres de moins en hauteur et 1.85m en largeur posent la XE sur la route, surtout de face avec le bouclier de la S et son triptyque de généreuses prises d’air. Le profil est un peu moins seillant à mes yeux avec un habitacle reculé, et les jantes de 18 pouces d’origine peinent à remplir les ailes. La face arrière attire spontanément interrogations voire commentaires, avec des optiques un peu trop larges soulignant un troisième volume maladroit, et deux petites sorties d’échappement un peu malingres. Ce profil trahit un intérieur où l’espace aux places avant a été privilégié au détriment des sièges arrière. Le résultat est suffisant pour des enfants, mais un homme adulte se sentira vraiment à l’étroit, coincé aux genoux et à la tête. La différence avec une BMW série 3 F30, par exemple, est flagrante.

La position de conduite est très bonne, la colonne de direction réglable électriquement permettant de s’installer idéalement pour bouffer des bornes. J’ai regretté l’absence des sièges électriques à 14 réglages (au lieu de 10) et leur réglage de l’appui lombaire ainsi que des rembourrages dorsaux, un choix plus judicieux et moins cher que le pack de mémorisation. Le volant multifonction (chauffant en option, très agréable en saison hivernale) est plus agréable par la qualité de son cuir que par ses protubérances à 10h10. La qualité perçue est en général plutôt bonne, mais le grain de la sellerie optionnelle m’a déçu.

Le 3.0 litres supercharged de 340 chevaux coiffe (pour l’instant) la gamme XE. Il développe dans cette version 450 Nm à un régime relativement élevé de 4500 t/min. Il est gavé par un compresseur Eaton Twin Vortex, ce qui lui confère les avantages et les inconvénients de ce type de suralimentation: au lieu du mur de couple délivré par un (ou des) turbocompresseur(s), le couple déboule de manière plus progressive, plus organique, mais culmine à un régime plus élevé. Son caractère est en celà analogue au 3.0 TFSI qui a propulsé nombre de modèles Audi, notamment les S4 Avant et S5 Sportback (type B8). Légèrement moins coupleux (10 Nm), il est également moins puissant que la version 380 chevaux qui équipe la Jaguar F-Type V6 S.

 

Paradoxalement, il parait pourtant presque plus vigoureux à la conduite dans la berline compacte que dans le coupé. Le poids joue peut-être un rôle (1727 kg mesurés sur la berline contre 1783 kg au coupé, certes équipé du système AWD). Son onctuosité et sa disponibilité sont réjouissants, tout comme son aisance à prendre des tours. Le timbre de sa ligne d’échappement lui confère également de la personnalité. Presque un peu trop pour une berline. Même si les ingénieurs ont eu la main nettement moins lourde que sur les différentes versions de Type F, la XE flirte avec voire franchit la limite du “too much”. Dès 1500 t/min, une jolie résonance se fait entendre dans les marmittes, prenant du volume avec le régime, puis accompagnée par le chant perceptible du compresseur au-dessus de 4000 t/min.

Qui dit Jaguar dit boîte automatique à 8 rapports. Cette unité ZF 8HP45 est une énigme. Elle est commune à de nombreux modèles (dont les BMW Série 1 F20, 3 F30 & 5 F10), mais Jaguarisée, elle déçoit, essai après essai. Jaguar a certainement travaillé la rapidité des changements de rapport en charge. A l’instar de la F-Type, la XE les exécute remarquablement, réagissant avec précision et célérité aux impulsions sur les palettes. Et comme sur le coupé, l’égalisation du régime au rétrogradage est un peu timide, surtout en comparaison avec les autres traits plutôt extravertis. Ce n’est vraiment pas dans ces situations de conduite sportive que le bas blesse, mais en conduite paisible. Des démarrages trop brusques et une propension au kickdown exacerbée qui m’ont amené à chercher refuge en mode éco. La confusion entre sportivité et agressivité est palpable chez Jaguar en général et sur cette XE S en particulier. De plus, Jaguar reste fidèle sur ses berlines à son sélecteur rotatif qui s’escamote électriquement. Théatral, mais lent, au point d’être gratifié systématiquement d’une alarme lorsqu’on éteint le moteur et qu’on sort de la voiture alors que le mécanisme n’a pas encore eu le temps de mettre en position Park. Irritant.

