La Smart confrontée à la réalité du quotidien.
Ce n’est ni un pari perdu, ni un égarement passager de lendemain de beuverie, j’ai volontairement, sciemment, quasiment un connaissance de cause, acheté une Smart City Coupé. Mieux (ou pire selon les points de vue), nous avons roulé avec pendant une trentaine de mois et 23’500 km. Erreur regrettable ? Expérience initiatique ?
Quelques précisions utiles tout d’abord. Je ne suis ni publicitaire, ni architecte, ni pharmacien, ni agent immobilier, la monture de mes lunettes n’est ni mauve ni bleu piscine. Que de ni. Je déclare solennellement apprécier la chose automobile et suis capable d’en évaluer une autrement qu’en donnant un coup de pied dans le pneu avant gauche. Alors pourquoi ?
Plusieurs raisons. La nouveauté du concept et son côté ludique. La perspective – spéculative – de frais fixes et variables extrêmement faibles : quitte à rouler dans une boîte de conserve, autant que ça aie l’élégance de coûter peu. Un format hyper compact (2.50m de longueur) qui permet de parquer en longueur sur la même place de garage deux motos de grosse cylindrée et celle qui devait être baptisée le « Guppy » par mon espiègle partenaire. Allez chercher l’explication dans un ADN nord américain et une culture automobile dont le dernier jalon fut un Ford F150 rouge pivoine. Ajoutons, pour faire bonne mesure, un certain snobisme à passer d’un jour à l’autre d’un 3 cylindres de 599cm3 à un 12 cylindres de 5.5L …
Nous fîmes donc l’acquisition d’un Guppy d’occasion dont le propriétaire, après 25’000km en 9 mois, avait décidé se séparer, non sans avoir confié à sa sœur le soin d’égratigner 3 des 4 ailes en plastique lors d’adroites manœuvres de parcage. Les balafres mises à part (et dûment négociées dans le prix d’achat), l’auto était chouquinette dans sa livrée gris métal, avec ses jantes en alliage et son toit en verre. Pas de frous-frous à l’intérieur, même pas un compte-tours (regretté), juste l’essentielle climatisation.
Malgré son esthétique pimpante, le Guppy allait vite montrer son manque de polyvalence en dehors de son univers de prédilection : la ville. Par la faute d’un étagement de boîte avec une cinquième longue et une sixième digne d’un V8 américain, les trajets autoroutiers périurbains devinrent rapidement pénibles. A la descente, au plat, pas de problème, mais dangereusement sous motorisé à la montée, au point de tomber dans le syndrome du périphérique français : je coupe pas sinon je suis foutu. Avec un trou d’étagement entre cinquième et sixième digne du gouffre de Padirac, chaque côte devient un dilemme : subir les hurlements du petit tri cylindre en cinquième, ou observer le déclin inexorable de l’aiguille du tachymètre. A noter que la version 60ch doit probablement amener une différence cruciale entre le viable et l’insuffisant.
Le comportement routier est comique. Probablement échaudé par les affres des épreuves d’évitement de caribous suédois appliquées aux autos ovoïdes au centre de gravité élevé (les débuts mouvementés de la Mercedes Classe A), les chefs de produit ont mis au cahier des charges un comportement qui interdit tout risque de tonneau, même si la voiture finit dans le tambour d’une machine à laver. Recette imparable : du sous-virage, beaucoup de sous-virage. Alors les ingénieurs châssis se sont appliqués et le résultat est une réussite totale : solidement campée sur des Continental Eco Contact durs comme du vieux chêne, la Smart sous-vire résolument dès que la moindre accélération latérale (la force centripète pour être pédant) apparaît. La sensibilité au vent latéral est significative et la stabilité à l’approche de la vitesse de pointe (140km/h, autolimitée) demande une certaine concentration.
La conduite hivernale est à l’unisson. Une propulsion à empattement court, une courbe de couple joufflue grâce au turbo et un ESP facilement dépassé par les événements, ça donne une alsacienne éduquée à l’école finlandaise, une véritable toupille qui, sur neige, ravira les amateurs de contre-braquage. La motricité en côte est plutôt limitée à moins d’avoir les jambes assez longues pour pouvoir reculer les sièges à leur maximum et charger le train arrière de son séant. Pour parfaire un tableau jusque là bien sombre, le confort est largement perfectible : L’empattement court rend le filtrage des inégalités mission impossible, et le chauffage est insuffisant l’hiver. Quoi d’autre ? Les haut-parleurs en monte d’origine sont d’une qualité sonore pitoyable. Le coffre est spacieux pour le format et pratique d’accès.
Autre déception, le Guppy s’est avéré glouton en hydrocarbures : la moyenne mesurée de 6.22 L/100km reflète certes des trajets autoroutiers dont une portion se faisait pied au plancher pour combattre la gravité, mais ça reste vorace pour un petit 600cm3 turbocompressé, surtout que même en faisant attention, nous ne sommes jamais descendu sous les 5.5L/100km. Le petit réservoir de 22 litres autorise une autonomie raisonnable. Les pneus ne s’usent pas. Les Conti Eco Contact ont des gommes dures pour diminuer la résistance au roulement, le grip y perd mais la contrepartie est qu’il doit être possible de faire 250’000km avec un train. J’exagère à peine. Même chose pour les freins (disques avant, tambour arrière), efficaces par ailleurs, dont les plaquettes salissent copieusement les jantes alu sans s’user de manière perceptible pour autant.
Et la boîte séquentielle ? Ah, la boîte séquentielle. En plus d’un étagement catastrophique, elle est d’une lenteur touchante. Aucun coup de gaz au rétrogradage, le seul moyen de lisser les descentes de rapport est de freiner du pied gauche et de lisser du pied droit. A l’instar du comportement hivernal, conduire vite et coulé avec l’engin requiert le développement de certaines facultés qui sont aux antipodes de la vocation de l’auto. L’embrayage utilise un système dont le mécanisme ne mérite probablement pas qu’on s’y attarde, mais chaque démarrage en forte déclivité est pénible : le régime moteur reste invariablement le même, pas moyen de faire cirer en appuyant plus.
Détail irritant, il est impossible de rentrer une vitesse du point mort dès que la voiture roule : arrêt complet obligatoire. Passer au neutre dans un bouchon est donc une opération périlleuse : si la file démarre, vous devrez observer un arrêt complet pour pouvoir rentrer la première. Concert de klaxons garanti.
Un problème fréquent et peu plaisant: les corps de turbo ont tendance à se fendre, se traduisant par des à-coups à pleine charge. Le nôtre eut l’élégance de lâcher à 1 mois du terme de la garantie et fut pris en charge par Smart. Autre désagrément: nid de poule, flanc intérieur de jante arrière endommagé, crevaison lente, déchappage sur autoroute.
Le bilan n’est pas brillant. La seule justification valable d’acquisition d’une Smart City Coupe / ForTwo est sa longueur et son côté fun. Sinon, le prix d’achat élevé, une consommation peu flatteuse, des prestations routières peu convaincantes sont autant d’arguments pour lorgner une Aygo/107/C1 : les frais fixes seront moins favorables, mais les frais variables devraient facilement compenser, et les prestations routières sont d’un autre niveau.