 

C’est sur autoroute que ces traits sont le moins dérangeants, ce qui rend la perspective d’une visite inopinée au nord de Francfort plutôt plaisante. La douane de Bâle passée, la première dizaine de kilomètres offre une occasion de faire respirer le V6 S/C, mais c’est après Freiburg, sur une A5 élargie à trois voies que les portes du sanctuaire libertaire allemand s’ouvrent en grand. De très confortable à 150 km/h, le niveau sonore augmente, mais la XE croise à 200 km/h avec naturel. La huitième maintient le régime et la conso à un niveau raisonnable, et pour peu qu’on accepte de descendre 2 rapports à chaque relance, les 340 chevaux du 3.0 S/C permettent de bouffer des bornes à un rythme de forçat. J’arrive à mon étape avec trois bons quarts d’heure d’avance sur les prédictions du système de navigation satellite, dans un bon état de fraîcheur et, chose cruciale pour tenir de bonnes moyennes, sans avoir dû ravitailler.

Le lendemain matin, journée chargée avec plusieurs rendez-vous distants chacuns d’environ 150 km. La matinée commence mal avec un bouchon monumental dû à un accident: une Ferrari 458 Italia est plantée dans un champ suite à une séance de pogo avec une Audi TT et une citadine, et sur l’écran multimédia, mon heure d’arrivée projetée dérive vers un embarassant retard. Fort heureusement, la suite du trajet est libre de trafic et je peux rouler à un rythme très soutenu. Sur les portions plus sinueuses de l’A5 ou de l’A7, la tenue de cap à très haute vitesse devient plus flottante. L’amortissement avant, trop souple, a tendance à devenir flou et pomper sur les compressions, m’incitant à rester sous les 220 km/h. Premier rendez-vous à l’heure, deuxième rendez-vous à l’heure, je peux pointer le museau de la XE vers le sud et entamer la redescente vers Bâle.

 

Sur 310 km parcourus à très vive allure partout où la loi allemande l’autorise, la consommation s’établit à 12.8 L/100km ce qui est remarquable. Ceci confirme les qualités de sobriété du 3.0 litres supercharged: 10.7 L/100km sur notre essai de la F-Type AWD, et une moyenne de 10.11 L/100km (9.3 L/100km selon l’ordinateur de bord) avec cette XE sur l’ensemble de l’essai, Autobahnerei comprise. Un résultat remarquable qui porte l’autonomie utile à plus de 600 km, appréciable pour la catégorie.

Le confort d’une grande routière se juge également par la qualité de ses services au conducteur. J’ai apprécié l’affichage tête à haute qui rassemble les informations essentielles dans le champ de vision et compense la lisibilité médiocre des instruments analogiques. Le système audio Meridian est satisfaisant, en amélioration aussi notable que nécessaire par rapport aux éléments standards de la banque de composants de Jaguar. Le système de navigation m’a moins convaincu, pas pour la pertinence des itinéraires choisis, mais parce qu’il zoome beaucoup trop et rend l’anticipation de bretelles compliquées malaisée. Le recours au “tout tactile” est également une faiblesse en comparaison des interfaces de contrôle proposés par BMW, Mercedes ou Audi. Deux défauts mineurs constatés sur cette voiture quasiment neuve: le pont arrière chante entre 145 et 150 km/h, et des grésillements étaient audibles vers un des haut-parleurs avant droite.

Après cette grosse tranche autoroutière, il me restait à aller taquiner la XE sur le réseau secondaire. Montée pour la saison en Continenal Winter Contact TS850P 225/45R18 (les dimensions d’origine avant options), la Jag’ parait vite sous gommée et la santé du 3.0 litres affole facilement un ESP chatouilleux. La déconnection de l’ESP permet d’éviter au couple d’être trop souvent jugulé, mais l’obstacle suivant, plus difficile à surmonter, est le différentiel arrière ouvert. En grande courbe, une fois l’avant inscrit, la XE se pose sur son train arrière et l’on sent la roue intérieure piocher par manque d’adhérence.

Hormis le côté too much de son échappement, son habitabilité arrière étriquée et de sa boîte, la XE S 3.0 S/C ne souffre pas de défauts rédhibitoires, mais la somme d’imperfections de détail reste significative pour un modèle et une marque qui cherche à convaincre une clientèle légitimement exigeante. Face aux leaders allemands, il faut faire aussi bien dans tous les domaines et mieux dans certains. Série 3, Classe C et S4 placent la barre haut et il me serait difficile d’argumenter que la XE est une meilleure auto, ou même une alternative équivalente. Certainement pas un mauvais choix dans l’absolu, mais pas encore de quoi inquiéter les leaders du marché qui, chacun à leur manière, font mieux à des tarifs sensiblement équivalents.

Prix et options du véhicule essayé

Jaguar XE 3.0 V6P S/C CHF 62’200 € 62’300
Pack Business Premium CHF 2’140 € 2’300
Pack Autobahn CHF 1’880 € 3’000
Peinte métallisée Storm Grey CHF 1’840 € 1’600
Toit ouvrant panoramique  CHF 1’540 € 1’500
Head-up display  CHF 1’340  incl.
Sièges en cuir Taurus perforé CHF 1’140 € 2’000
Siège électrique à mémoire  CHF 1’080 € 770
Pack confort 1 CHF 960  –
Pack hiver CHF 860  € 830
Jantes Venom à 5 branches  CHF 800 € 760
Système Audio Meridian 380 Watts CHF 640 €620
Pack visibilité 1 CHF 520 € 500
Seuils rétroéclairés CHF 520  € 500
Illumination d’intérieur à 10 couleurs CHF 400 € 375
Réception radio DAB+ CHF 360 € 350
Reconnaissance de panneaux CHF 340  –
Pare-brise chauffant CHF 280  incl.
Capteur de qualité de l’air CHF 100 € 80
Total CHF 78’940 € 77’075

 

Face à la concurrence

Jaguar XE 3.0 V6  BMW 340i Mercedes C400 4Matic Audi S4
Moteur V6 2995 cm3 compresseur L6 turbo 2998 cm3 V6 biturbo 2996 cm3 V6 turbo 2995 cm3
Puissance (ch / t/min) 340 / 6500 326 / 5500 333 / 5250-6000 354 / N.C.
Couple (Nm / tr/min) 450 / 4500 450 / 1380-5000 480 / 1600-4000 500 / 1370-4500
Transmission AR  AR 4Matic Quattro
Boite à vitesses Quickshift, 8  Automatique, 8 7G Tronic Tiptronic 8
RPP (kg/ch)  5.08 (4.72) (4.71) (4.39)
Poids DIN (constr.) 1727 (1635)
52.5% AV  47.5% AR
(1540) (1570) (1555)
0-100 km/h (sec.) 5.1 5.1 5.2 4.7
Vitesse max. (km/h) 250 250 250 250
Conso. Mixte (constr.) 10.12 (8.1) (6.5) (7.3) (7.4)
CO2 (g/km) 194 152 170 170
Réservoir (l) 63 60 66 N.C.
Longueur (mm) 4672 4633 4686 4745
Largeur (mm) 1850-2075 1811-2031 1810-2020 1842-2022
Hauteur (mm) 1425 1429 1442 1404
Empattement (mm) 2835 2810 2840 2825
Coffre (L) 455 480 480 480
Pneumatiques AV 225/45 R18 225/50 R17 225/50 R 17 245/40R18
Pneumatiques AR 225/45 R18 225/50 R17 225/50 R 17 245/40R18
Prix de base (CHF) 62’200 59’630 65’200 N.C.
Prix de base (EUR) 62’300 51’850 58’550 59’300

Nos remerciements à Jaguar Land Rover Suisse pour le prêt de cette XE.

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